Association de Psychologues Cliniciens d'Orientation Freudienne

La thérapeutique à l’entrée du supermarché – 5eme Journée Histoire des concepts

Véronique SAADI

PLAN

I – Marketing et économie en santé mentale
I.1 De la Folie à la norme psychique
I.2 Economie et psychiatrie
1 – L’économie du jeton dans les années 70
2 – Une méthode à 50 000 $ pour les parents d’enfants autistes
3– Développer de nouveaux troubles pour conquérir de nouveaux marchés
I.3 Plébisciter la norme psychique
I.4 Opter pour l’illusion de la science

II – L’enfant au pas des idéaux
II.1 Eradiquer les rêveurs et les bougillons par la médication
II.2 L’enfant hyperactif : une figure moderne de l’exception ?
II.3 L’échec scolaire : une maladie à traiter ?
22H27
Après les différents exposés de cette journée, où nous avons pu faire un tour historique de la psychiatrie, mon propos sera plus contemporain, voire « futuriste ». Je propose de faire le point sur une certaine actualité de la psychiatrie, à partir de deux temps :
– Le premier vise à mettre en évidence le marketing et les préoccupations économiques dans le domaine de la santé mentale.
– Le second temps sera plus clinique. Mon propos démontrera que le souci de la santé mentale, est tout particulièrement opérant quant il s’agit d’enfants qui perturbent. C’est à dire quant le comportement d’un enfant se transforme en trouble à traiter. Je proposerai deux exemples, celui de l’hyperactivité et celui de l’échec scolaire. Deux domaines où un certain type de pédopsychiatrie est particulièrement incisif.

I – MARKETING ET ECONOMIE EN SANTE MENTALE

I.1 – De la Folie à la norme psychique

Nous savons que de nombreux patients atteints de psychoses chroniques sont aujourd’hui des SDF, mais aussi des détenus. Un tiers des SDF en Île-de-France sont atteints d’un trouble psychiatrique sévère (troubles psychotiques, troubles de l’humeur et troubles anxieux). Voilà ce qui ressort d’une enquête dite Samenta menée en 2009 par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale et l’Observatoire du Samu social d’Île-de-France. Le nombre de malades psychiatriques actuellement en maison d’arrêt a aussi beaucoup augmenté ces dernières années.
On note donc un abandon de la psychose chronique sévère par le Ministère de la Santé. Psychose qui est traité soit sur le versant de l’urgence sociale, soit sous celui de la justice. Cette façon de répondre à la psychose chronique permet de se passer de la manne couteuse en personnel des services de psychiatrie, et ainsi de diminuer les cout non négligeable pour la collectivité que ces prises en charge entrainent.
Parallèlement, une partie du monde de la psychiatrie, sous l’impulsion des laboratoires pharmaceutiques, a pris le parti de conquérir de nouveaux marchés. Ces nouveaux marchés visent désormais à médicaliser des problèmes de la vie qui n’étaient pas jusqu’à présent considérés comme des maladies mentales.
Pour opérer ce changement, il a fallu :
o délaisser la notion de structure (névrose, psychose, perversion) pour se centrer sur celle de trouble (plus de 400 dans le dernier DSM) avec l’idée qu’à chaque trouble correspond une molécule qui la traite. On passe donc de la maladie au trouble.
o introduire l’idée qu’il existait une norme psychique pour les individus.
La conséquence est l’abandon du diagnostic de structure et donc de la prise en compte des processus inconscients. Cela a eu pour conséquence directe la mise au rencart de la clinique du cas. Pour repérer un trouble, avec ce que ce terme suppose comme « trouble à l’ordre établi », il est nécessaire de pouvoir l’observer de l’extérieur, parfois à l’aide de questionnaires rempli par les parents et les personnels de l’éducation nationale.
Il s’agit d’un retournement important en matière de soin psychiatrique, bien éloignée de la dimension asilaire. Si le fou, le schizophrène, le paranoïaque, ont été au centre des préoccupations de la psychiatrie, la vision « moderne » délaisse la maladie mentale chronique pour se centrer sur la création de « nouvelles maladies psychiques ». La modernité subvertit la « maladie mentale » en « santé mentale ». Cela n’est pas sans conséquence. Il s’agit parfois davantage de l’utopie du bonheur pour tous, de la tranquillité, d’une normalisation de l’humain, plutôt que d’un traitement visant à soulager la souffrance et les tourments d’un individu. Cette nouvelle utopie suit une nouvelle topologie, issue du DSM.
Dans ce courant d’idée, soutenu par les tcc, la «co-pensée» remplace le transfert ; les pathologies psychiatriques sont appréhendées sous l’angle génétique…

