Association de Psychologues Cliniciens d'Orientation Freudienne

Psyché au cœur de l’angoisse – 11eme Journée – Supportable…insupportable

Timothée WOJTAS

je__affiche_11« Psyché au cœur de l’angoisse » c’est ainsi que se nomme le nom de mon intervention. Rentrer dans le vif du sujet de l’angoisse est une perspective impressionnante, voyager au cœur de l’angoisse n’est pas sans tumulte. Parler de l’angoisse et parler de son angoisse s’annonce comme un exercice difficile. C’est pourtant je pense là l’un des principaux enjeux de la clinique avec des patients cardiaques. Un bref retour étymologique nous en indique déjà le cap. Angoisse vient du latin angustia désignant un espace étroit, un lieu resserré. L’angoisse dit le resserrement et « tient dans cette métaphore du resserrement » nous dit Paul-Laurent Assoun. L’angoisse se signifie par le resserrement cardiaque et respiratoire. D’une certaine manière l’infarctus du myocarde se présente comme un paroxysme de cet état de resserrement. L’infarctus est déclenché par un resserrement des artères coronaires, c’est-à-dire des artères permettant de vasculariser, d’irriguer le muscle cardiaque : le myocarde. L’angoisse est un état d’affect duquel participe le ressenti cardiaque, les palpitations, le rythme du cœur s’accélère à mesure que grandit l’angoisse. En somme, crise cardiaque et angoisse usent toutes deux des mêmes outils, du même système de circulation. « L’angoisse est un événement physique dont la sensation n’est que le corrélat » nous dit Assoun.

La respiration ou le rythme cardiaque sont devenues des activités automatiques du corps, au point qu’on n’y prête plus ou peu attention. Peut-être un peu comme la question de la mort, à être tant vivant, on oublie, on omet cette question, elle peut revenir par des décès autour du sujet, mais tant que ça ne nous concerne pas, on n’a finalement pas de raison d’y penser. La maladie physique ramène ce Réel du corps au premier plan : le corps est voué à la caducité. Se confronter à l’impensable de la mort appelle au recours de certaines défenses afin de garantir une survie psychique. Ces défenses se trouvent de part et d’autre, c’est-à-dire chez le sujet touché somatiquement mais également chez le soignant. C’est néanmoins avec cet ensemble de défense que le clinicien doit travailler afin d’accompagner le patient. Le travail avec les cardiaques pourrait déjà se définir comme un travail d’accompagnement, le terme reste à préciser et j’espère pouvoir en apporter certains éléments de réponse au long de mon intervention. Enfin, afin d’illustrer le parcours que réalise un patient devenu-devenant cardiaque je me baserai sur le cas d’un patient que j’ai pu suivre au long de son séjour, M. I., âgé de soixante ans et qui exerce le métier de psychanalyste. Un matin, M. I. a eu une douleur thoracique qui ne l’a pas rassuré, cette douleur se voulait insistante. Il a alors décidé de prendre sa voiture pour aller consulter aux urgences. De là, la détection de l’infarctus a été rapide et la prise en charge consécutive en a découlé.

 

LA RFC

Je travaille avec les patients cardiaques au sein d’une Rééducation Fonctionnelle Cardiaque. C’est un dispositif d’accueil récent qui a émergé dans les années 70 aux États-Unis puis en France dans les années 90. Notre équipe est pluridisciplinaire et comprend : un cardiologue, une infirmière, une diététicienne, trois kinésithérapeutes, une assistante sociale, un psychologue et un tabacologue. Nous accueillons les patients atteints de diverses affections cardiaques ou vasculaires (infarctus du myocarde, convalescence de chirurgie ou d’angioplastie coronaire (pontage), greffe, pose de défibrillateur, de pacemaker, etc.). Dans la majeur partie des cas nous accueillons les patients trois à six semaines après la phase aiguë du syndrome coronaire. Et la rééducation cardiaque trouve son intérêt et ses bénéfices dans une prise en charge rapide après la survenue de cette phase aiguë. Nous recevons les patients en ambulatoire.

La réadaptation des cardiaques vise à entraîner le patient dans un ensemble de mesures afin de lui permettre de récupérer un maximum de ses capacités fonctionnelles. Au fond, cette prise en charge pluridisciplinaire a pour but d’améliorer le pronostic vital du patient à long terme. La perspective vise à travailler sur l’ensemble des facteurs de risque du patient (lutter contre la sédentarité par une activité physique régulière, travailler la question du régime alimentaire, du projet socioprofessionnel, la compréhension du traitement médicamenteux qui se veut définitif, prendre en charge les réactions anxio-dépressives, etc.)

