Association de Psychologues Cliniciens d'Orientation Freudienne

« La pathogénie de l’Œdipe » : « Chez moi, il n’y a pas de cloisons »

 Dario Morales

La pathogénie de l’Oedipe : “Chez moi, il n’y a pas de cloisons”

 Lorsque l’enfant est obligé d’obéir aux ordres insensés du parent, d’avoir un rapport sexuel, cette situation détruit la configuration oedipienne dans laquelle aurait pu se réaliser la subjectivation par l’identification aux deux parents, ainsi que l’apaisement des conflits intrapsychiques. Lorsque cette violence sexuelle se manifeste, elle crée les conditions d’installation d’un trauma beaucoup plus difficile à résoudre qu’une agression commise par quelqu’un hors du cercle familial. Ce que nous appelons l’Œdipe désigne pour la clinique les conditions universelles permettant l’avènement du sujet parlant. L’inceste est un réel catastrophique qui sabote sa fondation. La violence sexuelle intrafamiliale expulse dans une sorte d’exil le sujet naissant pour l’enfermer dans un espace clos. Il démolit la confiance dans les liens, rendant la relation à l’autre érotisée et transforme tout « autre » non plus en un semblable mais un envahisseur ou persécuteur. Le problème est que la famille cesse d’être un lieu protecteur pour devenir un espace de jouissance.

 

Renoncer à l’objet le plus cher !!

 

Au cours de cette soirée nous aborderons la problématique du père réel que certains ont appelé père concret, ce parlêtre en chair et en os qui a « besogné » la mère, lui a fait un enfant, et qui a donné son patronyme à leur rejeton. Ce père, agent de la paternité ordinaire, sera mis en tension et interrogé à la fonction du père symbolique. Car c’est justement le repérage de sa fonction symbolique de père par rapport à l’existence contingente de père en chair et en os qui va déterminer une des bases les plus fondamentales de la clinique. Inversement, ce que la clinique nous enseigne est comment la construction du père symbolique est mise à mal lorsqu’un homme se heurte à sa réalité de père.

 

Pour le dire avec précision, la clinique du père incestueux (névrosé, pervers ou psychotique) nous apprend comment le fait d’être père touche, déchaîne un processus qui vient éclipser ou au contraire dévoiler l’instance paternelle au seuil du procès œdipien.

 

D’abord l’enfant : celui-ci est d’une certaine façon initialement captif de la relation à la mère vis-à-vis de laquelle, le père, est étranger. Au reste, cette relation est appelée relation fusionnelle dans la mesure où aucune instance n’est susceptible de médiatiser les enjeux du désir – l’enfant constitue alors le seul objet qui peut combler le désir de la mère. Etant hors circuit de la relation mère-enfant, le père réel ne peut donc en rien obtenir l’assomption de sa fonction symbolique. Et cela d’autant que l’enfant, en tant qu’objet susceptible de combler le désir de la mère est identifié à son phallus. Pour cette raison, le père réel préalablement étranger à la relation mère-enfant, ne saurait guère se trouver longtemps assigné dans une telle extériorité. Et donc la consistance du père réel à l’endroit du désir de la mère va donc commencer à questionner l’économie du désir de l’enfant sous cette forme intrusive. Cette interpellation suscite chez le père une interrogation sur ce qu’est l’objet de désir de la mère. C’est ici qu’une première confrontation est posée chez l’enfant en termes de castration. Le père apparaît aux yeux de l’enfant et dans le désir du père comme ayant droit quant au désir de la mère. Ce sont ces fluctuations dont la clinique abonde autour de ce que l’on nomme trivialement le terrain de la rivalité phallique –  dont l’enfant va faire l’expérience, dans un moment d’incertitude quant à son désir par rapport à l’expérience précédente d’assurance qu’il avait quand il été lové dans celui de la mère. Cette incertitude survient le plus souvent sous forme de symptômes, anxiété, cauchemars, rappelez-vous le cas du petit Hans, au moment même où l’enfant commence à être confronté au registre de la castration par l’instance paternelle. Mais comment vit le père tout cela ? Si le père survient dans la vie de l’enfant comme un intrus ; le père qui logiquement se déclare comme ayant droit peut se trouver également privé de la mère et trouver en l’enfant un phallus rival. Mais il y a autre chose, dans la logique freudienne et lacanienne, le désir du sujet est toujours soumis à la loi du désir de l’autre. Cela veut dire que le désir de la mère doit reconnaître également la loi du père comme celle qui médiatise son propre désir. Beaucoup d’hommes se plaignent d’être écartés par l’enfant dans le désir de leur femme, au cabinet on entend souvent la mère dire, je ne veux point me séparer de mon enfant, récemment une d’entre elles me confiait ceci : « depuis sa naissance, mon fils dort avec moi et mon mari va au salon ». Rassurez vous, le plus souvent c’est le contraire, c’est la mère qui s’absente de son enfant et c’est justement cette absence qui mobilise et signifie le désir de la mère.  C’est donc autour de cette place de mère manquante qui ne saurait en rien être comblée par l’enfant ou qu’au contraire, ne se montre pas manquante que certains avatars paternels font leur apparition. L’articulation décisive pour les futurs parents semble être le passage de l’être à l’avoir ; quitter le registre de l’être pour l’avoir, à condition que la mère consente à faire du père celui qui « fait » la loi du point de vue de son désir. La difficulté survient lorsque la mère ou le père se montrent ambigus dans leurs désirs ; favorisant ainsi l’installation de leur enfant dans une position de suppléance aliénante à la satisfaction du désir de la mère ou du père. Par exemple lorsque le père n’apparait pas pour l’enfant à un moment donné ou qui se refuse, comme celui qui est supposé détenir l’objet que la mère désire. Cet appel d’offre ouvert au bénéfice d’un investissement symbolique du père peut donner parfois lieu à un avatar de l’enjeu phallique qui va s’enkyster dans ce que Lacan appelle « le point d’ancrage des perversions ». De fait, ce qui fait « point d’ancrage » est l’identification perverse ; laquelle pérennise sur le mode de la fixation, l’identification à l’enfant. Autrement dit, l’enfant est enfermé comme manque non symbolisable qui traduit le désaveu permanent qu’il va entretenir à l’endroit de la castration de la mère. L’attribution phallique au père ne lui sera reconnue que pour mieux être contestée. D’où deux formes structurales qui viennent illustrer et donc incarner ces impasses : le déni et la transgression. Notre invitée Sandra Vasquez l’illustrera parfaitement dans ces deux vignettes. On va se contenter ce soir de cerner ainsi la problématique du père. Un élément sera déterminant pour avancer cliniquement : la séduction.

