Association de Psychologues Cliniciens d'Orientation Freudienne

Désinsertion du psychotique ou comment renouer le lien ?

Marie Noëlle VACHERON

Introduction

Le travail de psychiatre de secteur évolue quotidiennement en fonction des avancées thérapeutiques certes, mais aussi de modifications profondes de la société. Aussi aujourd’hui le soin des patients psychotiques ne peut pas se limiter au travail à l’hôpital où un certain nombre de nos patients n’y seront jamais reçus, mais doit se penser et s’effectuer au sein d’un réseau et au plus près de leur lieu de vie. Certains de nos patients psychotiques vivent dans des conditions très précaires (selon Furtos précarité : état d’absence d’une ou plusieurs sécurités à savoir l’emploi, le revenu, le logement, la formation, l’accessibilité aux soins), souvent marginalisés, voire dans l’errance. D’autres psychotiques non traités vont se désocialiser de plus en plus, cette désocialisation progressive aboutissant à la clochardisation et la grande exclusion. La dimension clinique ou thérapeutique et la dimension sociale sont donc très intriquées. Pour éviter la rupture (rupture de soins, rupture du lien social), nous avons essayé sur le secteur de travailler avec le SMES de Sainte Anne, de multiplier les partenariats avec les CHRS, notamment celui des peupliers, et de développer les liens avec d’autres réseaux (APASO, ADOMA…).

Au cours de cette table ronde, j’insisterai sur l’évolution de la prise en charge du « fou » ou malade mental, j’aborderai le secteur, sa nécessaire évolution et je terminerai en illustrant ces propos par deux vignettes cliniques, qui témoignent de ce va et vient entre exclusion et psychose.

  1. La prise en charge du fou a évolué : de l’exclusion à la réinsertion

Historiquement la maladie mentale a toujours été facteur d’exclusion. Dans son histoire de la psychiatrie, Postel retrace les différents traitements dispensés aux fous : enfermement dans les dépôts de mendicité et les prisons avec d’autres marginaux tels que les mendiants et les prostituées puis dans les hôpitaux généraux avec les lépreux. Ils sont par la suite libérés des chaînes par Pinel mais pour être enfermés dans les asiles départementaux à l’extérieur des villes selon des placements volontaires ou d’office avec la loi de 1838. Ces asiles fonctionnent en autarcie (Lanteri Laura), alors que la société du XIX siècle devient plus industrielle et que le développement de la compétitivité rend la réinsertion du psychotique impossible dans un monde de moins en moins tolérant. Ainsi que le préconise Esquirol, le traitement repose alors sur l’isolement, isolement de la société, des familles…. Dans les années 30 cependant s’ouvrent les premiers dispensaires d’hygiène mentale sur le modèle de ceux de la tuberculose, et des services ouverts grâce à Edouard Toulouse. C e n’est qu’après la seconde guerre mondiale et après les premières expériences communautaires en psychiatrie (Tosquelles, Bonnafé, Daumezon et Paumelle) avec la découverte de nouvelles thérapeutiques, que la question de la place du fou dans la société est réellement posée. On assiste à la naissance de la psychothérapie institutionnelle, critiquée par la suite par les mouvements antipsychiatriques. Finalement dans les années soixante, le concept de santé mentale communautaire émerge, servant de fondement à une psychiatrie visant la réinsertion sociale du psychotique et le traitement dans la communauté (Mental Health Act en Grande Bretagne ; circulaire sur la sectorisation en 1960 en France ; Community mental Health center Act de Kennedy aux USA en 1963). La socialisation du sujet est pensée à travers l’idée d’intégration du sujet au monde du travail.

