Association de Psychologues Cliniciens d'Orientation Freudienne

Clinique à Domicile

Marie JAULIN

Psychologue-psychanalyste, j’interviens depuis deux ans à domicile pour un réseau de santé (AGK. Le réseau AGK est un réseau de santé qui a pour objectif le maintien aussi longtemps que possible d’une personne invalide, à son domicile que ce soit dans le cas d’une hospitalisation à domicile ou dans le maintien des personnes âgées chez eux.

Je rencontre donc des personnes qui ont perdu la faculté de sortir à cause d’une maladie, d’un handicap ou de leur âge. C’est parce qu’elles ne peuvent pas aller au CMP ou rencontrer un psychologue de l’hôpital ou en libéral que nous intervenons à domicile.

Je vais donc essayer de vous faire partager ce soir mon travail, ma clinique dans ce qu’elle a pour moi de similaire au niveau du travail avec tout malade physique, et de différent dans le travail pour permettre une rencontre. Je citerais ainsi Françoise Ellien, elle-même psychologue-psychanalyste, (directrice d’un réseau de santé) lorsqu’elle écrit « quelques soient les références théoriques du psychologue clinicien, entendez par là ce avec quoi il pense ce que lautre dit et ne dit pas, une nécessaire adaptation de sa pratique sannonce quand il écoute lautre dans son univers familier » et qu’elle qu’en soit donc sa pratique.

Pour commencer, il est nécessaire de remettre mon intervention dans son contexte car les procédures de prise en charge peuvent varier d’un réseau à l’autre.

Je suis amenée à intervenir à domicile suite à l’appel de la psychologue-coordinatrice du réseau AGK qui est elle-même intervenue une ou plusieurs fois chez le patient qu’elle veut m’adresser.

Au cours des premiers entretiens, où interviennent la coordinatrice-psychologue accompagnée d’un de ses collègues (infirmier, ergothérapeute, médecin…) la situation est évaluée pour savoir comment aider le patient et favoriser un mieux être et gérer des problématiques aussi bien d’ordre médical que social. Parfois il est proposé « la visite d’un psychologue » qui sera un soutien. La démarche est expliquée à la personne et si celle-ci accepte la psychologue-coordinatrice contacte un praticien en libéral. (Cf Anne)

Après avoir échangé avec elle sur la situation du patient, je l’appelle, lui ou une personne de son entourage s’il ne peut répondre au téléphone, pour prendre rendez-vous. Il arrive, selon les situations, que la coordinatrice propose dans un premier temps un rendez-vous à trois car l’acceptation de cette prise en charge n’est pas évidente et ce rendez-vous facilite le relais en s’appuyant sur la confiance, le transfert qui s’est amorcé avec elle.

Le nombre de rendez-vous rémunérés est établi à cinq, renouvelables si nécessaire en fonction d’éléments fournis à la coordinatrice. Une synthèse est écrite qui servira à l’ensemble de l’équipe du réseau (médecin, ergothérapeute, assistante sociale, infirmière) de manière à suivre l’évolution de la situation du patient et à pouvoir échanger avec d’autres intervenants à domicile. Je suis donc amenée à échanger sur la situation de mon patient aussi bien avec le psychologue du réseau, qu’avec son équipe et lors de réunions pluridisciplinaires avec les professionnels de la ville.

Lors des séances, la personne va souvent parler de sa maladie, de ses symptômes (parkinson, vertiges, douleur) L’effraction du réel, c’est-à-dire du réel de la maladie, peut en effet apparaître tout le temps dans le discours du patient car c’est la crainte de la maladie, d’une rechute, de la mort… On ne guérit pas de ce réel, on ne l’élimine pas. Il fait effraction chez le sujet ce qui peut laisser de l’effroi puis parfois ensuite de la détresse. La situation est souvent difficilement pensable, représentable dans un premier temps. Les projets s’arrêtent, la personne peut se replier sur elle-même.

Face au diagnostic médical le psychanalyste peut faire une place pour que quelque chose concernant ce réel soit laissé par rapport au sujet. Au regard de ce que pourrait faire un médecin, un ergothérapeute. Le psychanalyste n’apporte pas de solution, il a un non-savoir qui lui permet de travailler au-delà des résultats médicaux. Au milieu des soins donnés, répétés, il va proposer un espace de parole différent.

