Association de Psychologues Cliniciens d'Orientation Freudienne

En trop – 33eme soirée clinique

Affiche 14-03-12Marina RYMAR

L’UCA (Unité Clinique de semaine, de soirée et de nuit pour Adolescents) et HJA (Hôpital du Jour pour Adolescent) accueillent des patients dont la pathologie relève de symptômes très variés, en dehors des moments aigus.
Ces deux unités permettent aux adolescents concernés d’élaborer des réponses personnelles pour tenir compte du désastre subjectif rencontré, sans rupture des liens sociaux et familiaux par ailleurs existants.

La modalité de prise en charge originale repose sur trois vecteurs :

Vie de Maison : Les actes de la vie quotidienne hors « programmation » sont bien souvent ceux qui rendent possible une rencontre clinique réputée difficile à l’adolescence. L’accent est alors mis sur ce que ces rencontres ont de plus singulier. Chaque soignant est ainsi convoqué à un effort de transmission clinique indispensable et quotidien.
Ateliers : Pour permettre aux adolescents de s’impliquer dans une production créatrice singulière, des ateliers sont animés par des professionnels non soignant : une potière, un photographe, une danseuse.
Travail clinique : Assuré par les psychiatres, psychologues, infirmiers et les éducateurs spécialisés, le travail proprement clinique est seul à même de permettre la construction du cas.

« En trop »

Un mois avant de venir en consultation, Rita, jeune femme âgée de 20 ans, a fait sa 4e tentative de suicide. Très angoissée, avec les idées suicidaires au premier plan elle me fait part de son insupportable : « Je veux finir tout ça, je n’en peux plus, je rate tout, je rate ma vie ».
A la fin du même entretien elle m’apprend déjà un peu de sa position: « Je me plains mais en même temps je préfère souffrir, je suis plus à l’aise en souffrance, quand je suis très bien j’ai peur ». « Vous n’êtes pas obligée d’aller très bien ! Juste un peu mieux… mais pas trop ». Cela l’a fait sourire, elle ne tremblait plus. En disant « pas trop » j’ai touché, sans le savoir à l’époque, un point particulier de l’histoire de Rita.

A l’âge de 8 ans Rita a été témoin d’une scène de violence conjugale : alors que son père étranglait sa mère, son frère est intervenu en menaçant le père avec un couteau pour l’arrêter. « J’ai eu très peur, je pouvais rien faire, je me suis sentie inutile » – dit-elle. Rita aura affaire à cet « inutile » toute sa vie. Cela reviendra plus tard sous la forme d’une hallucination : « tu sais ce que tu as à faire ».

La rencontre avec la sexualité
A l’aube de l’adolescence, les changements physiques sont vécus par Rita comme un « trop » dans le corps. « Je me sentais en trop, – dit-elle, – j’étais une charge de plus pour ma mère ». A partir de 10 ans, Rita commence à grossir. Le poids de ce qu’elle appelle « inutile » commence à lui peser de plus en plus.
Alors que Rita est âgée de 13 ans, 3 garçons lui proposent le même jour de sortir avec elle. « C’était trop pour moi », – dit-elle. La nuit qui suit-elle entend pour la première fois une voix d’homme qui l’appelle : « Rita, Rita ».

Par ailleurs, elle a eu plusieurs relations sentimentales qui ne duraient pourtant pas car cela devenait « trop » pour elle. Tout en se plaignant de l’insistance des garçons qu’elle fréquentait, elle parvenait toutefois à s’interroger à ce sujet : «mais pourquoi je tombe tout le temps sur des garçons têtus ? ». « Est-ce qu’on peut dire que c’est vous qui choisissez les garçons têtus? ». Elle sourit en réponse.
Depuis 5 mois, elle sort avec un jeune homme qu’elle trouve « différent des autres car il est patient et il n’insiste pas ».

Décrochage
Plus tard, cet « inutile » revient lors de la rencontre amoureuse. En Seconde, Rita tombe amoureuse de Sébastien. C’est à partir de cette rencontre que les choses ne sont plus pareil pour elle. Rita commence alors à se sacrifier pour « situer la douleur » : «en voyant mon sang je comprenais que j’allais mal ». Une phrase prononcée par lui la rend perplexe : « on ne pourra jamais sortir ensemble ». « Je me suis senti transparente … inutile, – dit-elle. Je ne savais plus ce qui était réel et ce qui ne l’était pas, il fallait que je me fasse mal, … pour me sentir réelle ». Elle fait sa première tentative de suicide par pendaison, juste après avoir entendu la voix qui lui a dit : « tu dois le faire, fait le ». « Vous avez cru qu’il s’agissait de la mort ? » « C’est ça », – répond-elle étonnée.

