Association de Psychologues Cliniciens d'Orientation Freudienne

Présentation d’une situation sociale : « Un tricot à mailles serrées avec des trous »

Marie JOIGNEAUX

Genèse de l’accompagnement social

Lorsque le 3/11/2004 j’ai rencontré Mme pour la première fois, je la connaissais déjà bien.

Depuis ma prise de fonctions au CMP, 2 années auparavant, elle avait été hospitalisée sous contrainte à 4 reprises (2 HO, 2 HDT).

Les infirmiers qui la voyaient au CMP ou à son domicile, faisaient régulièrement état des difficultés liées à sa prise en charge à la réunion d’équipe hebdomadaire.

Sans jamais la rencontrer personnellement, j’ai été interpellée à son propos :

  1. Par son médecin pour demander à son Assistant Social de Secteur de signer une demande d’HDT afin de pouvoir la faire hospitaliser, à la suite du signalement qu’il avait lui-même effectué.

  2. Par son médecin encore qui m’avait demandé de lui trouver une maison de repos acceptant les chiens (je n’en n’ai pas trouvé).

  3. Puis, à plusieurs reprises par son curateur qui me tenait informée de l’état d’avancement de la procédure d’expulsion engagée à l’encontre de Mme par son propriétaire, pour des troubles de jouissance.

J’avais alors relayé les inquiétudes du curateur en les exposant à la réunion clinique hebdomadaire.

Au 1er appel du curateur, Mme étant hospitalisée, le médecin me demande de me mettre en relation avec ma collègue AS de l’hôpital.

J’ai ensuite été sollicitée pour apporter à l’équipe un éclairage sur le déroulement et les éventuelles conséquences de la procédure d’expulsion sur la situation locative de Mme .

Le 26/09/2004, le curateur m’interpelle pour la 3ème fois. Il m’informe de la réactivation de la procédure d’expulsion par le bailleur. Mme est accusée par le gardien de l’immeuble de recommencer à faire ses besoins dans l’ascenseur, d’écraser ses mégots partout et d’insultes à son encontre.

Ces propos inquiétants ne correspondent pas à ce que son médecin avait observé lors de sa dernière consultation du 10/09/2004 (soit 2 semaines auparavant):

« Va bien, pas d’angoisse, pas de troubles du sommeil. Conflit persistant avec le gardien, se sent persécutée par eux. Distance possible, éléments délirants ? Pas d’éléments dépressifs. Orientée vers centre de soins pour bilan annuel (mammo, tabac), RO idem 1 mois (mogadon, 3 le soir) ».

Le médecin décide alors de renforcer les visites à domicile par les infirmiers.

Parallèlement, il demande à Mme de prendre RV avec moi pour faire le point sur la réalité du problème et l’état d’avancement de la procédure d’expulsion.

Mme prend donc RV avec moi et viens me voir au CMP le 04/11/2004.

Au moment où elle vient me voir pour la 1ère fois, je sais donc de Mme :

Qu’elle est âgée de 51 ans, qu’elle vit seule dans un logement du 1% patronal

Son fils unique est âgé de 16 ans. Le Juge des enfants a ordonné son placement judiciaire à plusieurs reprises. Il vit depuis 2 ans chez une famille d’accueil et vient voir sa mère une fois par semaine. Il est suivi par un éducateur de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE).

Elle a travaillé comme secrétaire dans une grosse entreprise installée à proximité. Elle a cessé toute activité professionnelle depuis plusieurs années.

Elle perçoit une pension d’invalidité, complétée par une assurance invalidité souscrite par son employeur. Son budget est géré par un curateur.

Elle est connue du CMP depuis la naissance de son fils, son adhésion aux soins est très relative.

Elle est très régulièrement hospitalisée, dont plusieurs fois en Hospitalisation d’Office.

Elle a des périodes d’alcoolisation, elle se dégrade physiquement. Elle néglige son hygiène corporelle et vestimentaire. Son médecin s’interroge sur l’éventualité d’un début de démence.

