Association de Psychologues Cliniciens d'Orientation Freudienne

Corps errant, corps retrouvé

 

Cécile VIGNE

Corps errant, corps retrouvé

            Afin de garantir l’anonymat et pour raison de confidentialité, les lieux et les noms ont été modifiés.

C’est au travers de la Fiction réalité psychologique que je vais essayer au mieux de vous faire découvrir le quotidien d’une mission de police. Les faits exposés ont été volontairement modifiés et déstructurés afin d’en préserver la discrétion et le secret. Étant passionnée par le septième art et ayant eu une expérience professionnelle de plus de 5 ans en agence, notamment dans le domaine du cinéma, il m’est venu à l’idée de créer de toute pièce une intervention de police au sein d’un commissariat. C’est au travers du faux inspiré de fait réel, que mon histoire prendra forme dans le vrai. En effet ma nouvelle profession m’a donner goût à l’écriture et m’a permis d’acquérir un certain regard sur la société. J’ai toujours était impressionnée par le nombre de policiers écrivant à leurs heures perdus (gardiens de la paix, officiers, commissaires…). L’art est la police seraient-ils des frères jumeaux? On pourrait se poser la question, mais ce n’est pas le but de cette soirée. Je commencerais donc mon texte par: inspiré de fait réel, corps errant, corps retrouvé.

Je m’appelle Cécile Vigne, et je suis un personnage de fiction. Dans mon rôle, je suis policière en fonction dans un commissariat de province.

Avant de rentrer dans le vif du sujet «corps errant, corps retrouvé», je me propose d’introduire sur le rôle de l’accueil dans un commissariat.

Que se passe t’il lorsqu’une personne pousse la porte d’un commissariat? Comment est elle prise en charge?

L’accueil se situe dans le hall du commissariat, sa configuration fait d’elle qu’elle est le premier lien entre le policier et la victime. Sa mission est donc l’une des plus délicate. Le policier se retrouvera constamment en première ligne face à la douleur physique et morale et devra traiter celle-ci au plus vite sans pour autant laisser de côté la victime.

En journée, dans un commissariat d’une grande circonscription, les policiers peuvent avoir plus de 30 victimes en attente de recueillement d’information. Le temps est donc important, nous devons aller vite, sans pour autant négliger certains détails, il nous faut trouver un juste milieu. Nous pouvons recevoir tout type de personnes comme des victimes d’agressions, d’infractions, demandeuses de renseignements… mais aussi plus atypique… des aliénés en manque de communication, j’y reviendrais plus tard. Tous ces entretiens sont réalisés dans un cadre confidentiel. Préserver l’usager est avant tout notre priorité.

Le policier en charge d’une mission, en plus de devoir user de ses qualités d’écoute, devra avoir constamment une vigilance accrue. Un triste exemple vient imager ce danger : en août 2016 à Toulouse un jeune policier c’est fait agressé au couteau à l’accueil d’un commissariat. Cette affaire nous rappelle que le danger peut survenir à tout moment. Nous devons toujours garder à l’esprit que nous pouvons être à tout moment une cible. Pour limiter le risque, la configuration du commissariat fait que nous sommes séparés de l’interlocuteur par un grand comptoir qui permet de garder une distance avec celui-ci. Nous pouvons également contrôler l’entrée de chaque personne poussant la porte du commissariat afin d’effectuer un premier filtrage.

Autre point important, dans chaque affaire nous devons travailler avec discernement, empathie et impartialité, ce qui nous permettra de ne pas nous projeter vis à vis de nos expériences antérieures afin de garantir au mieux un service personnalisé et efficace.

L’accueil par ses missions nous renvoie donc au coeur de la société, pour ne pas citer cette célèbre citation: «C’est pour cela que je me suis fait policier. Pour être au centre des choses» de Albert Camus, Les Justes, 1949. C’est par cet action que la notion de service publique prend toute sa dimension.

Action!!! J’écrit

Scène 1: Prise en charge des victimes.

