Association de Psychologues Cliniciens d'Orientation Freudienne

Rencontres… 4eme Après midi de l’atelier Les psychologues à l’œuvre – De la fac au terrain

Caroline GREMILLET LAFARIE

AME APO 16.06.2012 VisuelTout d’abord, un  grand merci à Kirsten, Dario et Magalie de m’avoir invitée à travailler avec eux, à décortiquer ce passage de va-et-vient qui vient inscrire sa première expérience vers le réel de la clinique. Une demande à laquelle je n’ai d’abord pas compris grand-chose, puisque je l’entendais comme un simple témoignage de mes expériences de stage. Mais en y réfléchissant bien, au-delà de ces stages, il m’a fallu identifier le mouvement qui s’était opéré en moi et son vecteur, pour passer de la place de stagiaire à celle de psychologue.

Je me suis longtemps interrogée sur le choix que je devais faire pour présenter ce texte: première ou troisième personne du singulier ? Finalement, ce texte est fait des deux, l’un renvoie à des constats personnels et l’autre, à des déclinaisons plus générales qui sont susceptibles de concerner tous les stagiaires.

Lors de mon cursus universitaire, j’ai réalisé trois stages dits professionnalisants (« dits » car le stage est surtout fait de ce qu’on y rencontre et de ce qu’on y met) : l’un en thérapie familiale à l’hôpital de Montesson, le deuxième au CMP de Rueil, auprès d’enfants et adolescents, et le troisième à l’Unité de soins psychopédagogiques d’Ivry, auprès d’enfants. Professionnalisants car ils doivent mener vers une pratique professionnelle, ponctuant une transmission théorique. Ils sont l’occasion pour de futurs « professionnels » d’aller voir comment s’inscrit l’expérience clinique dans ce parcours du savoir et d’en marquer ainsi l’écart si, toutefois, on y rencontre les marques du désir : désir de l’analyste, mais aussi désir de l’expérience du singulier qui orientera plus que la pratique, sa pratique. C’est ainsi l’occasion d’y faire des rencontres : rencontre avec le psychologue, rencontre avec le réel de la clinique, mais aussi rencontre avec soi-même. Et pour que ces rencontres permettent de faire exister le futur clinicien, il faut tout d’abord qu’il y ait une bonne rencontre avec le psychologue, c’est-à-dire une mise en relation, relation au centre de la clinique. C’est cette rencontre là, avec le psychologue, qui va être déterminante pour celle du réel de la clinique, au-delà même des « objectifs » du stage.

Rencontre avec le psychologue-maître de stage

La relation qui s’installe entre psychologue et stagiaire est une mise en lien où la parole est au centre du discours : une Transmission par une parole qui « n’est parole que dans la mesure exacte où quelqu’un y croit » (Lacan, 1953-1954, Ecrits techniques de Freud, Editions du Seuil, p.366) et pour y croire, il faut de l’altérité à une relation intersubjective. La parole cherche la réponse de l’autre et de réponse, il y en a toujours, même dans le silence. Mais pour qu’il y ait parole, il faut qu’il ait reconnaissance et cette reconnaissance, j’en ai bénéficiée pendant mes stages. Elle a été, par la parole, et au-delà des mots. La parole n’a jamais un seul sens. C’est la médiation de l’autre qui donne sens pour devenir parole créatrice et vecteur de transmission. La transmission se situe par-delà le savoir puisqu’elle peut même y faire obstacle. En effet, la pratique de la clinique ne se fait pas à partir de son savoir mais de soi-même et ça, j’ai pu en prendre toute la mesure en assistant à des entretiens menés par divers psychologues. Ces différentes approches m’ont permis d’estimer combien la transmission était faite du psychanalyste lui-même et de son désir. Par le biais du désir du psychanalyste, se révèle le désir du stagiaire. Ainsi la bonne rencontre fait-elle émerger le désir et sans désir, il n’y a pas de clinique. Un désir qui se situe dans le trou entre énoncé et énonciation. Au gré de chaque discours, surgit l’inattendu, dans cette relation à l’autre, grâce à quoi émerge le savoir : un savoir fait de non savoirs, qui nous sont constitutifs tout en étant absents, que seule cette rencontre peut nous restituer et où « le langage est un intermédiaire entre l’homme et son désir » (J. P. Sartre, 1947, Situations).

Au-delà de l’interrelation ou intersubjectivité qui se réfère à des interactions et des enrichissements mutuels, il y a une relation qui s’approche plutôt de la transubjectivité, où les frontières ne sont plus : la théorie et la technique sont dépassées. Trans comme transfert où il n’est plus question de techniques ou de limites mais de mise en commun, transport ou substitution d’une place à une autre, d’un récit à l’autre.