L’analyste va écouter l‘histoire du mal-être, de la maladie, des symptômes, souvent comme le patient le raconterait à son médecin. Laisser se déployer ce dire, l’aider à mettre en mots son questionnement, ses angoisses, va permettre au malade de donner du sens à ce qui lui arrive. Mettre des mots sur son vécu, va lui permettre d’élaborer sa situation, son ressenti. Le psychanalyste va accueillir la plainte du patient, ses mouvements psychiques souvent ambivalents face au handicap. Il va le laisser dire ses fantasmes pour entendre au-delà du diagnostic commun, le patient dans sa singularité et lui permettre d’élaborer subjectivement ce diagnostic et ses inquiétudes parce qu’il ne subit pas la sidération, condition sine qua none pour entendre quelque chose du sujet. L’analyste peut alors pointer du doigt des signifiants pour réélaborer là où la maladie délie les repères sur lesquels le patient s’appuyait.

La personne peut alors être reconnue comme sujet, car la vie psychique continue. Elle peut penser ce qui lui arrive par rapport à aujourd’hui mais aussi par rapport à son passé, à des blessures anciennes, à des souffrances.

Un exemple pourra permettre d’appréhender comment l’émergence de la maladie peut rentrer en résonance avec une souffrance plus ancienne.

M. N. âgé d’une soixantaine d’années, est atteint d’une maladie de parkinson. Suite à un changement de traitement, la maladie s’est aggravée, il en souffre et il cherche une raison à celle-ci. Au parkinson s’ajoute des problèmes cardiaques et des apnées du sommeil. Isolé avec sa femme dans leur domicile, il se sent inutile et a honte de sa maladie qu’il vit comme un handicap. Il cherche un sens à ce parkinson et accuse l’usine où il travaillait de l’avoir laissé manipuler sans protection des produits très toxiques. Le réseau me demande d’intervenir parce qu’il est très angoissé et présente un fort syndrome dépressif. Je ne raconterai qu’une partie de ce suivi autour de sa peur de la mort.

Au moment où je le rencontre, il ne sort plus de chez lui. Il apparaît obnubilé par ce qui lui est arrivé et cherche un responsable. Il est en proie à des crises d’angoisse importantes, surtout la nuit. M. N. doit porter un masque à oxygène pour dormir, en raison des apnées. La nuit il a peur de s’étouffer car son traitement faisant moins effet, il est davantage paralysé et il a peur de ne pouvoir décaler le masque s’il devait bouger. Nos rendez-vous sont l’occasion pour lui de parler de ses angoisses sans que j’en sois affectée ou que je cherche à le rassurer comme le font son épouse ou sa fille. Des souvenirs lui reviennent, des rêves… Un jour, il se remémore la guerre. Il me raconte comment il a échappé de peu à la mort, sans explication… Il était assis à l’arrière d’un camion avec ses compagnons, lorsqu’une bombe a fait exploser le camion. Il était le seul rescapé mais brulé sur tout le corps, il a du rester immobilisé pendant 6 mois Immobile après avoir côtoyé la mort.

Finalement, la pensée d’être paralysé est associée à l’idée de la mort pour lui. Cette peur de mourir, qu’il a certainement refoulée dans sa jeunesse, est réactivée très fortement à présent alors que ses jours ne sont pas comptés mais qu’il sent son corps plongé progressivement dans l’immobilisme.

M. N. s’aperçoit qu’en parlant, il tremble moins… Il comprend aussi qu’en partie, ses tremblements, ses peurs de sortir sont en lien avec son angoisse et sa crainte de mourir très vive qu’il tente alors d’élaborer… Après ce souvenir, il a ensuite de moins en moins cherché de raison à sa maladie, non pas qu’il n’y pensait plus, mais finalement, il fallait peut-être l’accepter, sans explication… En reliant cette attitude du « pourquoi moi » (à prendre certainement comme un mécanisme de défense) à d’autres évènements de sa vie, il a pu dépasser cette question.

Pour s’adapter, accepter, il a aussi évoqué la honte face aux regards des voisins, des gens dans la rue. Prisonnier du regard des autres, cela le renvoyait à son infirmité. Le travail mené avec lui, lui a permis quelque peu de se défaire de sa honte, de se détacher des projets qu’il avait pour sa retraite. Il s’est remis à sortir de temps en temps et à décider de consulter un autre neurologue.

En tant que Clinicien, je crois que c’est ici le point clé de notre travail, écouter le patient comme sujet, sujet de son histoire.