La Circulaire du 15 mars 1960, véritable acte de naissance du secteur, est réellement mise en application à partir des années 1970 et conduit à une désinstitutionalisation progressive. Le secteur, est défini de deux manières : une aire géographique (environ 67 000 habitants) desservie par un dispositif de soins psychiatriques et des modalités de soins spécifiques mises en œuvre par le dispositif. Il couvre des besoins de 80 % de la population. Ses 4 principes fondamentaux sont :

      • Traiter de façon aussi précoce que possible

      • Traiter le malade au plus près de sa famille et de son milieu

      • Assurer une continuité des soins : prévention, soins et post-cure

      • Avec une équipe pluri-disciplinaire sous la responsabilité d’un médecin

Par la suite un certain nombre de textes vont organiser les soins en psychiatrie et accompagner la réhabilitation du patient au sein de la communauté.

  1. Et maintenant ?

L’insertion difficile et l’accroissement de la demande

Pendant des années, l’insertion du psychotique a été pensée à travers l’idée d’intégration dans le monde du travail dans un contexte de société en période d’essor économique. Mais cette conception de la réinsertion, ne fonctionne plus du fait d’une part d’une réduction de l’emploi, d’une compétitivité accrue, et d’une destruction progressive de tout ce qui faisait le lien social : la famille, le quartier, le bistrot, les idéaux… Le malade mental se retrouve marginalisé. Il est parfois dans le refus de toute aide médicale et sociale, parfois dans la toxicomanie qui masque ses symptômes, apaise ses angoisses et lui donne une identité. Parallèlement à l’évolution du psychotique, l’exercice de la psychiatrie ne cesse d’évoluer, entre l’adaptation de l’offre, au travers des possibilités nouvelles grâce à l’augmentation du nombre de psychiatres libéraux et la diversification du dispositif public sectorisé, et la multiplication de la demande. Cette demande est de plus en plus réalisée dans l’urgence, sur un mode souvent réducteur et symptomatique. Le psychiatre est ainsi sollicité pour de multiples missions, dont certaines relèvent davantage de la souffrance psychique. Toute souffrance ne relève cependant pas du psychiatre. Pour Furtos, la souffrance n’est pas en elle-même une maladie. Elle ne devient pathologique que lorsqu’elle empêche de vivre, quand elle n’est reconnue ni par soi-même, ni par autrui et lorsqu’elle conduit à l’effondrement du narcissisme. La voie est étroite, qui reste à trouver entre le risque d’une ” psychiatrisation ” de toutes les détresses sociales et celui de ” socialisation ” des réponses apportées aux malades mentaux remettant en cause la dynamique des soins dans la durée et les champs de compétence. (Alezra h Biarritz 1999). Pour autant résister à la demande, expliquer le refus de son intervention, trouver d’autres solutions demandent du temps, de la distanciation parfois impossibles.

L’évolution des soins

Nous sommes confrontés à la nécessité de réinventer le concept de soins en fonction de l’évolution du milieu social (milieu rural, villes nouvelles), et de nous adapter à l’évolution des populations (SDF, migrants, sujets âgés, toxicomanes, détenus). Il faut trouver de nouvelles réponses, souvent au cas par cas, différentes des pratiques normatives ou de maintien de l’ordre public qui alimentent l’exclusion et la ségrégation et qui nous sont demandées de plus en plus par les pouvoirs publics. Les dispositifs de santé classiques, médicaux ou psychiatriques ne sont pas directement accessibles aux psychotiques précaires ou SDF. Spontanément ils ne fréquentent ni les CMP ni les hôpitaux de jour ni les CATTP. Lorsqu’ils sont hospitalisés c’est souvent en urgence à la suite de troubles de comportement induisant autour d’eux le ” passage à l’acte ” d’une orientation abrupte vers des services hospitaliers peu préparés à les recevoir. Les durées de séjours, du fait de la réduction du nombre de lits, sont plus courtes ou au contraire très longues voire trop longues lorsqu’ils sont hospitalisés dans le cadre d’une hospitalisation d’office, demandée en cas de troubles du comportement sur la voie publique ou de l’absence de tiers, impossible à lever en l’absence de lieu d’insertion. Pourquoi trop longue ? car le statut de malade au long cours dans une unité d’hospitalisation où les infirmières sont présentes en continu insiste sur l’incompétence des patients, leur incapacité à faire quoi que ce soit sans être surveillés et accompagnés. Au delà de l’hospitalisation d’un épisode aigu, qu’en est-il du maintien d’un lien thérapeutique au long cours ? Ces SDF sont sortants dès un minimum de stabilisation acquise. Ils sont souvent réfractaires au suivi, ne reconnaissant pas toujours leurs troubles et préférant la rue à toute institutionnalisation. C’est ainsi que beaucoup de psychotiques marginalisés dans la rue ou en CHRS que nous avons rencontrés, ont été identifiés comme malades dans le passé mais ne sont plus pris en charge depuis longtemps. De nouveaux circuits se développent, sans lien réel, entre les régions, d’un C.H.R.S à l’autre, d’un service psychiatrique à l’autre. Il faut souvent beaucoup de temps, le travail avec d’autres, la connaissance du milieu de vie du patient pour « l’apprivoiser », le conduire à une démarche de soins et de réinsertion, et que lui-même se situe à nouveau comme sujet.