Elle terrorise ses voisins et le gardien de son immeuble. Des pétitions circulent pour se plaindre de ses agissements : harcèlements téléphoniques, départs de feu dans le local poubelles, excréments du chien dans les escaliers, mégots de cigarettes dans l’ascenseur, injures….

Elle est soupçonnée d’avoir dérobé du papier WC et un pot de fleur à l’accueil du CMP.

Elle donne du fil à retordre à mes collègues infirmiers, et ce, depuis de nombreuses années.

L’entrée en relation

C’est dans cet état d’esprit et investie de cette mission d’éclairage que je fais la rencontre de Mme.

L’entretien est bref, non informatif.

Dans le dossier, j’ai écrit « 03/11/2004, Marie JOIGNEAUX, AS, 1er contact avec Mme  »

J’ai néanmoins obtenu son accord pour un 2ème RV en présence de son curateur

A cette 2ème rencontre, le curateur m’apprend devant Mme :

  1. Que l’audience se tiendra au Tribunal début janvier 2005, soit dans 2 mois.

  2. Que le dossier du bailleur contient de multiples preuves de ses exactions.

  3. Que rien ne plaide en la faveur de Mme,

  4. Que la probabilité que le Juge ordonne son expulsion est très importante.

Mme nie tout en bloc.

Elle se montre toutefois inquiète des conséquences de l’expulsion.

Je lui propose alors le projet suivant :

  1. Je viens la voir chez elle pour me faire une idée plus précise de son logement ;

  2. Je l’accompagne au Tribunal d’Instance le jour de l’audience et au Service Logement municipal pour déposer une demande d’HLM ;

  3. Si son médecin en est d’accord et elle aussi, nous nous verrons aussi souvent que nécessaire jusqu’ à la résolution de son problème.

Le déroulement de l’intervention sociale

C’est ainsi que :

  • Pendant une année entière (de fin 2004 à fin 2005) une prise en charge sociale intensive à domicile se met en place. Cet accompagnement s’effectue en lien direct avec Mme et son entourage, conjointement à celle des infirmiers du CMP. Nos interventions parallèles sont entrecoupées par 4 hospitalisations : 1 HO, 1 hospitalisation en réa, 1 en pneumo et une intervention chirurgicale. Mme est réhospitalisée en HO à la demande du Maire de la Ville à la fin de l’année (12/2005).

  • Pendant l’année qui suit (du début 2006 à 02/2007) : Mme regagne son domicile en congé d’essai de HO après 3 mois d’hospitalisation (22/02/2006). L’accompagnement social passe au second plan, celui des infirmiers se renforce. Au bout de 6 mois, (le 26/07/2006), le congé d’essai est levé suite à la réhospitalisation de Mme en réanimation. Elle sort contre avis médical 10 jours après.

15 jours après, elle est à nouveau hospitalisée en pneumologie (le 29/11/2006), et part en maison de repos psychiatrique (le 09/03/2007). Elle regagne à nouveau son domicile une semaine après son admission.

Une nouvelle hospitalisation en psychiatrie est décidée dès son retour chez elle (le 30/03/2007). Je passe alors le relais de mon accompagnement social à ma collègue de l’Hôpital.

Pendant cette période, le Juge des enfants a ordonné la fin du placement judiciaire et son fils est revenu vivre chez elle (09/2006).

  • Pendant les 18 mois qui suivent (02/2007 à 10/2008) : en complément de l’accompagnement social effectué par l’Assistante Sociale de l’hôpital, je maintiens une importante prise en charge sociale au CMP, en lien avec Mme et son fils, et en articulation avec l’hôpital. La prise en charge médicale au CMP est suspendue.

  • Pendant ma dernière année d’intervention (de 11/2008 à à 09/2009) : L’hospitalisation de Mme se poursuit. L’accompagnement social au CMP est maintenu, centré d’une part sur les liens de Mme avec son fils et d’autre part sur les relations avec son bailleur, toujours en articulation avec l’hôpital. La prise en charge médicale Mme au CMP reste placée entre parenthèses.