A ce moment-là, le discours peut se décentrer de la maladie, du handicap, l’individu n’est pas identifié à celle-ci et le sujet peut advenir, il retrouve une dignité. Pour un certain nombre de patients que j’ai rencontrés, nos entretiens leur permettaient d’aménager un nouvel équilibre car comme l’explique Canguilhem « être malade c’est vraiment pour l’homme vivre d’une autre vie ».

Le discours va donc se décentrer de la maladie car comme m’a dit d’emblée une de mes patientes sourde, malvoyante: « si vous voulez m’aider, vous devez m’écouter mais pas sur ce que vous croyez. » Ainsi elle me rappelait d’emblée la règle fondamentale de laisser advenir ce qui lui venait en tête. Si je la cite ici, c’est bien parce qu’elle prouvait qu’au lieu d’être obnubilé par la maladie, par le handicap, mes interventions lui proposaient un autre travail, une autre scène dont on reparlera au cours de la soirée. Cette autre scène, ce n’est pas par rapport à l’hôpital, au cabinet mais c’est la scène de l’inconscient.

Elle s’est mise à me parler pendant des heures, non pas de ses difficultés mais beaucoup de son ancien travail où elle recevait beaucoup de gratifications, preuve de ses capacités intellectuelles. Le fait de l’écouter, d’y faire attention, lui garantissait tout en étant un sujet souffrant et isolé, d’appartenir à une communauté.

Mais je pense qu’il est important de rappeler que si nous pouvons expliquer l’impact de l’écoute, de l’éthique il y a toujours l’énigme du soin, de la guérison. Nous rencontrons des sujets qui du fait de leur maladie, ne peuvent pas sortir. C’est pour cette raison que nous intervenons chez eux et pour beaucoup cet isolement est source de plainte, de souffrance. Est-ce que cela peut être entendu comme un symptôme, surtout lorsque les médecins ne comprennent pas pourquoi leur patient est si handicapé au regard du diagnostic ?

Parfois il est difficile de faire « réfléchir un patient sur sa position de malade » car comme le rappelle Danièle Brun (psychanalyste, professeur à l’université Paris VII et fondatrice du CRPM, centre de recherches psychanalyse et médecine) «  en médecine comme en psychanalyse, le corps sert parfois d’alibi. Le mot n’a pas de connotation péjorative : il désigne les effets de la complaisance somatique, soit aussi la manière dont s’actualise, par l’intermédiaire du corps, un conflit inconscient adressé à un tiers difficilement identifiable

Je reprendrais l’exemple de cette patiente sourde, malvoyante. Tant la communication est difficile avec elle, que souvent son entourage, pour aller plus vite, ne lui demande plus son accord pour prendre des décisions qui la concernent. Elle en devient méfiante, violente, elle a peur qu’on parle derrière son dos. Elle accumule chez elle papiers, objets… Elle se plaint de l’insalubrité de son logement mais ne veut pas qu’on touche à un seul papier dans son envie de maitriser ce qui l’entoure au-delà des informations… il faut qu’elle trie, qu’elle range, qu’elle est les choses à proximité d’elle, qu’elle les voit Cette patiente, très fragile psychologiquement, me disait un jour alors que nous parlions du fait qu’elle ne pratiquait plus la méditation. « Finalement, c’est peut-être depuis que j’ai arrêté que je n’ai plus d’ordre dans ma tête et c’est peut être pour ça que c’est comme ça » en m’indiquant le bazar qui nous entourait. Se sentant manipulée, elle cherche inconsciemment à maitriser ce qui lui arrive, à y mettre de l’ordre. N’y arrivant plus dans son espace psychique, elle déplace cette angoisse sur l’espace physique qui l’entoure.

La complaisance somatique est une notion que Freud a introduite au fil de ses réflexions sur la psychanalyse de Dora. Selon lui, il n’y a pas à choisir entre une origine psychique ou somatique de l’hystérie « un symptôme hystérique nécessite un apport des deux côtés ; il ne peut se produire sans une certaine complaisance somatique qui est fournie par un processus normal ou pathologique dans, ou relatif à, un organe du corps.» C’est cette complaisance somatique qui permet l’expression partielle et déguisée de certains conflits inconscients en leur offrant une issue dans le corporel… Comme l’expliquent Laplanche et Pontalis, cette notion déborde donc du champ de l’hystérie (et de la question de la conversion). Elle amène la question du pouvoir du corps à signifier quelque chose du refoulé…

A domicile, on peut se demander si l’issue ne se fait pas aussi dans la maison…

En somme, lorsque je suis à mon cabinet, je cherche aussi à écouter mon patient dans sa singularité. Alors qu’est-ce qui fait la différence d’avec un autre type de cadre de travail?

