Association de Psychologues Cliniciens d'Orientation Freudienne

Le lien déréglé aux parents dans la « conflictualité de l’anorexique

Le lien déréglé aux parents dans la « conflictualité de l’anorexique

Dario Morales

Il est important de reprendre l’anorexie à partir de la problématique familiale. Il y a ainsi une sorte d’homologie entre la « solution » anorexique et la structure familiale qui empêche la patiente à produire son propre symptôme, névrotique par exemple, au profit d’une jouissance narcissique, marqué par le refus, qui affecte, in fine son corps. Au fond, il s’agit de mieux comprendre, la tendance qu’à l’entourage à faire UN dans un lien qui nie l’Autre. Il y a dans ces familles, un dispositif qui tout en annulant le conflit, déplace la conflictualité à l’intérieur du sujet, prenant sa place dans le théâtre du corps. L’autre parental, a du mal à réguler le lien et joue la maîtrise, ou l’intrusion, produisant souvent une insoutenable séparation, mêlée d’amour et de haine, qui rend l’enfant présent sur la sphère alimentaire, et devient anorexique. Mais souvent les parents révèlent dans leurs histoires, leur propre difficulté à se séparer de la demande de leurs propres parents, surtout de la mère (grand-mère) qui continue à exercer, une fonction d’autorité sur la descendance. On peut donc dire que lien dévitalisé de l’entourage est une marque fréquente dans l’angoisse que présentent les patients anorexiques. La question, lorsqu’on engage un travail avec le patient, est comment intervenir auprès de l’entourage pour rectifier psychiquement, pour le sujet souffrant, une solution qu’initialement se trouve ancrée dans le corps ! je vous propose à présent de repenser le dispositif présent chez un certain nombre de nos patientes.

Repenser une clinique avec la famille de l’anorexique

Le point de départ est l’angoisse des parents ; en effet, l’anorexique présente souvent un symptôme sans angoisse et les parents une angoisse sans symptôme. Le travail au premier abord vise à désangoisser les parents, en les faisant travailler, si possible, sur la dimension symptômatique du lien familial et en même temps devra réinterroger et viser la création d’un espace subjectif permettant à l’angoisse de l’anorexique de se présenter. On peut s’appuyer sur les études de Bion, qui considère que les parents ne contiennent pas l’angoisse de la fille mais vont jusqu’à projeter leurs angoisses sur elle, cette dernière répond alors par la construction du symptôme alimentaire. L’expérience des collègues qui exercent à l’hôpital est parlante, il faut contenir l’angoisse des parents, en leur offrant un espace de parole et de l’autre permettre à leur fille de pouvoir retrouver leur propre rapport à l’angoisse, au demeurant absente, comme condition pour une réelle demande de cure. Il ne faut pas oublier que l’anorexique se présente souvent à nous sans demande ou bien avec une demande désubjectivée ou encore en relayant la demande des parents sans y impliquer !! A la demande d’aide sans symptôme des parents correspond un symptôme sans demande chez l’anorexique ; le problème structurale serait comment activer une demande chez la fille et de l’autre comme symptomatiser la position des parents autour de l’état du lien familial.

Le modèle clinique se base sur le binôme symptôme/demande pour lequel l’anorexie exige des variations, en commençant par la rencontre avec le réel de l’angoisse qui rend possible le passage du sujet à une demande effective. Cette variation cherche donc en premier lieu, la « rectification subjective » et pourrait se formuler de la façon suivante : s’appuyer sur la plainte et tenter d’aller vers la reconnaissance de sa responsabilité devant la condition dont elle se plaint : cet opération a pour nom : la rectification subjective. J’ai une jeune patiente anorexique qui me dit, « je veux comprendre », seulement, cette envie est entravée par la dimension réelle de son symptôme qui bloque toute symbolisation. Elle veut comprendre mais elle ne veut pas être le sujet de l’élaboration. De plus, elle veut bien me parler de son corps, des restrictions engagées – ce qui au fond touche le réel du symptôme, mais sans parler d’elle-même. Au fond, l’idée serait d’ouvrir une brèche à l’angoisse afin de laisser un espace à la division du sujet. Cet effet d’angoisse, à la différence de la reconnaissance symbolique recherchée est un bouleversement sans solution, ancrée dans le corps, qui fait bondir le sujet hors de la condition d’homéostase silencieuse et mortifère dont elle s’était enfermée. Je vais le dire différemment. Initialement l’anorexique vit son expérience comme une sorte de lune de miel, en avançant le bien-fondé de son projet, c’est lorsqu’elle se rend compte qu’elle ne maîtrise plus le corps qu’elle peut s’angoisser et quelque chose pour les cliniciens peut vraiment commencer à changer. Chez ma jeune patiente ce n’est pas l’image cadavérique et le regard décollé de son image qui vient du coup la troubler. C’est lorsqu’elle se rend compte qu’elle est faible, pour poursuivre son projet de « mentalisation » qui consiste à éloigner toute velléité corporelle et de l’autre ne pas avoir la force pour chasser le gras. On peut avancer que ce mouvement de rectification subjective est une opération de « restitution » du sujet à sa propre angoisse.

