Association de Psychologues Cliniciens d'Orientation Freudienne

Psychiatrie et travail social: rencontre, discours et lien social dans l’approche conjointe de la psychiatrie et du travail social versus normalisation, rendement et répression de l’Autre sociétal.

Gwénaële BOITARD

Aujourd’hui, il n’est pas question d’entendre le bruit des hallucinations résonner entre les murs de la cité. Les normes sécuritaires sonnent le glas et les politiques restrictives et (a)sociales ont pour dernière arme de conviction d’impérieux choix budgétaires.

Ainsi, la focalisation sur la dangerosité de nos fous aboutit à ce que les non-dupes n’errent plus dans la rue. On les enferme, au mieux pour leur imposer le soin… et surtout en prenant soin de les faire taire, de les rendre transparents, adaptés, noyés dans la norme. Car la cité, aujourd’hui, nous dit qu’elle n’a pas de place pour le hors-norme.

A l’orée de ce Tout-sécuritaire, comment un sujet souffrant de maladie psychiatrique peut-il être accueilli avec ses bizarreries et ses élaborations délirantes ?

Dans le cadre d’une hospitalisation ou d’une prise en charge en ambulatoire, le patient rencontrera néanmoins deux discours, celui de la psychiatrie et celui du service social. Qu’en est-il de cette rencontre ?

L’appréhension de l’institution psychiatrique peut se décliner selon trois dimensions :

– on considère d’une part le réel des murs de l’institution,

– sa dimension imaginaire ensuite, soit la représentation que l’on a d’elle,

– et enfin, le caractère symbolique dont elle procède, car comme toute Institution, celle-ci est régie par les lois du langage.

Pour le psychanalyste Jacques Lacan, le discours se définit en tant que modalité du lien social et le lien social comme création du fait de langage. Ainsi, là où notre pratique en milieu psychiatrique participe d’un discours, cette même pratique s’adresse au sujet psychotique, qui s’il n’est pas hors langage, se tient pour autant hors discours.

Pour Lacan, « le lien social ne s’instaure que de s’amener dans la façon dont le langage se situe et s’imprime ». Au fondement de la réalité sociale, il y a donc la « prise dans le symbolique » (1); la déprise sociale étant faite de débranchements par inaptitude au lien social ou par absence de liens suivis (2) (dans le domaine professionnel, familial ou amical ou dans le champ médico-social…).

Comment ici préserver, restaurer ou recréer un lien social avec un sujet dont la pathologie psychiatrique est au cœur même de son éjection du Symbolique ?

Reste à développer et à soutenir l’objet de nos propos de ce soir : l’articulation de deux discours, celui du médical, ici décliné en spécialité psychiatrique, et celui du travail social. Articulation, donc, mise au profit d’un troisième discours à construire, à faire advenir, celui du sujet psychotique dont on a beaucoup à apprendre.

Le discours médicosocial social doit donc s’articuler de telle sorte que le sujet en marge ou expulsé du Symbolique, puisse s’en saisir. Il s’agit ici de compter sur la part du sujet et d’accompagner l’avènement de sa parole, de son acte créateur et d’élaboration d’un symptôme, en partant de son expérience et de ce qu’il en témoigne.

C’est donc en termes de nouage, et non de substitution ou de superposition, que cette articulation peut faire point de capiton et tempérer l’indicible Réel avec lequel le psychotique est aux prises. L’objectif avoué visant la restauration de la place de sujet chez une âme errante vivant parmi d’autres êtres parlants.

La rencontre du malade avec le soin et le travail social, s’établit également selon un certain espace-temps. Cette question d’espace-temps sera abordée à plusieurs reprises par nos invités dans le courant de leur exposé.

L’espace d’une rencontre, donc, va consister en un lieu où la mise en jeu d’un au-delà du conforme est de l’ordre du possible, ainsi que le pari sur l’enrayement de tristes répétitions dont témoignent les mises en échec de projets avortés, projets pourtant rondement menés par de belles âmes professionnelles. En effet, la clinique psychanalytique n’agit pas dans le but du renforcement du Moi ni de son adaptation à la société. Elle autorise la subversion dans la rencontre avec l’Autre normatif en mettant en jeu la singularité de chacun. Singularité dont les démonstrations psychopathologiques font face à la réponse sociale, elle-même manœuvrée par le discours du maître et le discours capitaliste.