La complémentarité des deux approches sociale et médicale reste à approfondir pour dépasser la tendance au renvoi systématique vers un autre et un ailleurs. Aussi, les expériences se multiplient sur le terrain pour établir des liaisons entre structures sociales et sanitaires, développer les interfaces, construire des réseaux ” au contact ” des populations marginalisées et faciliter l’accès aux soins. Malgré le cumul de handicaps, nous constatons que ces patients peuvent s’inscrire dans une démarche de soins mais pour cela il faut parfois les chercher là où ils sont et travailler dans la durée en s’efforçant de surmonter les échecs et les ruptures à répétition.

Nous avons donc créé un partenariat avec le CHRS des peupliers, grosse structure de la mairie de Paris située dans le XIII, soit le secteur voisin du notre ce qui n’a pas été sans quelques difficultés et nous intervenons à 3 psychiatres à raison de 9 heures par semaine. En échange, nous avons pu adresser un certain nombre de nos patients SDF et maintenir ainsi des soins par le biais du CATTP, de l’hôpital de jour, des consultations au CMP. Surtout nous sommes intervenus dans un milieu totalement différent de celui de la psychiatrie classique où nous rencontrons les équipes sociales, les résidents parfois demandeurs, parfois adressés à la demande de leurs référents. Nous sommes confrontés à l’alcool, la polytoxicomanie, des vécus souvent très projectifs et parfois des discours délirants très bien tolérés parmi les résidents. Nous ne sommes pas toujours à l’aise sur ce terrain où les critères diagnostiques ne sont pas toujours faciles à repérer et les approches thérapeutiques différentes. Dans ce lieu, ce qui semble primer finalement n’est pas tant cette réinsertion mais la restauration d’une communication avec autrui, du plaisir de se raconter, la reconnaissance par un autre, chez des sujets souvent perçus comme étranges, très réticents ou inhibés par les équipes sociales et les autres résidents.