Une place de témoin, dans la relation du psychologue au patient, est alors possible, un témoin qui voit et entend. Ce témoin se situe dans un entre deux, ni dedans, ni dehors, entre public et privé, entre intime et extime. De fait, en retrait dans la relation du psychologue au patient, il peut cependant soutenir par sa seule présence, partenaire dans la relation. La place de stagiaire au niveau institutionnel est en effet fragile, la stagiaire est présentée comme une étudiante et une future psychologue, illégitime encore, entre la théorie et la clinique, entre le savoir et l’expérience, entre l’observation qui nécessite le silence et le questionnement qui s’appuie sur la parole. Ainsi, un stagiaire qui ne sait pas et qui laisse la place au sujet, à sa parole. C’est cette fragilité expérientielle, cette aptitude à ne pas savoir, qui permet cette place. En effet, la posture de stagiaire permet de constituer son ignorance, comme dialectique de la connaissance mais pour méconnaitre, il faut « une certaine connaissance de ce qu’il y a à méconnaitre » (Lacan, 1953-1954, Les écrits techniques de Freud, p.261), connaissance inconsciente, gardienne du « je ne sais pas ». Elle en est aidée par cette possibilité qui lui est offerte d’observer et pour observer, quel meilleur outil que le silence.

Rencontre avec le réel de la clinique

Le stage se situe dans un entre-deux entre théorie et pratique, entre soi et l’autre, dans un mouvement de va-et-vient. Lors de mon stage au CMP, il m’est apparu un élément déterminant : la clinique c’est celle du singulier et de l’intime, celle qui inscrit la souffrance singulière de chacun. Cette approche du singulier m’a permis de prendre la mesure d’une distance nécessaire avec la théorie, de la nécessité de ne pas plaquer un modèle théorique mais de s’y référer. Plaquée, elle devient défensive et empêche d’entendre la parole du sujet. De même, la pratique en tant que méthode a une fonction défensive contre l’angoisse du réel et tue le sujet. Ainsi, en confrontant les pratiques, j’ai fait la différence entre méthode et pratique, de la recette à l’approche singulière. Ce va-et-vient entre théorie et pratique, praxis devrais-je plutôt dire, pour signifier l’intentionnalité, laisse place à l’invention, la créativité, invention de soi et de sa clinique. Mais il y est aussi question du sujet, le stage permet, guidé par l’analyste, d’apprendre à écouter le sujet et repérer ses signifiants : un sujet qui arrive en se plaignant d’un quelque chose et en déroulant un tout autre. Le sujet se situe entre les deux et c’est lui qu’il s’agit de trouver. Dans les expériences cliniques, la stagiaire est aidée par l’élaboration qui suit l’entretien, à repérer le moment où le sujet parle de lui-même et formalise quelque chose de l’ordre d’une question. C’est tout ce travail de repérage, qui est au cœur de la clinique, qui pointe l’importance de la parole, en tant que parole singulière. La rencontre avec la clinique est donc une rencontre de la parole : j’y ai appris à écouter la parole du sujet et à entendre son silence comme une parole. Le silence m’a d’abord inquiétée mais l’alliance à ma propre analyse, qui m’a permis d’y expérimenter le silence, m’a ouvert ainsi la porte pour entendre parler le silence de l’autre. Le silence, la parole, engendrée par les mots, « mystérieux passants de l’âme » (Victor Hugo), trouve alors sa place dans l’Autre et par l’Autre.

Ainsi, afin d’entendre cette parole au-delà de sa propre subjectivité, j’ai compris l’importance pour le stagiaire d’apprendre à écrire : apprendre notamment à écouter et noter les paroles des patients : une prise de notes dans une visée première d’objectivation des paroles du sujet afin d’élaborer non pas à partir de ce qu’on a bien voulu entendre, mais de ce qui est dit.

Lors des entretiens, la présence de la stagiaire contrarie les conditions intimes de l’entretien, mais participe de cet entretien : en effet, j’ai pu constater que la place de tiers était celle d’un tiers-regard : d’une part, la stagiaire se fait spectatrice de l’entretien (là où normalement la situation est duelle) et d’autre part, dans cette relation au patient, le regard prend la place de la parole : le lien se fait par le regard.