L’une des spécificités fondamentales que je vois dans mon travail à domicile par rapport à mon cabinet (ou même par rapport à d’autres lieux de consultation) est que je dois davantage être vigilante à la création d’un espace où la parole peut circuler. Il est nécessaire de quitter l’emprise du familier pour permettre au transfert de s’installer.

Mais aussi et surtout pour qu’il y ait une rencontre, il faut qu’il y ait une demande… Et c’est bien là un enjeu quand on rencontre un sujet dépendant… parce qu’au fond qui fait cette demande ?

Au premier abord, cette demande est difficile à évaluer puisque la personne malade ne se déplace pas et ne paye pas. Là où en CMP, en cabinet la personne témoigne de son investissement au moins en venant, ici, rien de cela, pourtant il faut travailler avec.

Ce sont de vraies questions que sans cesse il m’est nécessaire de retravailler, de penser au cas par cas pour que ce travail ne soit pas une visite mais pour que la personne se mette au travail, pour installer un transfert. Car si au départ, il y a une souffrance, une plainte, il est nécessaire qu’elle puisse s’adresser ensuite au psychanalyste.

D’où vient alors cette demande ? Dans le cadre du réseau, comme je le disais tout à l’heure, le signalement émane souvent d’un professionnel qui intervient au domicile de la personne et qui signale la situation au réseau ou d’un membre de l’entourage. Mais d’emblée, la question d’une prise en charge psychologique n’est pas toujours formulée. C’est au cours des entretiens avec l’équipe du réseau et avec la coordinatrice-psychologue, que des entretiens peuvent être proposés. Cette dernière a pu reformuler une détresse psychique, un besoin de parler qui apporterait un soutien…

Quand le psychanalyste intervient au domicile, c’est donc rarement le patient qui en a fait au départ la demande, cependant il a saisi une proposition. Ce n’est pas toujours évident d’évaluer cette demande. Celle-ci résonne différemment chez les uns et les autres. A quel signifiant s’accroche le sujet pour accepter ? L’envie d’être visité, l’envie de faire plaisir peut parfois exister. Qu’en est-il de leur représentation d’un psy? Ont-ils réfléchi à cette rencontre avant qu’il n’arrive comme il le ferait sur le chemin du CMP?

Pour comprendre comment une demande peut prendre forme en faisant intervenir souvent plusieurs protagonistes, je vais vous présenter une partie de la prise en charge de M. V.

M. V. âgé de 80 ans, est atteint d’une maladie de parkinson et d’une angine de poitrine. La psychologue du réseau le décrit comme un monsieur avec une image négative de lui-même, qui semble triste. Son épouse le taquine beaucoup, c’est elle qui gère à présent qui est le principale interlocutrice pour les affaires de son mari. Elle-même est suivie par la psychologue du réseau et celle-ci voit un intérêt à ce qu’il est un espace pour lui aussi.

A notre première rencontre, c’est son épouse qui m’accueille, sans enthousiasme car elle ne m’attendait pas, elle a oublié ma venue… Lui, est allongé sur son lit, comme fixé à celui-ci dans une chambre où la pénombre règne. Face à son visage éteint, peut être aussi méfiant, je lui demande si je peux m’assoir et où… Les échanges sont lents en raison du parkinson qui rend l’expression de M.V. plus difficile, mais aussi en lien avec une forte dépression due en partie à des problèmes de thyroïde. Il manque d’élan, d’association. A priori, il ne sait pas de quoi me parler, un peu comme s’il se demandait où était l’intérêt de le faire…

Tant bien que mal, je vais le chercher, je le fais parler. Il ne se plaint pas, il est comme résigné. Il parle plus de son inquiétude pour son épouse et pour les soucis que sa maladie occasionnent à sa famille que de son propre ressenti.