Nous sommes deux policiers de nuit dans un commissariat de province en poste à l’accueil. Nous avons pour but de recueillir les informations des victimes afin de les traiter au plus vite. C’est un service d’aide aux victimes.

Au environ de deux heures du matin se présente à nous un couple: un homme et une femme tout deux âgés d’environ une quarantaine d’années. Ils nous font part de leur inquiétude sur la disparition de leur fille âgé de 16 ans, se nommant Albertine et nous mentionnent que celle-ci fait régulièrement des fugues. Nous décidons de leur venir en aide en commençant par leur poser une série de questions pour comprendre au mieux la gravité de la fugue.

Pour information, souvent les fugues de mineurs ne dépasseront pas 48 heures et se régleront par elle même. La fugue juridiquement parlant, n’est pas un délit sauf pour cas particulier pouvant engager la vie d’autrui ou autres… Malgré ces statistiques nous ne pouvons prendre le risque de prendre à la légère cette situation.

Scène 2: Constat de la disparition du corps (corps au sens philosophique).

À cette heure ci, il n’y a pas de file d’attente dans le commissariat. Nous avons donc tout notre temps pour essayer de comprendre cette disparition et d’en déterminer la gravité ou la véracité. D’un regard extérieur nous n’y pensons pas forcément mais fort malheureusement les services de police peuvent être sollicité à tord par des personnes fabulatrices ou présentant des troubles psychiatrique sévère. Il m’est arrivée de recevoir une personne présentant une forme de délire paranoïaque se présentant comme persécuté par son poisson rouge… Dans un cas comme celui-ci il est facile d’en déterminer la véracité, alors que pour d’autres un questionnement plus approfondi nous permettra d’évaluer la vérité.

Nous demandons aux parents la date et l’heure de la disparition. D’après eux, celle-ci remonterai à moins de 8 heures. Ils ne savent pas ou elle pourrait se trouver, bien que la mère tient à nous signaler un élément troublant. Elle nous raconte que deux jours avant la disparition, elle aurait lu par inadvertance un e-mail envoyé par sa fille sur l’ordinateur familial. Le message était à destination d’un garçon se nommant Paul et disait : « voyons nous bientôt, j’espère pouvoir venir chez toi et que tu pourra enfin t’organiser auprès de ton travail ». D’après eux, elle serait peut être chez cet inconnu, dont ils n’ont ni l’adresse, ni le nom de famille. Pour notre service ce sont des éléments à prendre en compte mais pas suffisant, nous avons besoin d’en savoir plus. Nous expliquons aux parents que si cette personne héberge leur fille, elle pourrait être accusée de détournement de mineur au yeux de la loi, en effet celle-ci devrait exiger une autorisation parentale.

Dans la continuité de notre enquête, nous leur demandons si Albertine aurait pu les contacter après sa disparition ? La mère nous répond avoir reçu un SMS dans lequel était écrit qu’elle rentrerait le soir comme prévu. Prise pas l’inquiétude de ne pas voir sa fille rentrer, la mère nous raconte qu’elle aurait essayé de la joindre à plusieurs reprise par téléphone. Sans réponses, elle réalise qu’elle ne rentrera pas… Suite à ce questionnement nous observons qu’il y a bien disparition du corps au sens philosophique, soit la disparition du sujet.

Scène 3: Portrait psychologique d’Albertine la fille disparue.

Nous demandons à la mère de nous éclairer sur la personnalité d’Albertine afin de mieux la comprendre. Elle nous évoque sa fille comme étant solitaire et ayant peu d’amis. Elle aurait arrêté depuis plusieurs années ses activités sportives et serait en échec scolaire depuis de nombreuses années malgré la mise en place de cours particuliers. Elle l’a décrit comme une fille hypersensible ayant du mal à gérer ses émotions et participant peu au devoirs familiaux. De plus Albertine ne serait pas particulièrement proche de sa sœur Marion qui est son aînée. La mère se dit malgré tout proche de sa fille, ainsi qu’à l’écoute, elle nous dit avoir tendance à la surprotéger.