I.2 – Economie et psychiatrie

Quand on parle de médicament, et de laboratoire, on pense en premier lieu à l’avancée spectaculaire qu’ils ont permis pour alléger la souffrance psychique. Mais on ne peut évincer l’idée que les laboratoires pharmaceutiques, font partie d’une industrie, qui génère un énorme marché économique, coté en bourse. Trois exemples :
1 – L’économie de jeton dans les années 70
La visée économique en psychiatrie ne date pas d’aujourd’hui. Rappelons brièvement que les comportementalistes ont eu dès 1970 l’idée que l’hôpital psychiatrique pouvait faire des économies en mettant les patients au travail. Un programme thérapeutique appelé « économie de jetons » a été utilisé dans les structures hospitalières de psychiatrie. Les patients recevaient des jetons quand ils acceptaient de faire certaines tâches : travailler au sein de l’institution (faire le ménage, le repassage) mais aussi consulter un psychiatre ou un psychologue quand ils étaient réticents. Avec les jetons gagnés, ils pouvaient payer leurs sorties, aller au cinéma, regarder la télévision. Une véritable économie du jeton a ainsi été instituée dans des hôpitaux psychiatriques, avant d’être vivement critiquée.
2 – ABA : Une méthode à 50 000 $ pour parents d’enfants autistes
Le second exemple est très contemporain, puisqu’il s’agit du cout de la méthode comportementaliste ABA, utilisée pour les enfants autistes. Cette méthode dénigre tout particulièrement la pédopsychiatrie classique et la psychanalyse.
Dans un article publié dans le …. Mireille BATTUT, mère d’un enfant autiste, s’est renseignée sur la méthode ABA. Elle témoigne : « Depuis que l’autisme est une grande cause nationale, toutes les bonnes volontés sont bienvenues. Toutes, sauf ces méchants psychiatres et psychanalystes, qui culpabilisent les mères… L’association Autistes sans frontières est là pour nous indiquer la voie « ne mettez surtout pas votre enfant en Hôpital de jour, ni en IME », sauf s’il est débile profond. Offrez-lui ABA, car il le vaut bien…..Les tenants de l’ABA, eux, ne sont pas des amateurs. Ils le disent et le clament sans ambages. Pas de doute : à raison de 40 heures par semaine, pendant 3 ans, nos enfants, pris en charge, pourront réduire leur handicap, au point de devenir quasiment « indécelables » dans un collectif d’autres enfants. ».
Elle ajoute : « On imagine bien que ça coûte cher… mais les sites français sont très discrets sur ces questions. Aucun chiffre n’est fourni sur le coût de cette méthode. Sur les sites américains et canadiens, en revanche, l’information est disponible : 50 000$ par enfant. Mireille Battut ajoute, « Mais moi, parent Ni coupable, NI responsable (c’est garanti par l’association Autistes sans frontières) je me dois d’offrir cette chance, SA chance à mon enfant ».
3 – Développer de nouveaux troubles pour conquérir de nouveaux marchés
Dans certains hôpitaux, les enfants qui ont des problèmes de comportement sont diagnostiqués Hyperactif et traités avec de la Ritaline. Le magazine suisse Le temps, de juin 2012, met en valeur que « La prescription de Ritaline est en forte hausse en Suisse. La part d’enfants et d’adolescents qui ont pris de la Ritaline ou un produit équivalent a bondi de 40% en trois ans, entre 2005 et 2008. En Suisse, le syndrome d’hyperactivité, à l’origine de la prescription de Ritaline, touche entre 2,6 à 10% des enfants ».
I – 3 Plébisciter la norme psychique