Cet élément nous allons le repérer avec acuité lorsque dans les entretiens nous sommes confrontés à l’écart entre le corps et la parole. La patiente semble s’engager dans un travail, ce sont ces mots, alors que d’un autre côté, le symptôme se radicalise. C’est pour cela que je trouve cela suspect lorsqu’elle me dit, « je veux comprendre ». La compréhension n’a de valeur que si elle rencontre un réel ; l’idée serait donc de trouver un point d’intersection entre parole et corps. Et c’est justement, l’angoisse qui fait point d’intersection chez le sujet entre sa parole et son corps. Lorsque l’angoisse ne parvient pas à émerger, le traitement tourne en quelque sorte à vide, sans rencontrer la souffrance du sujet. Quelle forme prend l’angoisse ? Elle se manifeste voilée sous la forme d’une amplification de la dimension affective, surtout lorsqu’il est question de l’ennui qu’éprouve la patiente dans sa vie quotidienne, ou encore quand elle nous fait par d’une rencontre amoureuse qui masque le sentiment d’être abandonnée, ou encore lorsque la question de l’attachement familial insécurisé par le manque affectif des parents trouve auprès d’une sœur un relai impensé – chez ma patiente ces trois étages se réfèrent comme vous pouvez le constater aux aléas de la question du désir, mais semblent bien imbriqués, lorsqu’elle dit, je m’ennui, j’ai perdu mes passions d’enfant – la musique, le dessin, mon copain ne veut plus de moi, quand je rentre chez moi, je me sens seule, ma sœur a quitté le domicile. Ce qui revient à la place de l’angoisse est un discours volontaire, objectif, « mentalisé » : on entend alors ceci, « je me suis fixé un objectif en lien avec mon idéal, j’avais l’impression que j’avais quelques kilos en trop, j’ai voulu chasser le gras, mais, j’ai l’impression que je me suis fait « violence » alors que je suis sur le chemin de mon idéal, je ne sais pas si je dois aller plus loin ». Ce genre des remarques sont une aubaine pour le clinicien.

J’ouvre une parenthèse, en passant, chez les sujets psychotiques, au contraire, l’angoisse n’ouvre pas les portes du désir, car souvent elle est liée à l’Autre et à son vouloir jouir sans limites. L’Autre sera pris sous une forme abandonnique, sadique, persécutrice, dans ce cas, ce qui serait important est de procéder à une rectification de l’Autre davantage qu’une rectification subjective. Il s’agit donc de définir en nous les cliniciens une manœuvre par laquelle nous réalisons un décollage entre le champ de l’Autre et l’émergence de l’invasion de la jouissance. Je rappelle que l’anorexique psychotique se croit obligé à manger par la force ou duperie – d’où la réponse rigide du refus ; ce qui est efficace serait de montrer que nous ne voulons pas la forcer mais qu’il y a des règles communes que les lois sont conventionnelles, que les soignants ont des missions et le rôle de garder en vie et que pour cela il vaut le coup de s’alimenter. Cette approche permet en théorie de tempérer le rôle de l’Autre vécu comme intrusif, persécutif.

Je vous propose quelques éléments clés qui organisent le traitement et pour lesquels l’angoisse joue un rôle considérable – je précise – dans les cures des anorexiques névrosées : les signifiants qui viennent du sujet – la maîtrise et ceux issus des parents.