Tout au long de ma deuxième année de stage, j’étais présente aux entretiens avec Madame P., mère célibataire, qui venait exposer ses difficultés à éduquer sa fille alors âgée de 2 ans. Elle-même en recherche de tiers dans sa relation à sa fille, elle pouvait ainsi profiter de cette organisation en miroir, partenaire que j’étais dans l’ombre et le silence, et qui parfois pouvait par un regard, lorsqu’elle le cherchait, proposer son soutien. Elle et sa fille ne « formaient pas une famille », ce que Madame cherchait à former grâce à ces rencontres, et le cadre que nous proposions pouvait symboliser une famille imaginaire.

Le travail réalisé avec les enfants, dans les groupes, m’a montré comment le groupe constitué par les enfants, les psychologues et stagiaires, pouvait pallier l’absence du sujet, soutenir là où le travail est singulier dans le collectif, et collectif là où le sujet n’est pas forcement. J’ai dû alors être à l’écoute non seulement de la parole mais aussi du langage du corps, quand il ne peut rien se dire. L. dont la morsure semble intervenir pour marquer les limites de son corps dans les moments d’angoisse de fusion. K. qui semble avoir deux corps, l’un qu’elle réserve à elle-même et l’autre qu’elle veut bien donner à voir mais qui se trouve alors en danger par son exposition. Ou encore A., qui met sa main devant son visage en des moments où il semble submergé par une émotion, mettant ainsi une distance à l’autre, une distance au regard de l’autre.

Ainsi silence et regard sont-ils constitutifs de son expérience durant les stages, et socles de sa future clinique.

Dans cet exposé, je n’aborderai pas la question éthique : en effet, l’éthique est consubstantielle à la clinique, dans cette position d’un supposé savoir.

Rencontre avec soi

Quand on parle de singularité du sujet, il en va de même de celle de l’analyste. Ainsi, l’espace qu’il ouvre au stagiaire est un espace d’invention et de création vers non pas la, mais sa pratique. Toute la richesse de la transmission dont j’ai pu bénéficier se situe dans cet espace. Un espace qui laisse la place à la recherche de soi-même, de sa future identité de psychologue, à celle de son style. En effet, un jour, Kirsten m’a proposé de faire seule un entretien, auprès d’une patiente que je connaissais, Madame P. dont je vous ai parlé tout à l’heure, puisque j’assistais aux entretiens depuis le début de la prise en charge. Cette proposition a généré chez moi beaucoup d’interrogations sur ma possible légitimité à intervenir en tant que psychologue auprès de cette patiente. Encore stagiaire, dans cet entre-deux, entre l’étudiante que j’étais et la psychologue à devenir, tenir un entretien questionnait le statut de la psychologue à advenir. Cette situation m’a donné la possibilité de cheminer sur cette voie pendant un moment, soutenue par la psychologue et interrogée dans le cadre de ma propre analyse, et j’ai finalement pu faire cet entretien. J’ai ainsi « gagné du temps » et pu démarrer mon activité de psychologue au clair avec cette question.

La relation avec la maitre de stage est centrale, comme je vous l’ai dit. En effet, l’espace et le soutien qui m’ont été offerts, ont agi comme autorisation à être, à être psychologue et à découvrir mon style. C’est donc un espace de créativité. Théorie et pratique, praxis devrais-je plutôt dire, sont des notions indissociables. La théorie se fait en lien avec la praxis. Et cette praxis est à la fois une manière d’être et de faire avec l’autre, un style.

Le style, étymologiquement d’abord manière d’agir puis manière d’écrire, comme instrument pour s’adresser à l’autre, pour laisser une trace dans l’inconscient de l’autre. Le style dépend donc de la singularité, de l’être du clinicien, pour autant qu’il puisse s’exprimer. Il faut non seulement y avoir accès mais aussi y être « autorisé ». Il m’est difficile d’analyser ce qui s’est réellement joué pour entendre cette autorisation. De cette autorisation, le style va se façonner peu à peu. J’ai cependant, pu identifier plusieurs aspects : par l’espace et le soutien, la reconnaissance que Kirsten m’a donné, elle m’a autorisé à avoir mon propre style, autrement dit, un espace de liberté et donc de créativité. Ce n’est pas le diplôme qui ouvre au style ou à l’exercice de sa profession, mais le désir du sujet, et c’est en passant par l’Autre du discours que le futur psychologue va modeler sa fonction.

De plus, l’observation des autres entretiens de psychologues ou psychiatres au CMP, ce que j’évoquais tout à l’heure, m’a permis de réaliser combien différaient les places et modalités d’intervention et de mesurer ainsi la singularité de chacun d’entre eux. Et pour entendre la singularité de chaque sujet, il faut entendre celle du psychologue.