La norme psychique s’inscrit dans le courant comportementaliste. Dans les années 70, la thérapie aversive issu du courant comportementaliste, a été vivement critiquée. Elle est conçue pour conditionner le sujet à une réaction d’évitement face à son trouble.
La thérapie aversive s’est par exemple adressée aux homosexuels. Ce sont les mouvements de contestation des militants gays américains qui a permis une révision du DSM qui considérait les homosexuels comme des malades mentaux.
Après différents scandales, le comportementalisme s’est orienté vers le domaine de la cognition, ce qui lui a permis de sortir de cette image. Les cognitivistes présentent leur méthode de façon plus avantageuse, plus tolérante et respectueuse du patient. Dans les années 1980, les TCC font alors une entrée remarquée dans la psychologie clinique américaine, puis en Europe et en France.
Ce courant s’engage dans tous les secteurs qui engagent l’humain : santé, vente, prise de décisions dans les finances, droit et justice.

I.4 Donner une caution scientifique à leur méthode (Opter pour l’illusion de la science)

Mireille Battut, explique : « Il paraît que si nous résistons à l’ABA, c’est que nous sommes arriérés… Nous sommes un nouveau marché à conquérir. La fédération ABA France annonce sur son site (www.aba-france.com) que « l’ABA est une approche scientifique qui a pour objectif la modification du comportement par la manipulation » et qu’elle vise un « champ d’action aussi varié que l’éducation, la psychiatrie, les milieux professionnels, les troubles du comportement, la prévention routière, les addictions, l’autisme, l’hyperactivité » mais aussi le domaine sécuritaire, la communication, etc.
On retrouve ce même procédé scientiste dans le domaine judiciaire quand il s’agit de faire éclater la vérité à l’aide de techniques scientifiques.
Deux responsables du programme « Neurosciences et politiques publiques » définissent un nouveau concept, le « neuroloi » Ce concept désigne l’ensemble des travaux en neurosciences qui participent à l’éclairage des procédures légales et judiciaires. Mieux évaluer la véracité des propos tenus par une personne mise en examen ou le degré de responsabilité d’un accusé, sont autant d’aspects pour lesquels les sciences du cerveau pourraient être convoquées par les tribunaux .
Si l’imagerie cérébrale ne peut constituer une preuve en tant que telle, elle est cependant utilisée afin d’influencer les tribunaux. L’imagerie cérébrale et les explications neuroscientifiques ont été testées en laboratoire pour cerner leurs impacts dans les décisions judiciaires. Dans tous les cas, les résultats de laboratoire montrent que l’utilisation des outils de neurosciences a un impact considérable.