1- La perte de la maîtrise : La patiente expérimente une perte de la maîtrise imaginaire qu’elle pense exercer sur son propre corps à travers le mental. Il y a des moments où la patiente avoue qu’elle s’est rendue esclave de sa maîtrise. L’idée consiste à traiter la jouissance massive, de la maitrise à laquelle la patiente tente de s’identifier. La perte du contrôle peut angoisser, du coup il peut être possible de s’appuyer sur cette « nouvelle » angoisse pour faire de l’anorexie un symptôme médical, et permettre ainsi à la patiente d’articuler une demande d’aide adressée au médecin. Bien sûr tout cela n’est pas gagné pour autant, car des facteurs viennent se greffer : il peut arriver qu’elle veuille se soigner par « complaisance » sans qu’elle y consente. Ou bien, elle se présente ambivalente ou bien elle accepte d’y aller, elle veut « médicaliser » le symptôme, mais en même temps elle ne veut point toucher aux aspects psychopathologiques.

S’il est essentiel de parvenir à la rectification subjective il ne s’agit pas tant de la réaliser via le symbolique par la reconnaissance des troubles mais en s’appuyant sur la voie de l’angoisse. Il s’agit donc de donner une limite à la jouissance par le maniement de l’angoisse. J’insiste sur ce point, l’angoisse peut être exprimée lorsque l’anorexique nous dit qu’en maîtrisant son comportement alimentaire ou son vécu d’être, n’arrive pas à faire des choses pour lesquelles elle était habituée – exemple, étudier, se concentrer, ou bien parce que se manifestent d’autres symptômes invalidants, se sentir faible, sans force. Il s’agit donc de s’appuyer sur une remarque qui peut-être angoissante afin qu’elle puisse demander de l’aide à un autre afin que dans un deuxième temps, elle puisse être responsable de sa demande face à l’énigme de sa souffrance, en passant de la position de patiente sur le plan médicale à celle d’analysante sur le plan psychothérapeutique. Ce changement dynamique ne peut être obtenu que si elle accepte de reconnaître un « trou dans le savoir », ce qui dans la thérapie suppose du coup, la reconnaissance du « transfert ». Ce passage permet au sujet d’ouvrir sa capacité évocatrice de la parole, se déplaçant au-delà de la monotonie d’une référence répétitive à l’objet nourriture, du poids vers l’image du corps. Dans ce passage, le sujet découvre qu’il n’est nullement maître de son corps ni de sa parole. C’est alors qu’un processus d’historicisation se déclenche où des passages entiers de son histoire peuvent être dits, évoqués ; des formations de l’inconscient (rêves, actes manqués) parviennent au sujet comme des événements énigmatiques dans lesquels il est impliqué. En somme, le refus qui envahit le sujet laisse à ce moment un espace d’ouverture au travail de symbolisation.

Il faut savoir que l’anorexique quel que soit le dispositif de traitement, individuel, groupe, se rapporte à l’Autre sous une modalité défensive, comme si par rapport à l’Autre, elle n’y était pas. Ceci pose le statut de son corps, comme s’il était absent, sinon mort. Au fond, il faut savoir que ces stratégies ont pour objectif de contrôler l’Autre, le rendre absent, le neutraliser ou le rendre inexistant. C’est ma façon à moi de comprendre ce discours qui se présente sous la forme d’une rumination continuelle en circuit fermé autour des préoccupations qui concernent la nourriture, le corps, le poids. Toutefois il arrive parfois qu’elle abuse en faisant usage d’un mécanisme typique, « la recherche du sens » qui donne redondance à la symbolisation comme si c’était une leçon de psychothérapie. Dérive qui se manifeste par une forme d’élaboration qui tend vers le « trop de sens ». La patiente se montre complaisante, accepte ou propose des interprétations sans trop vouloir céder sur le contrôle.

Mais sans y aller si loin, comme je le mentionnais précédemment, ce mouvement de rumination prend généralement chez l’anorexique, la forme anxieuse de la disparition et du refus. C’est justement par ce biais, du côté de l’insupportable du refus que l’Autre parentale entre en scène. Mais si la fille a du mal à supporter les signes de réprobation et de déception de la part des parents, eux aussi ont également du mal à créer un espace pour que se manifeste un désir singulier de leur fille, différent du leur et situé au-delà de leur horizon narcissique. Cela ne veut pas dire que les parents n’aient pas prodigué à leur fille des soins attentifs. Je crois plutôt que les parents le font mais cela souligne également le malentendu (pg 247), leur façon de confondre de façon accablante le soin et la demande. Je vais préciser les contours.