La rencontre avec Jennifer aggrave la situation. C’est une fille que Rita a accueillie chez elle car Jennifer n’avait pas de domicile. Une amitié trop étroite s’installe entre elles. Déclaration d’amour de la part de Jennifer fait très bizarre à Rita. C’est aussi à partir de ce moment que Rita a complètement délaissé toutes ses activités, y compris ses études. Le départ précipité de Jennifer suite à une dispute pousse Rita à essayer à nouveau de se tuer. Les souvenirs qu’elle garde de Jennifer (« on rigolait beaucoup, on s’amusait bien ensemble ») ressemblent à ceux de son enfance avec son père : « il nous faisait rigoler ».

Par ailleurs, dans la même période, son père retourne définitivement au pays et ne prend plus de nouvelles de Rita et de ses frères et sœurs. Les parents ont divorcé quand Rita avait 8 ans. Le père avait refait sa vie et a eu d’autres enfants pour lesquels il demandait de l’argent aux frères et sœurs de Rita. Elle définira plus tard l’effet de tous ces événements sur elle en ses termes: « Je souffrais énormément mais je ne savais pas pourquoi. Jusqu’à maintenant je ne faisais pas du tout le lien avec Jennifer et le départ de mon père par exemple, je me disais que je m’en foutais. Mais pas tant que ça alors! Ça me faisait profondément mal … »

Chaque tentative de suicide était précédé d’un événement (l’histoire avec Sébastien, Jennifer, le départ du père), auquel s’ajoutait une phrase qui la sollicitait fortement (par exemple le titre d’un livre « la mort vous a choisi ») et enfin l’hallucination survenait comme une réponse : « tu dois le faire ».

Retour du laisser-tomber du père
Au début de cette année scolaire Rita est très perturbée par le retour imprévu du son père à la maison. D’autant plus que maintenant il ne s’intéresse qu’à elle.
Deux mois plus tard, Rita n’est plus la même en entretien. Elle ne veut pas parler ni répondre aux questions, déterminée, regard fixe : « Je veux partir, j’en ai marre, … il faut que je parte loin d’ici, il faut que je me punisse, je veux finir tout ça, j’en peux plus, … personne ne peut m’aider… ». Je ne vous laisse pas tomber ! – je lui coupe la parole. L’effet sur son corps est immédiat, elle se détend et monte les yeux avec son regard lucide habituel. Elle repart souriante. A l’entretien suivant elle me dira que la veille de cet épisode son père lui avait annoncé à nouveau son départ…

Ce qui tient
Initialement, Rita a été adressé par sa professeure du théâtre suite à l’absentéisme à ses cours tandis que c’était la seule chose pour laquelle elle n’a pas perdu l’intérêt.
Progressivement elle a repris ses cours de théâtre, a choisi le rôle principal et était très engagée et surtout animée dans la préparation du spectacle. Actuellement elle continue à faire du théâtre, mais moindre difficulté le concernant la déstabilise.

Les études sont le deuxième élément important pour Rita. Déscolarisée depuis 2 ans, elle en était préoccupée quasiment à chaque entretien : « Pourrai-je reprendre mes cours un jour? »
C’est ainsi qu’elle a intégré Institut hospitalier de soins études (IHSEA) pour la classe de Terminale au début de cette année scolaire.
Elle prend vite sa place dans le dispositif proposé à l’IHSEA : elle va volontiers en cours, participe à plusieurs ateliers (théâtre, journal), entretient de bonnes relations avec les autres jeunes du service et fait appel aux soignants pour transmettre ses difficultés avec confiance.
Cependant, Rita vient irrégulièrement, a le sentiment que ses résultats scolaires ne sont pas suffisamment bons et se montre particulièrement en difficulté lors des évaluations, moments où elle doit restituer des contenus apportés par d’autres et répondre à une demande qui pour elle prend place d’impératif.
S’exprimer, trouver le mot juste qui pourrait traduire sa pensée, sont des sujets qui reviennent souvent et qui mettent Rita en difficulté dans sa scolarité mais aussi dans d’autres domaines où elle désire s’inscrire. Depuis le début de l’année, elle participe à l’atelier Journal, elle est notamment Responsable de la rubrique Théâtre, pas sans efforts elle arrive à s’engager dans le travail de l’écriture pour cet atelier ainsi que pour son journal intime.
Est-ce une tentative de construire un symptôme qui permet de tempérer l’impératif auquel Rita a affaire?
Ce travail de construction de symptôme est un travail à long terme, il doit partir des propres constructions du sujet, de ses inventions pour élaborer avec lui une suppléance, quelque chose qui le protégera de l’invasion de cette jouissance du corps nommée « inutile ». C’est par là que peut s’obtenir une certaine stabilisation dans la psychose.
Cette stabilisation qui n’est jamais définitive, vise aussi à éviter au sujet ce qui peut faire mauvaise rencontre pour lui, ce qui peut faire vaciller un équilibre acquis, une solution élaborée. Ceci nécessite donc de repérer ce qui pour un sujet peut provoquer à nouveau un déclenchement, les zones dangereuses à éviter pour lui.
Le traitement psychanalytique des psychoses consiste en une tentative de constituer un nouveau symptôme pour le sujet. C’est à un certain savoir-y-faire avec son symptôme que le travail analytique peut conduire un sujet psychotique.