II – L’ENFANT AU PAS DES IDEAUX

II. 1 Éradiquer les rêveurs et les bougillons par la médication

Dans une interview à la radio Suisse Romande, le Dr Haenggeli, neuropédiatre à l’hôpital universitaire de Genève, répond aux questions parfois très pertinentes d’une journaliste. Cette interview est particulièrement précieuse car le Dr Haenggeli sort de la langue de bois et, des études livresques qui abondent en statistique. Cette interview donne une vision beaucoup plus précise puisqu’il s’agit d’un échange verbal spontané.
Lors de cet entretien, le Dr Haenggeli précise que l’hyperactivité (THDA) n’est pas une maladie mais un trouble, une particularité comportementale. Les enfants hyperactifs ont des difficultés dans différents domaines et tout particulièrement quand ils sont en groupe ou à l’école. Les traits de comportement nous sont expliqués de la façon suivante :
« C’est des enfants qui sont extrêmement facilement distraits, c’est des enfants qui sont souvent rêveurs, qui n’arrivent pas à écouter, qui n’arrivent pas à suivre les consignes et qui d’un autre côté sont des bougillons qui parlent beaucoup, qui parlent fort, qui gigotent sur leur chaise, qui se lèvent, qui vont se promener, et qui dérangent en classe. »
Ces enfants hyperactifs présentent des particularités dès leur première année de vie. Les mères d’enfants hyperactifs rapportent fréquemment que leur enfant dormait très mal quand il était bébé. Les parents se plaignent d’avoir été réveillés plusieurs fois chaque nuit durant la première année de vie de leur enfant. Ces enfants avaient aussi du mal à attendre leurs repas. Il cite l’exemple suivant :
« Il y a des mamans qui me disent : « j’ai illico presto dû acheter un micro-wave » parce que l’enfant ne pouvait pas attendre son repas, je devais chauffer le biberon immédiatement parce sinon il se mettait dans un tel état qu’il ne pouvait plus boire et tout se passait mal » .
Le terme de l’enfant qui « dérange » revient à plusieurs reprises, tant du côté des enseignants que de celui des parents. Pour le neuropédiatre, les troubles sont particulièrement repérables dès que l’enfant commence à marcher. Une mère rapporte:
« Du jour au lendemain, quand il a su marcher ma vie a changé, parce qu’il était impossible, c’est-à-dire, il ne marchait pas, il courait, il grimpait, il sautait, il y avait toujours quelque chose qui se passait, toujours un mouvement du matin au soir et surtout il touchait à tout […] » .
La prise en charge des hyperactifs deviendrait problématique au moment de l’entrée au jardin d’enfants à cause de leur agressivité :
« Certains sont un peu agressifs c’est-à-dire ils veulent quelque chose puis ils le veulent tout de suite, donc si un autre enfant a un jouet qui leur plaît, ils le voudront puis ils iront le chercher, puis ils iront le chercher avec force, en bousculant les enfants, ….. puis si l’enfant ne lâche pas, ben ça se termine par des coups, et des fois des morsures » .
Le processus de concurrence imaginaire des enfants de cet âge est donc considéré comme anormal. Sans minorer le fait que certains enfants puissent présenter de réels problèmes d’ordre psychopathologique, nous ne pouvons nous fier à ce type d’observations comportementales isolées pour définir une pathologie chez l’enfant. Ni le réveil des parents par les pleurs et la difficulté d’attendre un repas avant un an ni les processus de concurrence entre enfants âgés de trois ans ne peuvent nous orienter vers autre chose qu’un comportement tout à fait normal. Le Dr Haenggeli affirme cependant que plus l’enfant avance en âge, plus les choses « se gâtent définitivement ». Toutefois, il reconnaît qu’il y a une tentative de rechercher la tranquillité sociale car, nous dit-il, « ces enfants ne répondent pas à l’efficacité exigée par l’école » dans la mesure où ils sont incapables d’avoir « une certaine discipline ». La journaliste, très étonnée des propos du neuropédiatre, lui demande si on ne peut pas analyser ces attitudes de l’enfant sous l’angle de la désobéissance. Le Dr Haenggeli est formel : il ne s’agit absolument pas d’indiscipline. L’aspect « dramatique » avec ce type d’enfant, dit-il, est que les mères se