2- Les signifiants qui viennent des parents : Il s’agit de phrases prononcées par des figures tutélaires essentielles (soit le père, la mère, la grand-mère, l’institutrice, l’enseignante, etc) et qui ont des retentissements sur le corps. Ces phrases sont parvenues à la patiente sous la forme de jugements impératifs et qui finissent par laisser sa trace dans son orientation pulsionnelle. Dans le passage de l’enfance à la pré-puberté et pendant la puberté se créent des rapports particuliers avec les frères et sœurs et des amitiés avec des filles dont la rupture sert de conjoncture au déclenchement de l’anorexie. A travers les récits des patientes, sont rapportées des situations où les rencontres avec les jugements sur elles ou sur leurs corps, semble avoir laissé une marque. J’avais évoqué le rôle de l’enfance, la rencontre avec un point d’angoisse : une rupture, un déménagement, une remarque portant sur le corps produit un effet traumatique. Arrêtons-nous un instant sur les énoncés qui énoncent les idéaux transmis par les parents et qui fonctionnent comme des ordres. On trouve là, l’adhésivité de la fille aux idéaux transmis par les parents et qui prennent la forme du perfectionnisme typique qui consiste à réaliser à la lettre, de façon excessive les idéaux des parents, précédent le déclenchement de la maladie. Il faut savoir que si le refus anorexique est identifiable lorsque la maladie s’installe, il n’est rien d’autre que le revers de la médaille de la complaisance perfectionniste vis-à-vis de l’idéal transmis par l’Autre, complaisance poussée à cette limite extrême que l’on trouve souvent exposé dans la plupart de ces histoires. A un ordre à exécuter, il arrive au sujet de dire oui, il s’en suit le déclenchement de l’anorexie. Dans la logique de l’expérience anorexique ce qui prédomine est la dichotomie rigide (la pensée séparée du corps), et ceci afin d’éviter l’ambivalence vis-à-vis de l’Autre et de l’idéal qui se produit chez tout adolescent au cours de ce que l’on appelle habituellement la crise, qui est simplement la traversée de l’adolescence. Devant la nécessité de dénouer ces éléments, l’adolescent recule. Chez ma patiente, le projet d’une classe prépa et le discours vanté à maintes reprises par les parents, d’autonomie et d’indépendance est en quelque sorte caricaturé. En effet par l’isolement qui s’en est suivi. L’autonomie supposée montre son vrai visage en se transformant en refus.

3- Les signifiants de la vie et de la mort : un autre élément clé, le destin pulsionnel de l’anorexie semble aller en direction d’un suicide différé, lié à la faiblesse du corps, mais dont l’intentionnalité ne semble pas aller du coté de la mort. Vivre sans manger est le leitmotiv qui définit la position de ma patiente. La mort ne semble pas être son truc mais plutôt son lien à la vie et qui présente cette particularité de soutenir une dimension mythique du vivant mais à condition de ne pas être contaminée par l’intervention régulatrice du signifiant sur le corps. Elle se vit comme un « corps glorieux » ayant réglé les contingences de la vie matérielle et végétative En excluant la marque du signifiant sur le corps ce qui semble être réactivé est l’expérience mythique d’une satisfaction pleine dans le rapport à l’objet primaire qui semble fonctionner dans l’anorexie comme une alternative au régime auquel est soumis tout être parlant, la castration. Je vais le dire autrement, malgré les privations que l’anorexique s’impose, elle ne veut pas perdre la jouissance de la vie, elle veut comme le montre la toxicomanie, jouir de l’expérience de « fusion mythique » avec l’objet primaire, l’oralité par exemple, en mettant de côté les marques du signifiant. La solution anorexique consiste à trouver un objet à manger qui n’implique pas le signifiant, c’est-à-dire la dynamique de l’échange du don et du contre don, la demande et l’offre qui caractérisent le monde du signifiant. Chez l’anorexique, l’idée est donc d’échapper à cet ordre, celui du signifiant sans pour autant pouvoir le faire ; d’où sa trouvaille, se nourrir d’un objet spécial qui garde un rapport indivisé au domaine du signifiant, et qui préserve de la perte, l’objet « rien », car le « rien » renvoie à l’insignifiance du signifiant. Un corps glorieux, l’ange par exemple, n’est pas soumis au temps, à la corruption physique. Un corps glorieux n’a pas besoin de se nourrir. C’est une âme, un esprit, nourri uniquement par l’amour de Dieux. Mais là où l’anorexique se trompe et perd, c’est que le « rien » est combien même, avant tout un signifiant ! Le « rien » est quand même, quelque chose !