Lorsque le patient arrive dans notre service, après son infarctus, il passe une épreuve d’effort avec le cardiologue afin que soit fait un bilan de ses capacités cardiaques et que soit mis en place un programme de ré-entraînement qui évoluera au long de son séjour. Le maintien d’une activité physique régulière participe de la prévention du risque de mortalité tant sur le physique que sur le plan psychique. Et de la même manière il est évident qu’il est plus facile de poursuivre une activité physique régulièrement après l’avoir vécu plusieurs semaines en centre, c’est-à-dire après avoir bénéficié de la dynamique collective, de constater individuellement qu’ils sont capables de supporter l’effort et qu’en prime il est possible d’y prendre du plaisir.

Pour ce qui est de notre lieu de soin, l’ensemble des activités physiques est encadré par les kinésithérapeutes et le cardiologue. Les patients travaillent sur le vélo ou le tapis roulant, pratiquent de la gymnastique et participent en arrivant le matin à une activité de respiration et à une activité de relaxation à la fin de la journée. Ainsi participent-ils à un programme complet de prise en charge physique . Ces différentes activités, pour en dire un mot, permettent d’envisager de perfectionner les capacités fonctionnelles des patients par l’amélioration de la force des muscles respiratoires et, d’autre part, d’initier le sujet à re-découvrir son corps dans une autre temporalité : une nouvelle attention quant à leur nouveaux ressentis tant dans des moments d’efforts que dans des moments de repos.

Enfin, mentionnons qu’à l’issue de leur séjour les patients réévaluent leur capacité fonctionnelle à l’occasion d’un nouveau test à l’effort dans la perspective d’évaluer leur progression ou leur stabilisation, mais aussi en conséquence de poser ce qu’il en sera de leur possible activité physique à l’extérieur.

Pour ce qui me concerne, je rencontre les patients systématiquement et à minima deux fois durant leur séjour, au moins à l’entrée et à la sortie. Parfois plus, cela nous en convenons avec le patient lors de la première rencontre. Les rencontrer à ces deux extrémités c’est une façon de border le séjour du patient par des temps d’échange et de mise en mots de ce qui les amène jusqu’à nous et au moment de ponctuer ce séjour pour envisager l’après rééducation et le retour à la vie « normale », « normale » en ce que ce se serait une vie proche de celle qu’avait le patient avant . Les patients avec lesquels je travaille sont dans une moyenne d’âge gravitant entre 50 et 60 ans (panel allant de 35 à 79 ans environ) et sont issus d’horizons socioprofessionnels et culturels aussi divers que variés. En prime, ce sont des patients qui n’ont pas nécessairement d’expérience de rencontre avec un psychologue. Dès lors il est une caractéristique importante qui participe de cette clinique en ce que mon jeune âge comparé aux patients participe à devenir un frein manifeste à la rencontre avec un jeune psychologue pour parler, ou en parler. Ce que je tente de dépeindre c’est finalement une clinique de l’angoisse ! Clinique de l’angoisse puisque d’une part c’est un premier poste de clinicien avec ce que cela implique de découverte du poste, de la pathologie et de ses incidences, de la place à prendre et de mon autorisation à travailler selon mon cadre. Et d’autre part l’angoisse est aussi un « signal d’alarme » qui appelle à la défense : pour le patient qui préférerait volontiers ne rien en savoir, ne pas en parler, pour ne pas se montrer affaibli, touché en plein cœur, mais aussi pour le clinicien : amener à parler de l’angoisse si le patient souhaite ne rien en dire, finalement rentrer dans le cœur du sujet n’est pas sans me laisser l’impression de risquer d’en parler, et aussi de risquer d’en parler à la place du patient. Aussi ai-je profiter du cas de M. I. pour évoquer cette clinique. M. I. ayant une sensibilité particulière à l’inconscient, à la parole, au langage et à leurs effets, il vient en conséquence illustrer de nombreux enjeux qui ne peuvent se dire ni se parler avec les autres patients. Non pas que personne ne me parle non plus, mais lui, avec sa fonction, son expérience de la parole, il avait une demande fondée et formulée d’en parler.

