Association de Psychologues Cliniciens d'Orientation Freudienne

Existe-t-il une spécificité de l’angoisse dans la psychose ? – 7eme Journée Atelier Histoire des concepts – L’abréaction des affects

Damien GUYONNET

affiche-decembre1- Considérations générales sur l’angoisse

Il existe chez Lacan au moins une théorie claire de l’angoisse, de cet affect d’exception. Elle date du séminaire X, intitulé précisément L’angoisse, séminaire où Lacan pose les jalons de ce qu’il considère comme étant sa seule invention : l’objet a.

Auparavant, qu’elle était sa conception de l’angoisse ? Elle était solidaire de la construction de son graphe du désir1 qui rend compte également de la logique du fantasme, ce qui n’est pas étonnant puisque le fantasme est ce qui donne son cadre au désir. Construire le graphe du désir c’est forcément poser le cadre du fantasme. Et ce dernier doit être considéré comme une réponse, une réponse au désir de l’Autre.

Pourquoi une réponse ?

A la page 815 du texte des Ecrits Lacan nous dit qu’émerge de l’Autre2 une question : Que veux-tu ?, qui conduit le sujet, nous dit Lacan, sur le « chemin de son propre désir » puisqu’il la reprend sous cette forme : Que me veut-il ?, cet Autre…. (pensons à l’enfant confronté aux va-et-vient de sa mère, de cet Autre primordial).

Or cette question sur le désir de l’Autre est pour le Lacan de cette époque – d’avant le séminaire X – ce qui justement est susceptible de provoquer l’angoisse. Dans quel cas ? Tout simplement lorsque la signification de ce désir manque, lorsque le désir de l’Autre demeure énigmatique. D’où l’importance du fantasme comme réponse, comme réponse à cette énigme. On en conclut que le fantasme protège de l’angoisse.

Poursuivons notre lecture du graphe du désir et remarquons que le terme d’angoisse n’y figure pas. Par contre, celui de « jouissance » et de « castration » oui, précisément au 2ème étage. Or, quand on parle de castration, on fait référence à l’angoisse, bien évidemment (à l’angoisse de castration). Ce lien que nous entrevoyons par conséquent entre jouissance et angoisse constitue une transition toute trouvée pour arriver à la 2ème théorie de Lacan concernant l’angoisse.

Deuxième temps donc, le Séminaire X, L’angoisse. Que nous dit Lacan ? Tout simplement que l’angoisse surgit quand le manque manque. Ce n’est plus le désir de l’Autre en tant que tel et sa part d’énigme, d’obscurité qui provoque l’angoisse mais au contraire le manque de désir, lorsque ce dernier ne peut plus se déployer, lorsque le manque constitutif du désir fait défaut (nous nous situons dès lors dans le registre de la jouissance).

Alors qu’auparavant c’était plutôt la barre sur l’Autre qui provoquait l’angoisse, à partir du Séminaire X, ce serait plutôt l’absence de barre sur l’Autre qui l’induirait. Lorsque cet Autre ne manque plus de rien, lorsqu’il est complet, lorsque l’objet qui normalement le décomplète s’y trouve, surgit l’angoisse. Et du reste, relevons au passage que c’est à quoi s’adonne justement le pervers : restituer dans l’Autre l’objet, restituer chez l’Autre une jouissance qui lui fait horreur, le pervers s’employant donc à provoquer l’angoisse chez l’Autre.

Après avoir posé ces quelques indications théoriques, venons-en à la psychose.

2- L’angoisse dans la psychose

Comment situer ces deux conceptions de l’angoisse chez Lacan dans la psychose ?

– De la première, il s’en déduit que dans la psychose, là où précisément le désir de l’Autre reste profondément une énigme, là où le fantasme fondamental ne peut s’élaborer comme défense et réponse face à cette énigme, l’angoisse est susceptible de surgir facilement.

– De la seconde, il s’en déduit que dans la psychose, là où précisément l’objet n’est pas extrait, là où il complémente l’Autre, l’angoisse est susceptible de surgir facilement.

D’où cette conclusion provisoire : quelque soit l’abord de l’angoisse que nous privilégions, dans la psychose, cet affect est susceptible de surgir, sinon plus souvent, du moins plus facilement que dans la névrose.

Mais cette conclusion provisoire à laquelle nous arrivons a peut-être une limite. En effet, doit-on penser l’angoisse dans la psychose à partir des développements de Lacan qui valent surtout pour la névrose ? Cette perspective peut avoir ses limites. Un exemple….

Revenons alors sur cette question de l’objet, et précisément sur la question de sa non extraction dans la psychose. Cette spécificité propre à la psychose, aux conséquences multiples, n’a jamais été énoncée en tant que telle par Lacan ; elle se déduit d’une note de bas de page présente dans son texte de 1958, Question préliminaire à tout traitement possible de la psychose. Que nous dit-il ? Tout simplement que c’est l’extraction de l’objet a qui permet la mise en place du fantasme, ce dernier donnant son cadre à la réalité. A partir de là on en déduit que la non extraction de l’objet empêche la mise en place du fantasme. Et donc, dans la psychose, faute d’extraction de l’objet, faute de fantasme, l’affect d’angoisse serait prévalent. Psychose pensée à partir de la névrose, donc…

Ainsi, ce sur quoi nous pouvons nous questionner concerne le statut de l’objet a dans la psychose. On conçoit aisément que dans la névrose un tenant lieu de l’objet perdu puisse surgir au champ de l’Autre et dès lors provoquer l’angoisse. On le conçoit aisément puisque l’objet est extrait et on se figure dès lors qu’il opérerait une sorte d’opération retour.