Illustration par des vignettes cliniques

De l’exclusion à la psychose : Histoire d’Emile

Emile, 24 ans, est adressé par le CPOA en tant que SDF au CMP en octobre. Il est accompagné pour son premier accueil par une infirmière de l’équipe du SMES de Sainte Anne et la psychologue du CHRS où il est admis depuis le mois de juin. Dernier d’une fratrie de 9 enfants, originaire de Douai dans le Nord, son père est décédé d’un cancer quand il avait 15 ans. Sa mère est retraitée à Douai. Emile a obtenu un BEP de chimie en 2004. Il dit être parti sur un « coup de tête »  en 2005 à Paris pour travailler et aider financièrement sa mère. Il a vécu dans la rue de 2005 à 2008, il travaillait alors à Rungis dans le cadre d’un emploi précaire, non déclaré, et où il s’est fait agresser. Il n’a pas consulté mais s’est soigné seul. Par la suite, il est embauché en CDD puis en CDI chez Mc Donalds et intègre un foyer de jeunes travailleurs de mars 2008 à mai 2009. Il démissionne de son emploi lors du changement de manager, puis perd sa place au foyer car il ne paye plus ses loyers. Il fume alors beaucoup de cannabis (environ 15 à 20 joints par jour et consomme de l’alcool), et vit dans la rue de mai à juin 2009. En juin, il est hospitalisé, via les urgences, à l’hôpital Cochin pour crise d’asthme, rencontre pour la première fois un psychiatre qui instaure un traitement par antipsychotiques à faibles doses puis il est adressé dans un CHRS pour jeunes de 18 à 25 ans qui l’héberge dans un hôtel du XIX ème arrondissement. Lorsqu’il est vu pour la première fois au CMP, Emile apparaît très réservé. Il s’exprime d’une voix douce, mais ne livre que très peu d’éléments sur son parcours. Il se plaint de difficultés à se repérer, d’inversion du rythme nycthéméral, de difficultés d’attention et de concentration. Il n’est pas délirant ou discordant, ne comprend pas l’intérêt du traitement prescrit à Cochin. L’entretien est facilité par la présence de la psychologue du CHRS. De décembre à avril 2010, il va être reçu tous les 15 jours au CMP. Les entretiens sont laborieux chez un jeune homme qui dégage une impression de tristesse et d’étrangeté. Il retrouve un emploi précaire à Eurodisney pendant quelques semaines et explique alors qu’il dort sur place. Il reconsomme des toxiques qu’il avait arrêté quelques mois. Par la suite il perd son emploi et « s’enfonce » à nouveau : il ne s’alimente plus, apparaît incurique, rate ses rendez-vous avec le CHRS et le CMP et ne s’occupe plus de sa santé physique. Ave l’aide des éducateurs du CHRS, il consulte à nouveau d’autant que le maintien au CHRS est conditionné par le maintien des soins. Progressivement il va se livrer davantage. C’est ainsi qu’il évoque à demi-mot son passé, sa relation à son père très difficile, celui-ci le faisant travailler à l’extérieur et lui interdisant de manger tant qu’il n’avait pas travaillé, ses relations conflictuelles à ses frères et sœurs, sa mère déprimée. Il aborde enfin le motif de sa venue à Paris en mars : consommateur de cannabis depuis le décès de son père et dealer, il effectue des plantations de cannabis au milieu du champ de son grand-père qui vont être découvertes par la police. Il fuit alors le Nord, refuse tout emploi déclaré de peur qu’on ne le retrouve par son numéro de sécurité sociale. Il souhaite revenir avec un travail dans le Nord, mais n’a plus de contacts avec sa mère depuis un an. Son rêve est d’être artificier. Sur le plan social, il perçoit les ASSEDIC, mais il a de nombreuses dettes, et n’arrive pas à retrouver un emploi. Il accepte progressivement une mesure d’accompagnement social personnalisé et un bilan d’évaluation. Il prend mal son traitement, préférant se faire prescrire des comprimés antalgiques à base de morphine du fait de ses douleurs.

En avril 2010, il est amené par la police aux urgences suite à des troubles du comportement devant le foyer de jeunes travailleurs où il avait été hébergé il y a un an. Il a ainsi fabriqué une bombe artisanale qu’il a déposée devant le foyer pour le faire exploser. Aux urgences, le jeune homme présente une bizarrerie, des troubles du cours de la pensée avec hallucinations intra-psychiques. Il banalise son geste et le rationalise en disant que c’est la date anniversaire de son expulsion. Il en veut à l’ancien directeur du foyer. Il est adressé dans le service en HDT. Dans le service, il apparaît discordant, distant avec émoussement affectif, sans réelle critique de l’acte mais sans délire exprimé. Il apparaît cependant rassuré par l’hospitalisation. Il relie sa consommation de cannabis à la nécessité d’avoir l’esprit plus calme. Un traitement antipsychotique est instauré avec relais par une forme d’action prolongée. Le maintien en CHRS est difficile, avec l’équipe qui se sent dépassée pour le jeune homme et ne souhaite pas le réadmettre. Plusieurs rencontres ont lieu avec les deux équipes, afin d’expliquer les difficultés d’Emile et la nécessité du maintien d’un lieu de vie. Le CHRS accepte de trouver une autre solution d’hébergement plus contenant e pour le jeune homme à la sortie. Au cours de l’hospitalisation, Emile va recontacter sa mère chez qui il va aller pour quelques jours après l’hôpital en attendant une autre solution d’hébergement. Il appellera après, de chez sa mère disant qu’il reste dans le Nord. Un relais de secteur est alors organisé sur le CMP de Douai, en espérant que les soins se poursuivent.