Rencontrer un patient qui exerce cette profession ne va pas de soi et suscite d’emblée de nombreux enjeux qui peuvent parasiter la rencontre. Jeune clinicien, formé à la psychanalyse, rencontrer ce que l’on nomme un psychanalyste suscite de nombreuses réactions internes où s’exprime le voyeurisme, le risque d’écrasement de ma fonction (serai-je viable face au sujet supposé savoir ? Au fond vais-je garder ma consistance ?), la fascination, pourrai-je finalement assumer que les rôles s’inversent : le psychanalyste devenant patient, mon patient ? Au fond, de nombreux fantasmes qui m’amènent à penser que l’enjeu serait ainsi de ne pas rencontrer un homme, un patient, un sujet mais à la place un analyste. Rencontrer un analyste au détriment du sujet. La seule intuition qui me garantissait une issue confortable dans ces conditions était de conserver ma place de psychologue et de lui offrir une place de patient, lui qui demande à aborder le sujet de l’angoisse. C’est en effet ce qu’il formule dans sa demande : « J’ai envie que ça circule, que si des angoisses doivent apparaître…elles doivent partir, s’en aller ». Ce serait l’idée de trouver un moyen de respirer de nouveau, un moyen de sortir de la cage…thoracique, ce lieu où le corps s’ouvre au vent, à l’air . Le thorax, lieu de resserrement, lieu de compression.

 

La crise cardiaque

L’infarctus du myocarde, et/ou la pathologie cardiaque dans son ensemble, est souvent nommée crise cardiaque. Ce temps de crise cardiaque, de survenue du Réel corporel est inducteur d’un trauma. Laplanche et Pontalis nous rappellent que le trauma est un « événement de la vie du sujet qui se définit par – son intensité, – l’incapacité où se trouve le sujet d’y répondre adéquatement, – le bouleversement et – les effets pathogènes durables qu’il provoque dans l’organisation psychique » . Se confronter à l’impensable implique l’utilisation de mécanismes de défenses puissants afin de conserver son intégrité et de ne pas tomber dans un certain chaos identitaire. Trouver des ressources face au risque de dépersonnalisation, face au risque dépressif également.
Cela s’illustre dans les rencontres avec M. I. qui se décrit comme étant « beaucoup dans le contrôle » et n’est pas sans associer avec la question du miroir lors de notre première rencontre. Ainsi exprime-t-il qu’il se regarde beaucoup depuis l’infarctus. Il ne se reconnaît pas tout à fait, tout au moins son regard change sur lui-même ; je me disais que son reflet aussi. L’image du corps est touchée en plein cœur.

Pour autant cette première rencontre induit un temps de recentration du sujet sur lui-même. C’est ainsi que M. I. dresse progressivement un état des lieux, il me parle de lui, il peut se raconter. Les ressentis seront nombreux à l’issue de cette première rencontre, il y a tant de choses le concernant qu’il m’est difficile à l’écriture de tout remettre dans l’ordre, de tout relier, cela me demande un certain effort. Je me retrouve après-coup dans cet essai d’écriture avec des difficultés moi aussi pour rassembler les morceaux qui semblent comme dispersés, ce qui ne me semble pas éloigné de l’état du patient et de la question d’une volonté de tout contrôler. L’unité narcissique du patient ayant subit un trauma se trouve compromise, la crise cardiaque est une blessure déchirante. Le risque de dispersion et d’éclatement est vif. « Les choses sont difficiles à gérer pour [lui] » explique-t-il, pour moi également. André Green évoque à ce propos que « Du point de vue de la forme la blessure crée une béance, et, de celui de la consistance, le Moi subit une déperdition, voir une déplétion de sa substance. La consistance du Moi, si j’ose dire en prend un coup » .

Je poursuis avec André Green : « L’angoisse est le bruit qui rompt le continuum silencieux du sentiment d’exister dans l’échange des informations avec soi-même ou avec autrui » . L’expérience de la douleur est celle d’un « Moi-corps » rappelait J-B Pontalis, la psyché se muant en corps et le corps en psyché. Le trauma se fait d’autant plus violent que le sujet se trouve dans un état d’impréparation, le Moi n’était pas prêt à parer. Lorsque survient la crise cardiaque, c’est souvent un coup de tonnerre dans un ciel serein, même si au fond le soleil était masqué par quelques nuages depuis plusieurs semaines. Ainsi M. I. revient à mesure des rencontres, sur les différents événements qui précèdent son infarctus. D’abord son anniversaire, une semaine avant la crise cardiaque, mais son anniversaire, il ne l’a pas fêté, il ne le voulait pas. Puis cela n’est pas sans lui évoquer le décès d’une amie proche qu’il a accompagné dans une longue maladie avant de revenir à ce qui toucherait le cœur de son problème : sa mère est décédée d’un infarctus un peu moins de dix ans auparavant : « Je ne pensais pas parler de ma mère…je crois que ça touche quelque chose de mon propre deuil… ». En somme : « C’est tout ça un infarctus ». Dans ce contexte, face à tant d’effraction, il explique avec simplicité son besoin , « j’ai besoin de me retrouver seul, seul avec moi-même ». C’est pour toutes ces raisons qu’il justifie d’avoir eu envie de me parler, et en prime, cela le rassure d’ailleurs que je sois jeune me dit-il. Je ne répondrai pas à cette remarque qui m’interpelle néanmoins, mais après tout, si quelque chose devient rassurant dans cette première rencontre, pourquoi y toucher d’emblée me disais-je. Ultérieurement, tandis que je lui renvoyais cette impression qu’il me laissait que son corps l’avait lâché, il rebondit : « Je ne veux pas être lâche et en parler ».