sentent coupables et dépassées par la gestion du comportement de leur enfant. Selon lui, il est préférable de prescrire de la Ritaline® car cela permet d’avoir des classes et des parents tranquilles, évitant du même coup les querelles avec les autres parents mais aussi les problèmes de couple. Le trouble d’hyperactivité étant supposé d’origine génétique et héréditaire, les mêmes troubles seraient retrouvés dans l’enfance des ascendants. Le Dr Haenggeli expose alors les bienfaits de la Ritaline® qui permet de corriger le problème, de modifier le programme humain et, ainsi, d’améliorer la « fonction exécutive, planifier les choses, contrôler les choses, rester attentif, donc ça peut être prouvé par des tests » .
Au fur et à mesure de l’entretien du Dr Haenggeli avec la journaliste, nous avons le sentiment qu’il faudrait traiter toute la population. Car les cognitivistes s’attaquent désormais à la catégorie des hyperactifs de type rêveur. En effet, le diagnostic d’hyperactivité serait relativement facile à établir à partir de comportements où l’impulsivité domine. Mais les chercheurs se sont aperçus, ces dernières années, que le trouble était beaucoup plus discret chez les filles et se manifestait par la rêverie et la distraction. La Ritaline® commence donc à être administrée aux filles afin qu’elles soient beaucoup moins « dans la lune ». Grâce à la Ritaline®, les processus cognitifs et d’apprentissages sont améliorés. Grâce aux médicaments psychostimulants, les enfants pourront suivre les programmes scolaires, « être heureux avec leur famille et avec une école qui marche bien » . À la question de la journaliste, qui s’enquiert de savoir si d’autres méthodes alternatives ne pourraient être proposées, le médecin est formel : les autres méthodes sont un échec. Donc le processus se décline de la façon suivante : « on évalue, on réfléchit, on discute et on fait un essai » . Voilà donc l’explication des 690 % d’augmentation de prescription de Ritaline® en Suisse ! Chez Novartis Pharma, le laboratoire qui commercialise la Ritaline®, ce produit représente, nous dit-on, « l’un des vingt produits phare ». L’idéal de la psychiatrie du XXIe siècle vise donc à éradiquer la pulsion mais aussi la rêverie.
Ainsi, pour les TCC, les enfants doivent être massivement traités et, seulement alors, ils se verront attribuer une place d’exception, digne de celle de Mozart.
II.2. L’enfant hyperactif : une figure moderne de l’exception ?
Le Dr Haenggeli a écrit un livre, sous forme de bande dessinée, destiné aux parents, aux enfants et aux enseignants, intitulé Toby et Lucy, deux enfants hyperactifs. C’est un ouvrage qui se veut didactique avec comme objectif d’illustrer le TDHA de façon simple et agréable. Ce livre rapporte que « les enfants avec le TDHA sont formidables » car ils sont intelligents, imaginatifs et curieux. Dans son ouvrage, il dresse une liste de sujets surdoués qui ont été hyperactifs dans leur enfance. On compte parmi eux quelques génies : Albert Einstein, Jules Verne, Walt Disney, Louis Pasteur, Mozart. Cependant, il ne nous dit pas ce qu’ils seraient devenus s’il avaient été mis sous Ritaline® ? Leur rêverie aurait-elle encore été permise ? La méthode du neuropédiatre est efficace. Elle repose sur des modèles identificatoires valorisant les enfants et les parents. Être hyperactif revient donc à être une exception. Le Dr Haenggeli vante les mérites de la drogue miracle qui permet une amélioration immédiate des symptômes ».
La journaliste qui interviewe le Dr Haenggeli lui fait remarquer que certaines caractéristiques de ce trouble sont présentes chez ses propres enfants. La distinction opérée par le neuropédiatre entre enfants turbulents et hyperactifs repose sur des critères très flous: « on les reconnaît, vraiment quand on a un peu l’habitude de les voir. Un enfant « suspect d’avoir des troubles du comportement » doit toujours être évalué complètement dans la mesure où l’école demande « qu’on ne dérange pas et qu’on ait un certain succès académique » . La visée du traitement est donc de soulager les parents et l’école mais aussi d’éviter que lorsque ces enfants seront adultes, ils ne claquent la porte de leur patron « pour un petit truc », ou encore qu’ils n’empoisonnent leur entourage. La « situation est moins rose » que ne l’espéraient les cognitivistes car le traitement doit se poursuivre le plus souvent à l’âge adulte. Le traitement principal est en effet le médicament car, comme l’affirme le Dr Haenggeli, « la médication en soi, aide le mieux, c’est ce qu’il y a de plus spectaculaire, ça permet à l’enfant de bien travailler, mais attention à long terme, la médication seule, ça n’aboutit à rien, il faut vraiment le tout » .