Une rencontre implique un lieu, mais également un temps. Et qu’il s’agisse du temps de l’hospitalisation ou de celui de la prise en charge en ambulatoire, la notion de temps éprouvé par le sujet ne correspond pas forcément à celle du temps chronologique, celui du traitement des démarches sociales et administratives, par exemple. Ce temps particulier, appelé temps logique du sujet, est à considérer comme une donnée impérieuse dans le cheminement psychique du sujet.

Afin de laisser place aux exposés, je terminerai cette introduction en insistant une fois encore sur l’importance d’avoir une approche attentive de la singularité et de la possibilité d’invention de chaque sujet qu’il s’agit de suivre et de ne précéder que pour mieux respecter sa logique.

Enfin, pour en revenir au titre de la soirée, l’institution invisible, je dirai que la conjonction des domaines de la psychiatrie et du travail social tire son ressort de nouages invisibles en tant qu’ils prennent essence dans leur accroche au champ du Symbolique : là où le ça était, je dois advenir (3). Cette institution dite invisible n’est donc pas qu’une une pure métaphore. Le côté invisible de l’institution de soins psychiatriques articulés au travail social, est représenté par cette construction discursive repensée à chaque nouvelle situation rencontrée (lors de staff, de visites à domicile ou de synthèses pluridisciplinaires). C’est sur cette chaîne signifiante par et pour lui articulée, que le sujet aux prises avec un Réel invasif, va pouvoir prendre appui, comme sur la béquille, le marchepied, ou le tremplin imaginaire dont il va se saisir.

(1) Lacan J., Séminaire Encore, leçon du 13 février 1973

(2) Sous la direction de Jam Navarin, Situations subjectives de déprises sociales

(3) Freud S., Nouvelles conférences sur la psychanalyse. 1932

L’institution invisible.

A l’hôpital et au domicile : l’articulation du soin

et du travail social en psychiatrie

Dario MORALES

Lorsque l’état clinique de la psychose le permet, il n’est pas nécessaire que le sujet soit installé dans une institution ou inséré dans un réseau d’aide. Le traitement de la psychose n’exige pas automatiquement une réponse collective. Dans certains cas, la psychose exige la réponse d’une pratique institutionnelle – lors des crises, du passage à l’acte suicidaire ou dangereux, mais aussi lorsque les patients sont livrés aux difficultés d’un retour en famille ou dans le milieu naturel qui les expose à l’errance et à de nouveaux passages à l’acte, etc. Il existe également la dimension « hors institution » : la clinique ne saurait se réduire à la dimension soignante de l’hospitalisation ; il y a donc une fonction « sociale » qui s’ouvre vers l’extra-hospitalier. Pour effectuer ces démarches, des dispositifs en réseaux se mettent en place, faisant appel à des professionnels (médecins, psychologues, assistants sociaux, etc) qui ont une palette d’approches diversifiées jouant sur les différents moments de la maladie. Ainsi, pour simplifier, il s’agit d’assurer dans la durée une « fonction soignante » ou « d’accompagnement » ou encore « d’orientation ». Ce n’est plus dans les murs de l’institution, mais hors celle-ci que le patient s’entoure d’une institution invisible. Sa problématique étant ainsi mieux repérée, le choix d’un projet social (y compris professionnel) et/ou de vie peut s’inscrire dans la démarche de soins. A l’opposé d’une vision administrative et comptable de la maladie, il s’agit de déterminer la meilleure adéquation entre les demandes du patient, ses capacités et ses limites et les données familiales, sociales et économiques de son environnement. Ce travail devra résulter d’échanges au sein de l’équipe de secteur dans son ensemble. Il convient alors d’écouter le patient et, sans décider à sa place, de l’aider à exprimer une demande sans en méconnaître les aspects fantasmatiques voire pathologiques. Il n’y a donc pas de « projet type » en matière d’accompagnement, mais une multiplicité de solutions au cas par cas qui restent à inventer.