Le père quand à lui, cherche à interrompre sa femme pour nous faire part qu’il aurait remarqué que depuis environ deux ans, sa fille aurait de mauvaises fréquentations et de temps à autre ferait l’usage de stupéfiants. Il nous dit alors avoir essayé à plusieurs reprises d’exercer son autorité auprès d’elle, mais que celle-ci n’aurait toujours pas pris conscience de la gravité de ses actes. Elle lui aurait dit : « c’est de votre faute si je m’ennuie, j’ai besoin de vivre, c’est de mon âge de sortir ». Conscient du mal être de sa fille, mais dépassé par une situation qui s’accumule au fil des années, il en déduit qu’elle éprouve le besoin et cela de manière constante, de rechercher des sensations fortes, des limites.

Les parents tiennent également à rajouter qu’elle n’est pas connu des services de police malgré ces micros fugues qui généralement ne dépassent pas 8 heures. Nous voulons en savoir plus, nous leur demandons donc le nombre de fois ou elle aurait cherché à fuir son foyer. Le père nous raconte que depuis ses 14 ans, elle aurait fugué environ 4 fois et toujours sans motivation particulière de sa part. Il ajoute que d’habitude elle part la journée mais revient le soir, c’est donc la première fois qu’elle ne rentre pas, d’ou son inquiétude.

Les parents en concluent donc qu’Albertine cherche à s’en aller vers un inconnu dans le but de créer une rupture avec sa propre histoire. Pour elle, la fugue va l’entrainer vers sa propre disparition psychique et corporelle, c’est la fuite du corps. Le discours des parents nous aident à mieux la comprendre et nous laissent apparaître des indices qui nous permettrons peut-être de la retrouver.

Scène 4: Portrait psychologique des parents.

Afin d’approfondir notre enquête, nous décidons de prendre en compte l’état émotionnel des parents. Nous constatons une mère très inquiète et un père plutôt distant, voir se montrant colérique à son égard. Nous leur demandons de nous décliner leur identité, ainsi que leur lien de filiation. Muriel la mère est âgée de 45 ans et épouse en instance de divorce de Laurent le père qui est âgé de 50 ans. Ils ont deux enfants: Albertine la disparu, est âgée de 16 ans et Marion âgée de 18 ans, sans problèmes particulier.

Nous constatons qu’à chaque questions auprès de la mère, le père se montre frileux et désireux de tout contrôle de la situation. Nous avons un sentiment qu’il endosse le rôle de la «toute puissance» sur son foyer ou du moins qu’il cherche à l’être. Il n’aime pas déléguer et rejette la faute sur la mère en lui prétextant que celle-ci est trop laxiste envers sa fille, soit trop «mère poule». Nous ressentons un rapport de force, pour éviter tout conflit nous décidons de nous affirmer envers le père afin de laisser s’exprimer librement la mère.

Nous devons jouer plusieurs rôles : être dans l’empathie et ferme à la fois pour ne pas nous laisser influencer. Notre exercice reste difficile, nous devons mettre de côté nos propres convictions et croyances, le policier se doit d’être neutre, loyal et impartial.

Scène 5: Entrer en contact avec Albertine, le corps disparu.

La mère tient à nous montrer son téléphone portable ou se trouve de nombreux SMS envoyés et laissés sans réponses. Nous décidons d’effectuer un travail dit de négociation afin d’établir un contact auprès d’Albertine et enfin d’essayer d’en déterminer si oui ou non elle serait susceptible de rentrer par elle-même. Le désespoir des parents, et notre constat accablant face à cette fugue nous laissent penser que nous devons agir au plus vite, tenter notre chance. Nous décidons de prendre les devants.