Mais dans la psychose, comment concevoir le surgissement dans l’Autre d’un objet qui, de structure, n’aurait jamais été extrait ? Là réside selon nous une difficulté. Sauf à considérer peut-être que le surgissement de l’objet dans la psychose constituerait une forme d’extraction de ce dernier. Il nous faudrait dès lors évoquer un surgissement dans le réel et non au lieu de l’Autre, ce qui laisserait déjà entrevoir une relative spécificité de l’angoisse dans la psychose.

3- Vers une spécificité…

Qu’en est-il donc de l’objet a dans la psychose ? Pour répondre à cette question, encore faut-il se mettre d’accord sur la définition que nous donnons de l’objet a. Il en existe plusieurs chez Lacan, suivant que l’on insiste sur sa face pleine ou vide ; sur son aspect morceau de corps (Séminaire X) ou consistance logique (Séminaire XVI), sur sa face réelle (le vide qu’il enserre) ou sur sa face matérialisation de la jouissance perdue (lichette de jouissance). Toutes supposent une séparation préalable. Ainsi l’objet a est, dans la névrose, tantôt perçu comme réel, tantôt comme semblant, sachant que c’est cette 2ème facette que privilégiera Lacan à partir du Séminaire XX.

Autre caractéristique importante de cet objet qui renvoie finalement au point de fixation freudien, celle de faire bord. Fonction qui, dans la psychose, n’opère pas. Le bord pulsionnel comme point limite, comme point de localisation de la jouissance négativée, n’opère pas dans la psychose. Nous avons en quelque sorte, au niveau des orifices du corps (la bouche par exemple), de simples trous sans bord (on ne parle plus de zone érogène en tant que telle).

Quel est l’intérêt de ce nouvel apport concernant l’objet ? Quel enseignement pouvons-nous en extraire concernant l’angoisse dans la psychose ? L’intérêt premier est de faire basculer le questionnement du côté de la jouissance et de ses circuits. Suivant cette perspective, l’angoisse doit être considérée comme une conséquence de l’excès de jouissance, sachant que dans la psychose cette dernière est avant tout rejetée. Faute de séparation, faute de négativation, tout surgissement de jouissance aboutit à son rejet dans le réel.

Dès lors, pour le clinicien, recueillir les coordonnées de surgissement dans le réel d’une jouissance – coordonnées de ce que nous appelons finalement phénomène élémentaire – c’est recueillir les coordonnées du surgissement de l’angoisse, l’inverse étant vrai. S’entrevoit dès lors une spécificité à cette angoisse dans la psychose, celle d’être associée au phénomène élémentaire, lui même paradigmatique de la psychose. Les deux sont étroitement liés. D’où l’importance cruciale que tient cet affect dans la clinique.

Conclusion

En conclusion nous dirons que définir l’angoisse à partir du surgissement d’une jouissance en excès, du réel d’une jouissance, sans faire référence explicitement à l’objet a, cela permet à la fois de conserver une définition de l’angoisse qui vaut pour tout parlêtre, et dans le même temps de bien différencier les deux structures au regard de cette angoisse. Soit cet excès correspond à un moment de vacillation du fantasme (névrose), soit il renvoie au rejet d’une jouissance dans le réel (psychose).

Ainsi, la spécificité que nous dégageons ici concernant l’angoisse dans la psychose, l’angoisse pour le sujet psychotique (nous ne parlons pas d’ « angoisse psychotique »), doit être située à deux niveaux :

  • Au niveau du mode de surgissement

  • Au niveau du mode de traitement

Concernant le mode de surgissement de l’angoisse, il faut évoquer la logique du phénomène élémentaire dont les coordonnées d’émergence sont celle de l’angoisse. Rien de tel dans la névrose.

Au niveau du mode de traitement de l’angoisse ensuite, en rappelant une nouvelle fois que dans la psychose, faute du fantasme fondamental, le sujet est finalement moins armé pour se protéger de l’angoisse. Seulement cette dernière ne doit pas être considérée comme étant plus forte, plus massive. Ce n’est pas une affaire d’intensité dont il est question. Ce qui doit être pris en considération, ce à quoi nous nous devons d’être attentif, ce que nous devons soutenir, c’est l’élaboration, la construction, de la part du sujet psychotique, d’un mode de défense adéquat, singulier, contre le réel, permettant donc de traiter l’angoisse. Il s’en déduit finalement une certaine spécificité de la direction de la cure en présence d’un patient psychotique angoissé.

1 Dont la construction date du Séminaire V et dont nous retrouvons la forme définitive dans le texte des Ecrits de 1960.

2 Avec un grand A, pour signifier qu’il constitue le lieu du signifiant, de la détermination signifiante du sujet, place que tient à l’occasion l’analyste.