De la psychose à l’exclusion puis la réinsertion : Histoire de Mohamed

Mohamed est connu du secteur depuis 2007, date à laquelle il est hospitalisé une première fois en décembre pendant 15 jours pour syndrome dépressif, adressé par son médecin généraliste. A l’époque, il est très angoissé avec de nombreuses attaques de panique, insomniaque, élabore peu, somatise beaucoup et se dit déprimé avec idéation suicidaire. Dans le discours, on note alors des éléments d’atypicité tels qu’un vécu persécutif flou, et une grande adhésivité de contact. Mohamed est d’origine algérienne, issu d’une nombreuse fratrie. Ses parents vivent en Algérie. Seuls deux frères et une sœur sont en France et lui-même vit chez un frère, hospitalisé à une reprise dans le service pour épisode psychotique. Il est peintre en bâtiment et travaille en interim. Il dit être en France pour le travail. Il a déjà été hospitalisé pour cure d’un éthylisme chronique pour lequel il est totalement sevré depuis 1994, ainsi que pour deux épisodes dépressifs majeurs en 1993 et en 2006. Il est suivi par son médecin généraliste qu’il va voir quotidiennement, ne prend aucun traitement antidépresseur mais consomme des benzodiazepines de façon anarchique et en quantités très importantes. Il s’apaise rapidement à l’hôpital, participe aux activités et n’a plus d’attaques de panique. Sa thymie se normalise et Mohamed fait part du projet de mariage en Algérie d’ici quelques mois. Après l’hospitalisation, Mohamed part en séjour de convalescence puis est suivi au CMP assez régulièrement où il poursuit son traitement par antidépresseurs, anxiolytiques, et thymorégulateurs. Il est hospitalisé sept mois après pendant 6 semaines. Il apparaît à nouveau très déprimé avec idéation suicidaire, et angoissé. Les idées suicidaires apparaissent liées à des phénomènes psychotiques de type pensées imposés, sans élément délirant organisé. Le discours est pauvre et le patient est très apragmatique. Il est très peu soutenu par sa famille bien qu’il dise être toujours hébergé par son frère, que l’on n’arrive pas à rencontrer. Le traitement est modifié avec prescription d’un antipsychotique. Une prise en charge en hôpital de jour est proposée au patient afin qu’il puisse progressivement réinvestir sa vie à l’extérieur tout en se sentant accompagné. Il demande à repartir en maison de repos puis interrompt tout suivi au CMP, se faisant prescrire le traitement par son médecin généraliste. Il est admis une troisième fois dans le service en octobre 2009 après plusieurs passages au SAU pour attaques de panique qui l’empêchent de vivre mais rupture du suivi au CMP. Il apparaît alors très dépendant des benzodiazépines, impulsif, dissocié, et très tendu avec intolérance aux frustrations, incurique. L’entourage est toujours aussi inexistant autour de lui, et sa situation sociale floue, le patient prétendant toujours travailler en intérim malgré son état. Il sort au bout de 10 jours d’hospitalisation après reprise d’un traitement neuroleptique et des permissions. Il est réadmis quinze jours après, après tentative de suicide par ingestion médicamenteuse. Il est alors très angoissé, avec un automatisme mental, une insomnie et une anorexie. Il refuse tout traitement injectable. On arrive alors à contacter le frère qui dit ne pas avoir vu le patient depuis des mois, son adresse étant en fait une adresse administrative. Le patient se détend progressivement, et rapporte des idées suicidaires imposées à lui comme des flashs sous forme de voix. Il apparaît triste, avec des pensées négatives autour de sa famille qui l’abandonne car il ne travaille pas. Il évoque des visions terrifiantes liées à un tremblement de terre à Alger en 1986. Il s’était réfugié sur le toit d’un immeuble et a perdu beaucoup d’amis. Il dit y repenser souvent, fait des cauchemars. Cette dernière hospitalisation permet d’élaborer un projet de vie avec Mohamed. Il est vu avec son frère et accepte le projet d’une admission en CHRS. Parallèlement un bilan social est effectué avec une demande d’allocation adulte handicapée, et une demande de protection des biens. Le patient accepte de participer à quelques activités au sein du service puis une candidature est adressée aux chantiers thérapeutiques de Sainte Anne. Un accompagnement est réalisé au CHRS où le patient est admis courant décembre. Actuellement il est stable, toujours en CHRS et en hôpital de jour au sein du service. Il reste très vulnérable à l’angoisse dès lors qu’il éprouve un rejet de la part de la famille. Des réunions sont effectuées très régulièrement avec l’équipe du CHRS et le patient est également vu par l’équipe dans le lieu de réinsertion en cas de besoin. Les symptômes psychotiques sont moins présents et Mohamed n’a pas eu besoin de nouvelle hospitalisation depuis décembre dernier. Il ne consomme plus d’anxiolytiques de façon désadaptée.

