Association de Psychologues Cliniciens d'Orientation Freudienne

Présentation de la soirée trouble du comportement et déscolarisation – 41eme soirée : la déscolarisation de l’enfant

Dario MORALES

affiche 09.04.14Bienvenus à cette soirée consacrée à cette période de la vie qui correspond au passage par l’école (primaire et le collège). Freud rappelle dans son texte sur « la psychologie du lycéen », l’âge où l’enfant, l’adolescent a le pressentiment de sentir en lui un projet qui s’ébauche d’abord à voix basse jusqu’à ce que dans sa dissertation de fin d’études il puisse le vêtir de paroles sonores : « Apporter dans sa vie une contribution au savoir humain ». C’est un long cheminement intérieur et secret qui va mener cette intention à sa mise en paroles, à son inscription de ce désir dans le champ de l’Autre, ici, au champ de savoir sur l’homme. Je dis cela et je salue parmi nous la présence de Pierre Lignée qui est prof des écoles qui a fait le choix particulier de venir de l’éducation nationale pour travailler dans une structure où les enfants semblent au prime abord, être des estropiés de la vie. On pourra à loisir répertorier les symptômes très voyants de ces enfants perturbateurs, ayant des comportements souvent violents, à l’angoisse omniprésente, manifestant des troubles majeurs de l’apprentissage qui viennent souligner leur impossible inscription au sein de cet Autre qu’est l’école. Or l’exposé de Pierre Lignée nous montre comment derrière cette impossible inscription se cache en réalité l’intention de trouver une inscription dans l’Autre et qui s’exprime le plus souvent de façon bruyante par la violence, l’agressivité, l’insulte. Car il y a de l’Autre, à travers ces comportements. Ces symptômes de l’inscription vont trouver dans l’impossible nomination de sa place pour un Autre, l’expression la plus manifeste.

Deux éléments m’ont interpellé dans la préparation à cette soirée. Je voudrais donc évoquer un point qui à mon sens se croise dans la clinique du symptôme à l’âge des apprentissages que nous voulons revisiter ce soir. La relation du sujet au signifiant convoqué dans le type de nomination qui lui sert de présentation et qui n’est rien d’autre qu’un rapport à l’identification. C’est donc au croisement du lent détachement envers des parents devant cette instance qu’est l’institution scolaire que le savoir sur soi est convoqué ici. La clinique nous apprend que l’on ne construit pas son identité de sujet autour des seuls savoirs scolaires La clinique nous amène à constater l’existence de ce difficile problème d’un sujet qui cherche à se penser comme sujet. Pour le dire autrement, nous constations que le sujet porte un nom quelconque, imaginez un enfant adopté, la question qui est soulevée est ce qui se rajoute, ce qui s’additionne ou se soustrait – subjectivement – lorsque l’on porte un nom, surtout lorsque l’enfant est adopté. Or porter un nom cela ne suffit pas il faut également vouloir le porter. Prêtez attention, les cas de ce soir, portent la marque de cette difficulté majeure. Que veut dire porter un nom, un nom propre ! Que veut dire s’identifier à son nom !! Je vous rappelle que le sujet ne s’identifie jamais à un nom, à sa totalité, mais à un trait, c’est justement ce trait qui est le substrat du processus d’identification. Nous allons assister à sa mise en oeuvre. Cela peut être tantôt lorsque le sujet cherche à s’identifier au rêve de la grande mère ; mais qui ensuite ce même trait handicapant servira à construire un point de suppléance dans la création des scénarios ; cela peut-être lorsque le sujet va repérer en soi qu’il est porteur d’un diable ;
cela peut être lorsque le sujet va s’identifier à son nom effacé par l’adoption ; et cet effacement va le pousser à chercher une solution symptomatique pour se battre contre le vide.

Deuxièmement. Nous allons suivre de près des vignettes cliniques qui vont signaler comment le savoir de l’adulte fonctionne à la fois de façon structurante et/ou destructurante pour l’enfant (la mère chez Eugénie, la grand-mère chez Edgar). La clinique nous apprend que l’on ne construit pas son identité de sujet autour des seuls savoirs scolaires. L’école est l’âge où l’on quitte progressivement le foyer familial, plusieurs heures par semaine, où l’on rencontre d’autres adultes, d’autres enfants.

Au XIXe siècle, Freud avait l’idée qu’il fallait une action extérieure, une action sociale, pour séparer l’enfant de sa famille. Pour Freud, les liens familiaux sont très forts. Il fallait y opposer une autre force, celle de la civilisation. La société devrait donc faire usage de tous les moyens afin que chez l’enfant, se relâchent les liens familiaux trop forts qui existent pendant l’enfance. L’école est devenue ainsi comme le rappelle l’historien Philippe Ariès, le véhicule, l’instrument social de cette séparation.

Ce qui me semble important à signaler, j’avais dit, à travers les questions du processus de l’identification et de la nomination, c’est la lente transformation qui démarre au cours de l’enfance se poursuivant ensuite à l’adolescence, dans le rapport à l’objet. En passant, la grande différence que je fais entre enfance et adolescence, c’est que ce dernier se prépare après une période de latence à faire ses premiers pas dans le but de rencontrer ou de retrouver l’objet alors que le premier a à construire un espace de la séparation. Pour le dire avec d’autres mots, je dirais que l’enfant crée un espace alors que l’adolescent fait un mouvement, ce mouvement est précédé lorsqu’il est réussi par la mise en place d’un espace où l’objet peut se faire absent, s’il y a mouvement à l’adolescence c’est parce que le pulsionnel vient à se déployer.