  • 5 mois après ma dernière intervention (en 02/2010) je quitte le CMP. Mme est toujours hospitalisée.

Les étapes-clés de la relation d’aide

Ma relation avec Mme se fonde sur :

  • Une prise en compte de son inquiétude et de son souhait de rester vivre chez elle avec son fils.

  • Une confrontation systématique de ce qu’elle me dit avec ce que m’en disent ses proches et les autres intervenants, avec une recherche de sa responsabilité réelle dans les actes qui lui sont reprochés (certains départs de feu étaient déclenchés par un voisin).

  • Une confrontation de ses actes avec leurs conséquences pour elle et pour autrui (en dérobant de l’argent dans le sac de son aide ménagère, elle s’expose à des poursuites judiciaire et à une éventuelle condamnation en relation avec le préjudice ressenti par l’aide ménagère).

  • Une intervention immédiate sur les actes dangereux ou interdits ou irrespectueux (je remporte le pot de fleurs de la standardiste lors de ma 1ère VAD, je jette la cafetière qui risque d’enflammer la cuisine, je refuse de la recevoir quand elle se montre trop négligée).

  • Une prise en compte de la situation de son fils dans son projet de logement.

  • Une intervention dans le détail de la mise en place des interventions des aides ménagères et de la travailleuse familiale articulées avec celle des infirmières du SIAD. Cette partie de mon action comporte notamment : la recherche de l’accord du curateur, la recherche des associations et des personnels appropriés (3 changements d’association seront nécessaires), la présentation des aides ménagères à Mme, la définition de leurs tâches, des plannings d’interventions et de remise des clés, la vérification de l’accomplissement des tâches et horaires prévus, les médiations en cas de conflits (vols et accusations de vols), l’interruption des aides à domicile à chaque hospitalisation, et leur remise en place à chaque retour à domicile.

  • Un bilan effectué avec Mme et l’Assistante Sociale de l’Hôpital portant sur les 3 années d’accompagnement social au CMP, avec l’évocation des moments difficiles et des projets d’avenir pour elle et pour son fils.

L’enchainement des demandes

En début de prise en charge, je suis interpellée par le curateur sur le thème de l’expulsion. Celui-ci continue de m’interpeler jusqu’en 09/2007 par rapport à la situation du fils de Mme (fin du placement) et problème du chien

C’est le médecin et l’équipe du CMP qui m’adressent ensuite l’essentiel des demandes : d’abord pour évaluer le risque d’expulsion, puis pour mettre en place, suivre ou interrompre les interventions d’aides à domicile en fonction de l’évolution de la situation de Mme , de son niveau d’adhésion et de ses nombreuses hospitalisations. La 3ème thématique pour laquelle le médecin m’interpelle concerne la protection son fils

Les autres demandes proviennent ensuite du Sous-préfet et de l’AS de secteur et sont en rapport avec la procédure d’expulsion.

A partir de l’hospitalisation de Mme, les interpellations proviennent :

  1. de son fils au sujet de son contrat de jeune majeur,

  2. de la sœur de Mme au sujet de son neveu et de l’expulsion,

  3. du service contentieux du bailleur en rapport avec des problèmes d’odeurs, de clés, de chien et des procédures engagées contre son fils.

Pendant l’hospitalisation de Mme, l’équipe du CMP continue de m’interpeller par rapport au problème du fils et de l’expulsion.

Les demandes émanant du CMP sont ensuite relayées par celles de l’Assistante sociale et de l’équipe médicale de l’Hôpital pour :

  1. organiser une rencontre avec le curateur,

  2. aller au domicile de Mme afin récupérer des vêtements et prendre des nouvelles de son fils.

Enfin, les seules demandes provenant de Mme elle-même concernent :

  1. son expulsion, en début d’intervention

  2. L’inquiétude qu’elle se fait pour son fils, depuis qu’elle a accepté de rester à l’hôpital.

Les modalités de l’accompagnement social

Mon action s’organise dans un mouvement constant d’aller et retour entre :

  1. l’équipe soignante du CMP au sein de laquelle j’assure ma fonction en référence à la circulaire du 20/12/1993 (1),

  2. les partenaires, la patiente, son entourage (gardien, voisins, fils), et ma propre analyse de la situation.