Pour conclure ce court exposé,

On peut reprendre les termes de Jean MAISONDIEU (8) : ” Dans la rue, cette voie finale commune à l’exclusion, les étiquettes se décollent et ceux qui errent sur la voie publique sont d’abord perçus comme des exclus, quelles que soient leurs origines et les sinuosités de leur parcours, qu’ils soient malades, immigrés, toxicomanes, alcooliques ou sortants de prison “. Ils sont souvent honteux de leur situation comme dans le cas de Mohamed ou d’Emile, d’où leur perte d’estime d’eux-mêmes, la réticence à évoquer leur situation. Il s’y associe d’autres affects désagréables qui se rattachent à la perte de place dans la société : sentiment d’injustice, vécu d’impuissance, ainsi que la peur et l’angoisse. Les conduites addictives prennent le devant de la scène comme pour Mohamed avec sa surconsommation aux benzodiazépines ou Emile avec le cannabis. Le recours aux soins se fait souvent dans l’urgence, le passage à l’acte même si l’on tente d’accrocher un suivi, d’amorcer une relation comme pour Emile. Peut-être le soin pour ce dernier aurait-il été davantage accepté si l’on était venu au devant de lui et non au CMP, lieu qu’il avait du mal à investir. De même pour Mohamed, seul l’hôpital était investi car il était alors totalement pris en charge. C’est à partir du moment où un hébergement a été trouvé qu’il a pu s’inscrire dans des soins.

La précarité pour les malades mentaux retarde l’accès aux soins faute d’une perception de la pathologie ou d’un dispositif de mise en lien. En sens inverse un véritable accompagnement thérapeutique des psychotiques peut limiter l’ampleur d’une marginalisation (Alezrah). Si l’accès aux soins reste possible il est de fait, largement conditionné par le niveau de tolérance des acteurs devant des sujets qui induisent inconsciemment le rejet et la rupture tant chez les soignants face aux SDF que chez les partenaires sociaux devant la psychose. La qualité de l’environnement social, le soutien social, peuvent intervenir pour renforcer certains mécanismes d’adaptation et contribuer au maintien de la santé mentale (Bonnet).

POSTEL ; QUETEL C. et al: Nouvelle histoire de la psychiatrie, Dunod edit, Paris, 1994.

LANTERI-LAURA G.: La chronicité en psychiatrie, Synthélabo edit, les empêcheurs de penser en rond, Le Plessis-Robinson, 1997.

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MAISONDIEU J.: La fabrique des exclus ; Bayard edit, Paris, 1997.

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FURTOS J, LAVAL C, BURLOUX G, GODET P.F: Schizophrénie et exclusion. Perspectives actuelles et avenir. L’Encéphale, 1996, Sp III, 39 – 48.

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