Situons nous ici du point de vue de l’enfant, à certains moments, même en présence de sa mère, l’enfant ne semble pas satisfait, comblé par elle. La meilleure chose qui puisse arriver à l’enfant est que la mère se pose la question « mais qu’est ce qu’il veut ? ». C’est la meilleure chose parce que cela ouvre l’espace nécessaire à la métonymie du désir. Mais pour produire un tel espace, l’enfant se guide vers l’objet extérieur, en s’appuyant sur le prisme du rapport parental. Pour l’enfant, l’homme et la femme c’est d’abord père et mère. Le fait que les parents s’éprouvent comme manquants comme n’ayant pas de réponse à tout, permet à l’enfant de s’éprouver aussi lui aussi comme manquant, et donc susceptible de désirer autre chose. De même lorsque les parents s’absentent, marquant aussi que leur désir est ailleurs, l’enfant peut trouver là un espace pour substituer à la mère un autre objet de satisfaction, fût-ce en rêve. Cet espace ouvert entre les parents et l’enfant, nous pouvons l’appeler l’espace phallique, marqué par le signifiant du manque et du désir à la fois.

Petit problème, les enfants que les collègues invités ce soir accueillent dans leur institution ressemblent paradoxalement aux adolescents, ils ne sont pas vraiment dans la construction d’un espace mais plutôt ils semblent être en mouvement, ils sont dans l’agir, la violence verbale ou physique, ce qui me fait dire qu’ils sont encore collés à l’objet jusque là indifférencié et la seule solution possible est alors de s’arracher brutalement, en s’arrachant ainsi ils découvrent paradoxalement l’objet, ils tentent de le différencier mais sans y parvenir. Du coup, ces actes n’amènent pas vraiment à des séparations, ils montrent plutôt le collage à l’objet. Or la clinique nous apprend que seule la rencontre de l’objet et donc de sa perte produit une identification et donc une nomination du sujet. Pour apporter ici une référence théorique issue de Lacan, je dirais que l’objet est ce qui va servir à la séparation du sujet et de l’Autre. Autrement dit, il ne s’agit pas tant de se séparer de l’objet que d’utiliser un objet
extérieur pour se séparer de l’Autre jusque là indifférencié. C’est la rencontre qui produit l’identité et non pas l’identité qui permet la rencontre.
Un jeune psychologue m’amène en contrôle le cas d’un jeune enfant âgé de 6 ans, très agressif, pris dans une classe CLIS, et suivi à l’Hôpital de jour, le jeune psychologue amène la production de cet enfant ; dans un premier temps l’enfant passe son temps à découper des bouts de papier, plus tard, il dessine des formes circulaires qui s’entre croisent, qu’il découpe, sans pouvoir faire une nette séparation entre les deux figures ; plus tard les cercles évoluent et ils sont nettement séparées ; puis, dans les séquences qui suivent, les cercles ont des bras et des jambes ; il peut les séparer et les nommer : papa et maman, enfin, dans une dernière série de séquences ; il dessine les cercles, avec des bras et des jambes, un des cercles possède un pénis ; il dit, « ce cercle là, celui-là, c’est moi ». Enfin, dans une ultime série, il dessine un seul cercle avec des bras et des jambes et un sexe d’homme ; il se positionne ainsi dans son être de sujet par rapport à l’absence du deuxième cercle. L’ensemble de ce mouvement montre bien, comment se déploie progressivement la position du sujet face à l’objet ; au départ dans l’indifférenciation, puis dans la démarcation, enfin, la rencontre qui produit une esquisse d’identité offre au sujet la possible identification à tel ou tel sexe tenant compte du manque de l’autre. Les conditions sont ainsi réunies pour que le sujet accède au désir. Car ce qui constitue le désir est une succession de rencontres de l’objet (différencié), rencontres qui produisent le manque. Ainsi à chaque fois que le sujet rencontre l’objet ; bien qu’il soit découpé par lui mais sans le détruire, il peut s’avérer que cela « rate » mais en produisant le manque, l’absence, il produit le deuil, il produit un désir. Le travail thérapeutique consistera alors à dégager, rendre possible dans le meilleurs des cas, cette coupure permettant la rencontre avec l’objet et même si cela rate, de permettre à faire subsister un objet qui peut être ensuite perdu, expérience qui se renouvellera plus tard à l’adolescence et obtenir à terme la place de sujet. Les vignettes de Claire et de Leonardo montrent bien ce mouvement où le sujet se fait l’objet de la jouissance de l’Autre, ou de son exclusion avant de devenir le sujet porteur d’un secret et de créer son propre scénario.

L’âge des apprentissages est donc cet espace pour paraphraser Winnicott un espace transitionnel où se déploient les infinies ressources de l’accès à l’objet et donc à sa séparation ; nous verrons à travers ces travaux comment ce travail est semé d’épreuves et de ratages !! Ou pour le dire en termes freudiens, nous assisterons au passage de la voix basse parasitée par la violence et l’agressivité à la parole sonore qui engage le sujet.