4- Retour à l’ambivalence : si choses se déroulent bien, on peut imaginer que la patiente par le pouvoir de la parole, fissure la rigidité contrôlante et surmoique dans le rapport à l’Autre et à la nourriture ; ceci lui permet de s’extraire du schématisme figé manichéiste du mauvais et du bon, de l’inclusion et de l’exclusion pour s’ouvrir à l’ambivalence. Je ne vais pas décrire ici les mouvements de ce passage, mais je vais plutôt évoquer la destabilisation qui procure, car ce passage produit une félure de la solidité de la fonction de refus. Le passage amène à reconsidérer le rapport à l’amour. L’Autre ne se présente plus comme un lieu du refus mais articulé au refus du don ce qui l’amène à reconsidérer la trace du don comme acte et comme signe de cet amour. le sujet est appelé à décider d’accepter quelque chose de l’Autre et, donc, de dépendre de lui comme celui qui émet le don qui lui parvient et comme formulant une demande surmoïque à laquelle il doit d’obéir. Autrement dit ce qui fonctionne comme facteur traumatisant chez l’anorexique ce n’est pas point le signe du refus de la part de l’Autre mais la rencontre avec le désir et la satisfaction de l’Autre qui dit oui. Cette rencontre, mine à la racine le contrôle de l’Autre que le sujet a édifié par la construction de sa solution anorexique. C’est donc entre peur et désir que l’anorexique avance. J’ai une autre patiente anorexique qui est à ce stade, d’un côté, elle est encerclée par des parents angoissés mais de l’autre, elle investit un partenaire, mais pas vraiment du côté libidinal mais comme un point d’appui. Le lien n’est pas érotisé, il est un ami très proche, sorte de confident ; depuis quelque temps elle tente de s’éloigner de lui pour aller vers un autre partenaire de désir. Parfois elle regrette d’être arrivée là mais elle veut avancer. Le mouvement d’aliénation – séparation qu’elle entretient avec la nourriture est remplacé par un partenaire dont la rencontre est à la fois recherchée et évitée. Et c’est donc dans une dialectique de dévoration et de refus que la relation avec ce nouvel partenaire se structure. Vous allez me dire mais alors rien ne change ? Je répondrais en disant, d’abord il faut être prudent il ne faut pas encourager les patients à faire des rencontres mais ensuite je dirais passer du refus à la dévoration, du refus à – refuser-dévorer est déjà un pas équivalent à passer du « corps glorieux » au « corps charnel » L’angoisse est moins présente bien que dans la relation surgissent des fantasmes de contrôle et de dévoration. La dévoration est alors l’opposée de l’incorporation signifiante. Dans le travail thérapeutique aussi, nous avons besoin d’incarner à la fois l’objet de dévoration et de refus, mais nous devons rester à notre place quoi qu’il se passe sans la dévorer ni la refuser. Toutefois ce passage perturbant est aussi révélateur. Et ce que l’on constate alors c’est que la menace que représente l’Autre ne se situe plus dans les figures des personnages de la famille, mais elle-même la découvre comme étant derrière elle, dans les espaces vides de son discours, dans les points où la parole se gèle et que son corps recule, où son désir a peur pour être entraîné par la poussée d’une jouissance indicible et totalisante qui la rappelle à son enfermement.

Le point où une conclusion thérapeutique s’accomplit lorsque la jouissance du rien est transformée en perte qui ne paralyse plus la vie qui trouve à se localiser de façon résiduelle de façon à rendre la vie supportable. Au fond, c’est lorsqu’elle ne se contente plus d’aller mieux ni de comprendre mais de vouloir savoir ce qui s’est passé dans son être pour avoir fait le choix de la solution anorexique. Dans ce dénouage, ce qui revient est la production du symptôme habituel de la névrose formulée par la question de l’être et du désir et non pas d’un dramatiquement arrangement du sujet confronté au réel de sa jouissance.