Association de Psychologues Cliniciens d'Orientation Freudienne

L’école, lieu de soins ? – Introduction –

Dario MORALES

Présentation de la soirée :

L’intégration ou inclusion selon la terminologie actuelle dans le domaine scolaire des enfants en situation de handicap mental suscite bien des questions ; cette soirée veut en décrire quelques aspects. Nous avons pensé aux professionnels concernés : formateurs, enseignants, éducateurs et soignants, pour qu’ils nous donnent un éclairage à partir de leurs pratiques.

Dans son exposé, M. Daniel Calin nous fera part des enjeux de l’éducation spécialisée et des grandes orientations actuelles.

En ce qui me concerne, je vais simplement rappeler comment l’accroissement des difficultés chez l’enfant conduit au fil du temps, lorsque les échecs se cumulent, à sa marginalisation voire à sa stigmatisation ; et, souvent dans bien des cas, à une insertion sociale difficile à l’âge adulte.

En France, l’instruction est rendue obligatoire jusqu’à l’âge de 16 ans ; elle est obligatoire depuis la fin du 19 siècle. A cette date, les instituteurs s’aperçoivent rapidement que les écoliers n’ont pas tous les mêmes aptitudes et que certains ont du mal à suivre l’enseignement. Ce constat amène l’Etat à réfléchir à des solutions pour résoudre le problème d’inégalité scolaire. D’où la proposition des classes de perfectionnement qui, dès le début du 20ème siècle, vont donner un cadre institutionnel dans ce qui sera appelé ensuite « l’éducation spécialisée ». Dès lors, il s’agit d’éviter d’enfermer les enfants et les adolescents dits arriérés dans des catégories d’exclus du système scolaire par dispense médicale. D’où leur implantation dans les écoles ordinaires qui deviendront ensuite des « classes intégrées », plus tard relayées par l’intégration individuelle en classe ordinaire et aussi par la création de classes spécialisées en milieu scolaire ordinaire et/ou leur scolarisation en établissements spécialisés.

Chaque classe aura sa particularité au niveau du handicap. Certaines vont accueillir des enfants atteints d’un handicap mental, d’autres des enfants souffrant d’un handicap moteur, auditif, visuel, etc. c’est donc plus tardivement que ces classes vont intégrer des enfants atteints d’autisme ou des troubles autistiques. Elles vont se développer en même temps que les associations de parents d’enfants autistes. Le mouvement de ces associations sera d’ailleurs à l’initiative du projet d’intégrer / inclure les enfants autistes dans les écoles ordinaires.

Parallèlement à ce mouvement, la loi du 11 février 2005 « pour l’égalité des droits et des chances » viendra donner un cadre général à l’égalité des droits et des chances, à la participation et à la citoyenneté des personnes en situation de handicap, en proposant d’abord une définition du handicap : « Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant» et en donnant ensuite un cadre pour la scolarité. Sur ce point, la principale innovation de la Loi est « d’affirmer que tout enfant, tout adolescent présentant un handicap ou un trouble invalidant de la santé est inscrit dans l’école de son quartier. Il pourra ensuite être accueilli dans un autre établissement, en fonction du Projet Personnalisé de Scolarisation. Les parents sont pleinement associés aux décisions concernant leur enfant. Sont mis en place les équipes de suivi de la scolarisation et les enseignants référents.

Le deuxième point que je voudrais évoquer est un point clinique, en particulier lorsqu’il s’agit de penser au type d’apprentissage qui relèverait de la psychose, de l’autisme. Il faut d’ailleurs distinguer en effet les autistes qui ont un déficit intellectuel – ceux que l’on reçoit le plus souvent dans les CMPP ; et ceux qui n’ont pas de déficit intellectuel. Cette question sera certainement abordée au cours de la soirée ; je veux simplement préciser en suivant Lacan que le psychotique n’est pas hors du langage, mais il est hors du discours ; cette différence relève de la distinction entre deux opérations de la subjectivation du sujet : l’aliénation et la séparation. L’inscription dans un discours suppose un après le temps de l’aliénation, à savoir l’opération de séparation. L’enfant passe par un temps initial d’aliénation aux signifiants de l’Autre, pour ensuite s’en dégager et entrer pour son compte dans le discours. S’inscrire dans un discours suppose donc une opération de séparation, faisant du langage un outil de communication. Là où se déployait la « jouissance de la plurivocité des langues », le langage introduit l’univocité, afin de garantir le rapport au social.

Le « hors discours » de la psychose comprend ainsi l’installation préalable du côté du champ de l’aliénation ; le sujet s’installe dans l’aliénation, mais ce qui manque c’est le temps de la séparation ; car la séparation vient contrebalancer l’effet de l’aliénation imaginaire, symbolique et réelle, dans laquelle se construit l’appareil psychique du sujet. Or, dans l’autisme c’est le temps de l’aliénation qui pose problème : il fait « défaut ». Nous sommes ici confrontés à un refus d’y entrer, le sujet s’arrêtant au bord de l’aliénation. Dans ces conditions, lorsque nous faisons face aux appels angoissants de la communauté des parents, des enseignants, pour que l’enfant arrive à apprendre à l’école, nous devons mesurer le chemin que l’enfant a fait dans sa constitution subjective. La clinique nous apprend que le sujet névrosé vient à la clinique, comme par accident, par achoppement, parce que quelque chose vient ébranler son installation dans un discours ; or, dans l’autisme c’est l’installation même du discours qui pose question, d’où un apprentissage qui ne relève pas forcément à prime abord du forçage scolaire, mais qui relève de l’invention de l’enfant, lui permettant son inclusion dans une modalité de suppléance qui fasse office d’inscription dans l’aliénation. Ceci permettra ensuite au sujet de rentrer dans un discours, par exemple en prenant appui sur son « îlot de compétence » (1); ou bien en faisant confiance aux constructions du sujet autiste, constructions qu’il effectue sur son objet préférentiel. Ses « obsessions » stéréotypées, par exemple, peuvent être utilisées comme point de départ d’un travail individualisé (2). Il s’agira, non pas d’éliminer ses intérêts envahissants, mais de les respecter et de les réguler (3) ; ou encore, de maintenir un certain style de relation à l’Autre, une sorte de relation discrète fusionnelle ou de dépendance à un partenaire lui permettant d’accéder à un certain nombre d’apprentissages non négligeables. En somme, des apprentissages, mais tout en tenant compte de la singularité du sujet. L’important au fond, c’est : quel apprentissage pour quelle autonomie ?

(1) Maleval J-C., L’autisme et la voix, Paris, Le Seuil, p. 324.

(2) Ibid, p. 320.

(3) Ibid, p. 324.