A mon deuxième rendez-vous, son épouse, à qui j’ai laissé la date de ce deuxième entretien, ne m’attend toujours pas… Elle se plaint de ses pertes de mémoire et je lui propose de les appeler la prochaine fois avant de venir… Surtout que M. fait encore sa sieste… Il n’est pas là finalement, alors je repars. La fois suivante, j’appelle le matin. Mme V. décroche et très en colère me traite de mal élevée, qu’elle en a assez de tous ces appels… tous ces appels ? Elle m’explique que le téléphone sonne depuis le matin et qu’elle n’a jamais le temps d’arriver et elle subodore que j’en suis à l’origine et me demande pourquoi je les dérange autant… Mais tel n’est pas le cas. Je lui rappelle ce que nous avions convenu ensemble… elle a oublié ! Je m’y rends…

A mon arrivée, la colère qu’elle m’a livrée, s’est atténuée. C’est alors l’occasion pour elle de me parler de ce qu’elle vit « vous comprenez, ici maintenant, c’est pire qu’un hall de gare !» Ce que j’entends de sa plainte, je la livre à son époux qui m’accueille cette fois-ci, assis sur son lit.

Je lui parle du hall de gare, et de ce qu’il en pense. C’est alors pour lui l’occasion de m’expliquer que beaucoup de soignants viennent le voir et que ce sont tout particulièrement les matinées qui sont source d’inquiétude pour lui. Chaque matin les aides-soignantes viennent pour sa toilette mais il ne sait jamais quand… Il est bousculé soit dès son levé, soit il est coupé en plein milieu de son bol de café, et d’autre fois il attend longtemps. Il se met à se plaindre de certaines aides-soignantes qui le manipulaient avec moins d’attention, qui étaient moins communicatives que d’autres. Dans ce moment d’intimité, il était parfois violenté mais n’osait rien dire car c’était déjà beaucoup qu’elles viennent. Mais finalement, il est toujours dans ce doute de savoir quand et comment les soins vont se passer…

Avec son accord, j’ai pu rendre compte au réseau de ses inquiétudes face à cette organisation, ce qui faisait qu’il subissait la toilette, qu’il subissait davantage encore son corps… Le réseau a fait le relais à l’association et celle-ci a pu modifier pour M.V. son fonctionnement, l’équipe arrivant soit avant le petit-déjeuner soit après et prévenant chaque matin.

D’autre part, cela m’a permis de fixer des séances en fonction de lui, de son rythme pour que nos rendez-vous ne soient pas assimilés à ceux des soins qui s’enchainaient dans la journée, de manière à souligner une autre temporalité pour que la parole du sujet puisse émerger. Je lui ai donc proposé de venir toutes les trois semaines, ce qui apparemment le soulagea.

A tous nos autres rendez-vous, il m’attendait assis, ma chaise étant elle aussi avancée face à lui. Le rythme des séances, la vigilance que j’ai eu à ne pas l’obliger à me recevoir (un peu comme un patient qui ne viendrait pas à son rendez-vous) ont certainement permis d’établir sa demande de thérapie.

Enfin, pour pouvoir convoquer du sujet, il a fallu le soutenir et, intervenir comme un tiers. Tiers par rapport à son épouse à qui il ne disait pas les jours de ma venue.

Ce tiers, est parfois aussi un véritable médiateur qui apporte un nouvel éclairage sur le patient pour les autres professionnels. Par rapport à l’équipe soignante, l’analyste crée tout simplement du lien et un espace où les soins sont pensés par rapport à la personne et pas uniquement par rapport à son corps. Avec les soignants, peut être pensé un projet de soin ce qui permet d’améliorer la relation avec ces personnes souvent démunies face au corps médical. Ainsi la fonction du tiers que propose le psychanalyste permet donc d’écouter différemment, sans objectif, la personne. Pas facile de se dégager de l’objectif lorsqu’on sait que le nombre de rendez-vous est limité…

Mais de toute façon, le psychanalyste tient une posture différente de l’équipe soignante qui est dans une « logique de besoin » nous, nous allons écouter le sujet. C’est ainsi que ces personnes, souvent isolées ou tributaires d’aide, de « béquilles » dans leur entourage ou par le biais d’auxiliaire de vie… ces personnes dépendantes peuvent être écoutées indépendamment.

Du coup parfois, je suis moi-même comme la « béquille » de mes patients dépendants, mais qui parfois peuvent marcher ! C’est peut être ici ce dont j’aimerais témoigner, à savoir que plus encore qu’ailleurs, la clinique à domicile est à créer pour chaque personne rencontrée pour entrer en communication avec elle, pour créer une demande qui convoquera du sujet, du transfert et qui permettra de travailler. Comme disait Dario Morales, « finalement à domicile, le psychanalyste paye de sa personne » : déplacement, adaptation au cadre de la rencontre… Ceci nécessite en lui une posture particulière avant les premières rencontres, car, plus qu’à son cabinet, il devra à chaque fois délimiter voire inventer le cadre de son intervention…