Cette molécule miracle se révèle aussi spectaculaire dans certaines activés sportives comme le football. Le Dr Haenggeli souligne : « j’ai 2, 3 footballeurs qui sont absolument nuls quand ils ne sont pas sous Ritaline parce qu’ils sont toujours loin de l’action, pas proche du ballon, ils ne sont pas intégrés, ils ne suivent pas le jeu et sous Ritaline : c’est formidable » . Soulignons les superlatifs qui sont associés à la prise d’un médicament qui n’est pas sans danger ni sans effet secondaire chez les enfants. La clé du problème de l’hyperactivité est donc bien la médication qui se décline dans les performances scolaires et sportives, mais aussi dans les bénéfices impressionnants générés par la firme pharmaceutique Novartis Pharma.
II.3 L’échec scolaire : une maladie à traiter ?
Le Dr Revol, neuropsychiatre, responsable du service de neuropsychiatrie de l’enfant à l’hôpital neurologique de Lyon s’inscrit dans une démarche totalement similaire à celle du Dr Haenggeli. Le service qu’il dirige comprend vingt-deux lits dont onze sont réservés au Centre de référence des troubles de l’apprentissage. La France serait en retard sur la prise en charge des enfants en difficulté scolaire. Son service de neuropsychologie se donne pour tâche de remédier à ce problème. Une quinzaine de centres de référence ont été créés avec pour mission « d’évaluer les enfants en difficulté scolaire, de comprendre l’origine, et ensuite proposer une prise en charge, mettre en place des réseaux, informer […]. » L’une des spécificités de ces services est la prise en charge des enfants instables et des enfants précoces, c’est-à-dire des enfants hyperactifs. Nous retrouvons dans cet hôpital français les mêmes méthodes d’action que celles évoquées par le Dr Haenggeli pour l’hôpital pour enfants de Genève. Le Dr Revol explique lui aussi que les « petits débordements » d’un enfant de 3 ans sont, en général, précurseurs de perturbations dans la vie d’un adulte. Ici, ce ne sont plus Mozart ni Einstein qui sont cités en tant qu’hyperactifs, mais Tom Sawyer, Sophie, l’héroïne du livre Les Malheurs de Sophie, Soupaloignonycroûton dans Astérix en Hispanie, ou encore Calvin, dans Calvin et Hobbes, qui cumule hyperactivité et précocité. Le choix de ces hyperactifs est totalement surprenant, tous ont été choisis sur des modèles de personnage de fiction pour enfants, permettant une identification.
Cette technique marketing est pourtant totalement contradictoire car ces pédopsychiatres font valoir que si aucun traitement n’est mis en place, c’est la délinquance qui guette l’hyperactif. Le Dr Revol utilise les mêmes procédés, par exemple la diffusion d’un livre pour expliquer l’hyperactivité, la dyslexie, la dysphasie, la précocité, les tocs, la dépression, etc. Son livre, qui s’appelle Même pas grave ! L’échec scolaire ça se soigne, a pour objectif, nous dit le Dr Revol, d’avoir une démarche honnête, humble et claire.
Dans son livre « Même pas grave ! L’échec scolaire ça se soigne », Le Dr. Olivier Revol soutient l’idée qu’il est possible de guérir de l’échec scolaire, à condition que le bon diagnostic soit posé. Cet ouvrage est un aller retour entre son vécu personnel et sa fonction de pédopsychiatre militant pour aider les enfants en échec scolaire. Enfant précoce, il explique s’être retrouvé catapulter de l’école maternelle au CE2. Et c’est là que ses difficultés ont commencé avec le monde scolaire, sans qu’il en fasse pourtant le lien direct dans son livre.