Enfin, le travail proposé dans les groupes thérapeutiques, pour accompagner les enfants (tant celui effectué au CMP, que l’année d’après à l’USPP) pousse à s’inventer grâce au pouvoir des enfants (psychotiques, autistes …). Pour ces enfants souvent hors langage, il s’agit alors d’interroger l’altérité autrement, d’entrer en lien sur d’autres bases : ils engagent donc toute notre créativité en réponse à leurs inventions. Ces enfants, pour qui il n’y a pas toujours d’approche de la dimension de l’altérité, questionnent ainsi notre propre existence et mettent en écho les processus les plus archaïques. Ils ont le pouvoir merveilleux d’engendrer la naissance du soi de l’autre, même si leur propre naissance ou re-naissance reste à faire. Ils questionnent nos propres fondements. Ils m’ont ainsi poussée à dégager ou me désengager des accessoires pour toucher le centre de moi-même. Ces enfants se situent souvent dans une situation d’inflation de l’autre : excès de l’autre dans une fusion ou refus de l’autre dans une absence à l’autre, inflation écrasante car trop de l’autre. Comme, par exemple, C. dans une sur-sensibilité, reste collé dans le regard de l’autre qui devient le centre du soi.

Le style qui va se forger à petits pas, est donc une conjugaison de soi, résultat de sa propre analyse et de ses expériences, et de l’autre. Lacan, se rapportant aux mots de Buffon, dit « le style c’est l’homme », et rajoute  « l’homme… à qui l’on s’adresse » (Lacan, 1966, Ecrits, Seuil, p. 15), un Autre au centre de nous-mêmes : une façon de convoquer l’altérité pour trouver sa subjectivité. Et c’est ce style qui va supporter le désir et opérer dans la clinique.

Durant mes stages, les groupes thérapeutiques ont fait l’objet d’une supervision ou contrôle comme ponctuation du travail clinique, sur le lieu de stage même. J’y ai donc découvert la nécessité du contrôle, tant dans sa dimension de formation que dans la volonté de faire advenir l’inconscient du patient et de soi-même. Il s’agit « d’y faire surgir ce qui est repéré au-delà du savoir » (Lacan, 1963, L’angoisse, Seuil). Si le contrôle s’impose c’est dire qu’il n’est pas imposé : le choix d’un contrôle relève de la décision de chacun. Il est une possibilité mais pas une obligation, il est un engagement de soi. Le contrôle vise à contrôler, ou dégager « les effets produits par sa pratique professionnelle », du fait qu’on est en analyse (D. Levy, 2010, Topique, Le contrôle s’impose). Mais pour profiter d’un contrôle, il faut s’y engager, s’y exposer. D’où la conjugaison nécessaire du contrôle et de sa propre analyse. Cette exposition de soi est une exigence du désir de formation. Durant les stages, elle n’est encore qu’en naissance. Mais elle va peu à peu prendre toute sa mesure au cours de la formation du psychologue, après qu’il ait obtenu l’autorisation d’exercer. Il ne peut y avoir formation sans exposition, car il faut du soi pour engager son désir. J’ai donc commencé à me former dès lors que j’ai pu exercer, alliant formation théorique, analyse et contrôle.

 

Conclusion

Je suis rentrée dans la psychanalyse par ma propre analyse qui m’a donné envie, envie de vivre selon mon désir. Une envie un peu tardive même si mon âge m’a permis d’entrer dans cette aventure avec quelques bagages forts utiles. J’ai traversé ma formation universitaire, comme un parcours du savoir passionnant pour m’en mieux décoller, et ainsi discerner. Les stages m’ont appris combien il fallait s’y référer, mais aussi s’en détacher parfois. Ils m’ont permis d’aborder, avant d’être psychologue, des questionnements pour être autorisée à être psychologue. Ils m’ont permis d’appréhender que « le langage structure tout dans la relation inter-humaine » (Lacan, 1966, Les Ecrits, Le Seuil,) et qu’il « est la condition de l’inconscient » (Lacan, L’étourdit, Scilicet, p 45). Mais, au-delà des mots, d’identifier des points d’ancrages et de nouages, une façon d’être. J’ai ouvert mon cabinet libéral peu de temps après l’obtention de mon diplôme et trouvé un emploi rapidement après la fin de mes études, ou on m’a fait confiance même si j’étais jeune diplômée. Je me suis présentée comme une jeune psychologue sans expérience, si ce n’est celle de ma vie, une psychologue qui ne savait pas même si elle était supposée savoir. Et cela a été possible grâce aux rencontres que j’ai pu faire pendant ses stages. Puis… surprise…, j’ai moi-même été sollicitée peu de temps après avoir trouvé un emploi pour accompagner une stagiaire…