Touché par l’angoisse, le sujet devient le siège d’un processus face auquel il reste impuissant, dont il ne peut être que son propre spectateur. Comme la crise cardiaque de M. I., Assoun nous dit de « L’angoisse [qu’elle] est subie – elle renvoie à une passivation extrême ; d’autre part elle traduit une forme d’activité, aussi effrénée qu’affolée. Elle est la palpitation morbide où le sujet s’étrangle et où le langage se suspend […]. Trouble de la déglutition, qui atteint le « parlêtre » au cœur… et au larynx » . M.I. Constate par ailleurs : « La voix qui n’est pas la mienne, pleine d’émotion », elle aussi contribue à ne pas se reconnaître. Finalement, ici, en me rencontrant, il peut s’écouter parler, il peut s’entendre différemment.

Pris en charge au sein de la Rééducation Fonctionnelle Cardiaque, autrement dit par un corps soignant pluridisciplinaire s’offre la possibilité de réunir l’exercice de ces différents corps de métier pour le patient. Une pluridisciplinarité autour d’un seul corps, celui du sujet. D’une certaine manière se réunissent ces différents corps de métier afin que le patient se réunisse lui-même, avec lui-même, dans ses impressions, ses sensations et son sentiment d’exister. Pour apporter un élément de cette question de l’accompagnement introduite précédemment, l’un des aspects concernant le clinicien et ses ressentis me laisse l’impression que c’est dans l’échange qu’un certain irreprésentable pourrait prendre forme dans et avec celui qui écoute. Si ma fonction ne vise pas à faire du lien avec l’infantile puisque le sujet n’est pas dans un cabinet d’analyste, l’accompagnement c’est assister à cette démarche de recherche du sens, à cette remise en forme, accompagner un sujet dans un temps de quête subjective qui cherche à se définir, comme le travail avec des adolescents pourrait nous le laisser entendre.

Ici s’esquisse donc le second axe que représente ce lieu de rééducation. L’irruption du Réel vient faire effraction et crée une rupture dans la continuité d’existence, dans la liberté et l’autonomie du patient. M. I. en parle, « Au début j’avais peur, peur de venir en voiture, je ne traverserai pas la forêt ». Dès lors la rééducation apparaît comme un lieu de transition. Et c’est d’ailleurs une réalité géographique, la rééducation est un pavillon situé à côté de la clinique où sont pris en charge les patients dans les services de soins intensifs. Au fond, ce lieu est un entre-deux entre le lieu de l’hospitalisation et la sortie. Le temps du séjour qui se déroule en ambulatoire permet des allers-retours, les patients viennent et partent, pour un séjour avec un début et une fin. Winnicott aborde la question de l’espace transitionnel comme un état intermédiaire entre l’incapacité du petit enfant à reconnaître et à accepter la réalité et la capacité qu’il acquerra progressivement de le faire. Dans un même mouvement progressif, dans cet entre-deux (le soin de la crise et le retour à la vie extérieure) le patient soudainement devenu cardiaque apprend à devenir cardiaque. Et Winnicott de rajouter que le phénomène transitionnel est « une défense contre l’angoisse, en particulier contre l’angoisse de type dépressif » . C’est ainsi que dans la poursuite du suivi avec M. I. a pu réapparaître la question de ma jeunesse et laisser place à un fantasme. Re-prenant place, il me partage des paroles d’autres patients, échangeant avec ceux-ci, il en est arrivé à leur dire qu’il était analyste dans la vie, aussi me rapporte-t-il les propos d’autres patients: « le psy ici il est bien, mais il est un peu jeune, avec vous au moins… », puis de se rendre compte « C’est comme s’il y avait une rivalité finalement ». Les ressentis contre-transférantiels sont vifs de mon côté, ma position confortable de psychologue en prend un coup, je suis amoché intérieurement, mais je ne flanche pas. Le patient poursuit : « Je m’imagine que je reviens ici quand j’aurai fini et que je proposerai mes services ». Ainsi me disais-je, il pourrait revenir plus fort. Un peu plus tard dans cette même troisième rencontre :

M. I. : « Je ne dis pas tout ici, je garde l’intime pour moi… Je garde des choses plutôt pour une tranche d’analyse ».
Moi : « Vous faites des secrets! »
M. I. se met à rire : « Je peux rire, ça, ça me fait du bien ».