 

Sans prendre en considération la clinique du trauma, parce que le père est celui qui, fantasmatiquement, a toujours déjà séduit ses enfants, surtout la fille, une véritable catastrophe semble se produire lorsque la séduction est réalisée dans le corps de l’enfant. Le réel écrase la dimension fantasmatique nécessaire à ce que se projette la vérité du sujet. Le fantasme et le réel conjoignent alors qu’ils devraient être disjoints. D’où le titre que j’ai donné à la présentation de cette soirée : « chez moi, il n’y a pas de cloisons », terme qui désignait l’aveux d’un père incestueux que j’ai suivi en prison. Mais ne pourrait-on pas par la même occasion avancer que le père qui séduit son enfant ou qui répond aux entreprises de séduction de ses enfants se méprend sur la nature même du désir de son enfant ? Le désir de l’enfant s’adresse la plupart du temps à un père au-delà du père réel, autrement dit à un père de rêve, à un père imaginaire, un père fantasmatique ou encore, à une personne qui n’est pas forcément incarnée dans un corps. De plus, comme l’aurait dit Ferenczi dans son texte sur La confusion des langues, Lacan nous a appris à distinguer désir et appétit ; demande n’est pas demande d’un objet mais demande d’une présence ou d’une reconnaissance. Il en va du coup de même pour la prétendue « demande de désir incestueux ». Cette « demande » n’exige pas de satisfaction réelle et directe. La « satisfaction » n’est pas attendue de celui qui a charge de tenir noué ce désir à l’interdit ; la « satisfaction » n’est pas non plus attendue par l’obtention du pénis réel de l’enfant ou du corps de la fille. Je dirais même plus, malgré le comportement séducteur qui constitue en réalité une demande de reconnaissance, de désirabilité, de tendresse, ce que les enfants demandent à leur père, la fille par exemple, c’est qu’il incarne l’interdit, c’est-à-dire qu’il mette les mots ou qu’il fasse le nécessaire pour éviter la connivence qui ravage tant la relation mère-fille. Il s’agit donc pour le père d’interdire à la mère comme le dit Lacan, de « réintégrer son produit », en attirant son désir et en la faisant jouir de ce désir.  La meilleure façon donc de s’interdire sa fille consisterait à désirer une autre femme et à jouir de son désir, la mère de sa fille par exemple, ou toute autre femme à laquelle la fille aura, de ce fait, quelques bonnes raisons de s’identifier et qu’elle pourra de ce fait idéaliser dans son chemin vers la sexualité de femme adulte. En faisant de la sorte, le père aura créé les cloisons nécessaires pour rendre opérant l’interdit. A présent, notre invitée Sandra Vasquez va décliner ces différents points à partir de sa pratique de clinicienne orientée par la psychanalyse…

 

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