Tout au long de ces 5 années d’accompagnement social, je retransmets régulièrement à l’équipe les informations venant de l’extérieur.

Celles-ci sont alors discutées lors de la réunion hebdomadaire.

Je fais valider par le médecin -en temps réel ou en léger différé- les actions que j’entreprends avec ou au nom de la patiente.

J’effectue des propositions quand je l’estime opportun.

Une validation du projet ou une redistribution des tâches est décidée par le médecin à l’issue de la discussion clinique.

Mes actes s’enchainent chronologiquement autour de 3 grands thèmes:

  1. la prévention de l’expulsion,

  2. l’organisation du maintien à domicile,

  3. le fils de Mme

Ils sont constitués par:

  • Ma participation à 61 Réunions cliniques (60 au CMP, 1 à l’hôpital) ;

  • Ma participation à 4 synthèses élargies aux partenaires et l’organisation de l’une d’entre elles ;

  • 48 liaisons téléphoniques avec le curateur, l’Aide Sociale à l’Enfance, les aides à domicile, l’Assistante Sociale de l’hôpital, les médecins et le cadre de santé de l’hôpital, le bailleur et le Préfet (une liaison comprend en moyenne 3 appels téléphoniques) ;

  • 26 Rencontres avec Mme. Ces rencontres s’effectuent au CMP, à domicile et à l’hôpital, en accompagnements (au Tribunal, à la Mairie, en courses, à l’accueil de jour municipal et en visite chez elle) ;

  • 11 Rencontres avec son fils d’abord en présence de sa mère, puis seul au CMP pendant l’hospitalisation de sa mère, puis par téléphone et enfin 1 rencontre informelle sur son lieu de travail ;

  • 10 rencontres informelles avec le gardien de l’immeuble ;

  • La rédaction de 3 rapports d’expulsion ;

  • La participation à 2 commissions d’expulsion ;

  • La constitution de 2 dossiers : 1 demande de logement HLM et 1 dossier de demande d’accompagnement social lié au logement (du Fonds de Solidarité Logement).

Bilan au jour de mon départ du CMP (le 28/02/2010)

Mme n’a pas obtenu d’attribution de logement HLM.

La mesure d’Accompagnement Social liée au Logement a été refusée.

Un Jugement d’expulsion a été rendu.

Le concours de la Force Publique a été accordé.

Il n’a pas encore été exécuté.

Le jour du passage de relais, Mme a accepté le principe d’une admission en maison de retraite médicalisée avec dérogation d’âge à condition de revenir à proximité de son fils.

Elle a cessé de demander son retour à domicile

Elle a été admise dans une unité de réinsertion de l’hôpital pour préparer une entrée dans un foyer d’accueil médicalisé.

Le foyer n’ayant pas été construit, elle est toujours dans ce service.

Elle est très investie par l’équipe hospitalière et répond très bien aux soins.

Son fils a demandé un contrat jeune majeur qui n’a jamais été mis en place.

Il a obtenu son Bac pro d’hôtellerie.

Il a démarré une activité professionnelle comme serveur dans une grande compagnie hôtelière située à proximité.

Il est resté seul dans l’appartement dans l’état d’incurie laissé par sa mère.

Il ne vient plus la voir à l’hôpital.

Le chien s’est volatilisé

Et moi,

Je suis rassurée pour Mme,

Je m’inquiète pour son fils.

Nous en parlons souvent avec Françoise qui travaille toujours comme Infirmière de secteur psychiatrique au CMP.

Elle vient justement d’être ré interpellée:

  1. Pour finaliser le projet de maison de retraite de Mme dans un EHPAD de la commune,

  2. Au sujet des mauvaises odeurs qui émanent de son logement dans lequel son fils vit toujours.

(1) « La circulaire n° 93/9737 du 20/12/1993 intègre la fonction des assistants sociaux des services de psychiatrie au sein de l’équipe pluridisciplinaire de secteur »