Dans son livre, il présente le cas d’Antoine, 11 ans, qui vient consulter à la demande de sa mère, qui est, dit-il « pessimiste pour l’avenir de son fils ». Antoine a pu passer en 6ème mais après « d’innombrables week end… gâchés à cause des devoirs ». Car « elle sait de quoi elle parle cette maman qui a pris à cœur d’aider son fils à se hisser de classe en classe ». Mais cette aide acharnée à montrer ses limites car ses « efforts assidus sont mal récompensés » : Antoine fait toujours autant de faute d’inversion, écrit mal, sa lecture est encore hachée et pire, il ne comprend pas toujours ce qu’il lit ». A l’oral, Antoine a une bonne mémoire et une bonne logique, et en dehors de l’école, assez casse cou. Du coté familial, la mère surinvestit le travail scolaire de son fils, mais le père ne s’en occupe pas du tout ». La mère explique au médecin « Vous savez, il n’y a que moi qui puisse l’aider ». Le médecin explique que l’entretien avec Antoine ne montre « aucun signe d’inquiétude particulière » et une relation chaleureuse s’installe entre lui et l’enfant.
La 1ère phase du traitement n’a au départ rien d’original :
o le médecin recommande de reprendre l’orthophonie.
o Il rassure la maman en lui expliquant que le problème est d’ordre « technique ».
o Il propose au père d’intervenir davantage auprès de son fils.
Mais dans cette première phase, bien que le médecin trouve que l’enfant va « bien dans sa tête », il lui prescrit une médication « dont la vertu est d’oxygéner le cerveau, un vasodilatateur cérébral, spécialement préconisé dans le cas de dyslexie ».
Un rendez vous est prévu trois mois plus tard.
Le second rendez vous montre une aggravation et la mère confirme « même en math où il est bon d’habitude, ça coince car il lit mal les questions… et maintenant il fait le pitre pour se faire remarquer…. ».
Le médecin le reçoit seul, et remarque qu’il est calme comme toujours, mais moins expressif et un peu triste, moins loquace que la dernière fois. L’enfant dit « de toute façon, je suis le plus nul de la classe… ». La mère rapporte qu’il pleure parfois durant son sommeil, que leurs rapports se dégradent car elle est très sévère sur le plan scolaire… ».
Résolution 2 : continuer l’orthophonie mais arrêt du médicament. Il prévoit d’appeler la directrice de l’école et revoir Antoine dans trois mois. Il ajoute « Antoine a besoin d’être suivi ».
La directrice contactée dit « c’est une catastrophe, Antoine se sent persécuté, et dit qu’on ne l’aime pas. Elle indique que l’école avait proposé une classe adaptée mais que les parents ont refusé. Le médecin soutient la position des parents, et dit qu’il est hors de question de l’orienter prématurément. Il dit que l’institution scolaire doit faire un effort pour l’accueillir, car franchement ce n’est pas la mer à boire ».
Il décide d’envoyer à la directrice la liste des conseils qu’il donne dans ces cas là.
Troisième rendez vous trois mois plus tard
La tension est montée d’un cran et la mère dit que son fils a fait sauter les plombs à l’école. Son comportement est devenu incompréhensible.
Deux éléments sur la place du père : la mère considère qu’il ne joue pas son rôle, qu’il est trop maternant. Il est au chômage et est lui même dyslexique, ce qu’il vit très mal.
Résolution : Antoine va changer d’école à la rentrée, et finalement aller en cinquième aménagée. Cependant, après un bon début d’année, les résultats se dégradent. Antoine a de plus en plus de mal à supporter l’école.
Le pédopsychiatre trouve qu’Antoine va mieux mais constate que sa mère est de plus en plus stressée.
La lecture de ce cas montre que c’est lorsqu’il redouble sa quatrième qu’il semble aller mieux et fait partie d’une bande de copain.
Le Dr Revol revoit désormais Antoine non plus tous les trois mois mais une fois par an. Antoine est en 3ème, et sa mère lui fait faire deux à trois heures de devoir tous les soirs, quatre heures le samedi et le dimanche, plus l’orhtophonie.
Sur les conseils du Dr Revol, il s’oriente en voie professionnelle. Sa mère déplore qu’il devient insolent et dit « il faut que je le reprenne en main ». Là, le Dr REVOL devient plus clair, et indique à la mère qu’il est positif que son fils commence à réagir.
Il va alors commencer à se déprendre de la relation à sa mère. Mais pour le Dr Revol, c’est le changement d’école qui a tout fait.