Dans ses attaques, il me reste une impression de mise à distance et de mise à mal, il répète néanmoins à cinq reprises que s’il vient en rééducation : « C’est peut-être essentiellement pour ici [désignant sa place du doigt, assis en face de moi]. Au moins ici, je peux échanger, je peux le dire ». Avant d’évoquer un mouvement important dans lequel au début de nos rencontres il voulait tout me dire, « tout déverser ». Finalement, ce mouvement semble progressivement ralenti, il peut en garder pour lui et partager d’autres choses avec moi, peut-être des choses qui appartiennent d’avantage à la rencontre. Il peut m’ouvrir son cœur. « Ici je peux dire des bêtises et cela me fait du bien. En même temps, je ne vous paye pas ».

Les mouvements d’affect réapparaîtront progressivement à mesure des rencontres. De la rivalité, il partagera ses inquiétudes (son traitement médicamenteux diminue alors il n’en a plus autant besoin, alors il va mieux, c’est une nouveauté peu rassurante, mais s’il en avait besoin avant pourquoi plus maintenant ? La soudaineté re-pointe le bout de son nez, soudaineté de l’infarctus, soudaineté du mieux-être), sa colère (qui prendra forme à l’occasion de la présence d’une remplaçante qui aurait mal traité les patients), colère qui est aussi un signe important pour lui : « C’est peut-être ça d’aller mieux, c’est de pouvoir ressentir la colère », rancœur (rend-cœur) et ressentiment (re-sentiment). Jusqu’à laisser place au brin d’humour : notre protocole de vingt séances prévoit la possibilité de rajouter dix séances supplémentaires pour poursuivre le programme des réentrainement. M. I. voulait être maître de sa décision, faire son choix quant à cette question. A la fin de son séjour il m’exprime : « Moi ça va mieux depuis que je sais que je n’ai pas dix séances supplémentaires. C’est arrêté. Et je vais mieux, ce n’est pas anodin ». Dans cette poursuite il cherche à définir ce qui a pu se passer ici, qu’est-ce que serait cette rencontre, ces rencontres hebdomadaires, comment définir, comment nommer ce lieu de parole, ce cadre, mais il ne trouve pas tout à fait, d’ailleurs il précise : « Attention, je n’ai pas dit séances », je souligne le jeu des signifiants « je n’ai pas dix séances ». Nous partageons cela avec plaisir.

 

Pour conclure, je citerai quelques caractéristiques de la définition de l’objet transitionnel selon Winnicott qui me semble contribuer à nourrir cette notion d’accompagnement :
« 1- Le petit enfant s’arroge des droits sur l’objet et nous lui autorisons cette prise de possession. Cependant une certaine annulation de l’omnipotence est d’emblée présente
2 – L’objet est affectueusement choyé mais aussi aimé avec excitation et mutilé
3 – L’objet doit survivre à l’amour instinctuel, à la haine et, si tel est le cas, à l’agressivité pure » . Au fond, le propre du phénomène transitionnel, espace entre-deux est une considération importante, un processus visant à assurer la continuité de soi, assurer et garantir le sentiment d’existence, celui-ci ayant été interrompu avec soudaineté par la mort et risquant de se figer dans l’angoisse.

 

[1]    Assoun P.-L., leçon psychanalytique : L’angoisse, p8.

[2]    cf. Bernad BOUREL : Le vif de l’air, cage ouverte, ” Depuis le dedans de la cage de nos côtes / – Deux seulement sur la douzaine sont flottantes – / Le besoin à pleins poumons… ”

[3]    LAPLANCHE J., PONTALIS J.-B., Le vocabulaire de la psychanalyse, p499.

[4]    GREEN A., Narcissisme de vie, narcissisme de mort, p148-149.

[5]    Ibid., p150.

[6]    ASSOUN P.-L., ibid, p11.

[7]    WINNICOTT, D. W., « Objets transitionnels et phénomènes transitionnels. Une étude de la première possession non-moi », in De la pédiatrie à la psychanalyse, p32.

[8]          Ibid., p34.