Nous expliquons aux parents que nous allons essayer de rentrer en contact par téléphone auprès de leur fille, pour renouer un lien et tenter de lui faire comprendre que son acte pourrait la mettre en danger. C’est par notre statut de représentant de la loi que nous espérons une prise de conscience de sa part. La mère semble être en accord par notre idée, contrairement au père qui se montre plus réticent mais accepte malgré tout. Il nous exprime qu’il aimerait que se soit lui qui prenne les devants, déléguer est pour lui une perte de temps ainsi qu’une fuite de son autorité envers sa fille. Nous lui faisons remarquer que si celui-ci est venu au commissariat, c’est parce qu’il se retrouve sans solutions pour mettre un terme à la fugue.

Nous tenons à lui démontrer avec calme que de faire intervenir un tiers, pourrait déclencher une peur et faire réaliser à sa fille que sa « simple fugue » est un acte grave. Les parents acceptent notre stratégie et nous laissons donc un message vocal à l’aide de notre téléphone de fonction sur le téléphone d’ Albertine. Malgré notre tentative Albertine n’a pas souhaité décrocher, mais nous nous en doutions sachant qu’elle ne connaissait par notre numéro.

Nous lui laissons donc un message vocal en nous présentant comme le commissariat de sa ville ainsi que nous sommes en présence de ses parents qui sont particulièrement inquiet de ne pas savoir ou elle se trouve. Notre appel au premier abord fût donc un échec. Nous prenons alors l’initiative de faire envoyer un SMS par la mère, en lui faisant dire: « nous sommes très inquiet de ne pas savoir ou tu te trouves et la police aussi, donne nous vite signe de vie ». Cinq minutes après l’envoie du SMS, Albertine lui répond. Il semblerait que la peur du «gendarme» ait opéré.

Scène 6: La localisation du corps.

Albertine n’aura donc pas souhaiter nous parler, mais aura tout de même envoyer un SMS à sa mère pour lui dire de ne pas s’inquiéter et qu’elle se trouve en sécurité chez un ami sur Montpellier. La mère nous signale qu’elle ne connaît personne dans cette ville et que sa fille non plus… elle en déduit qu’il s’agirait peut être du Paul en question…

Malgré l’échec de la localisation du corps, la «peur du gendarme» aura permis un déclic venant de sa part. Elle se retrouve dans une situation de semi prise de conscience sachant qu’elle ne souhaite pas donner l’adresse de son ami. Sa mère décide alors de lui répondre: « ne t’inquiète pas, nous ne t’en voulons pas, tu ne risques rien ». À la suite du SMS, Albertine décide d’appeler sa mère pour lui dire qu’elle va rentrer au petit matin par le premier train, et lui dit de pas s’inquiéter. Elle ne s’éternise pas et raccroche aussi tôt.

eScène 7: Le soucis de l’autre.

Albertine par « peur du gendarme », soit de l’autorité, aura finit par comprendre l’importance de rentrer en contact auprès de sa mère. C’est cette peur qui lui déclenchera le soucis de l’autre et lui fera réaliser l’anxiété dans lequel se trouve sa mère. Nos échanges téléphoniques auront donc permis de faire le lien entre elle et sa mère, ce qui l’aura fait s’absenter temporairement de son «corps perdu» pour prendre «l’esprit perdu de sa mère». Ce transfert du corps à l’esprit la ramène peu à peu à la raison et donc à la vie, le sujet est en partie retrouvé.

Après cette prise de conscience, nous invitons les parents à rejoindre leur domicile, afin d’attendre au petit matin que leur fille rentre. Le fait d’avoir était en contact avec la fille et au vu de son passé nous comprenons qu’elle souhaite revenir chez elle, elle ne semble plus en danger.

Scène 8: Le sujet retrouvé.

Au petit matin, soit 4 heures après le passage des parents au commissariat, la mère se présente à nous et nous apprend que sa fille serait bien rentrée chez elle. Elle semble rassurée et vouloir exprimer son ressentie sur cette histoire. Elle nous explique qu’Albertine n’aurait pas souhaité évoquer les raisons de sa fugue mais aurait exprimé des regrets. C’est par cet occasion que la mère en aurait profité pour lui évoquer le fait qu’il serait peut être nécessaire pour elle d’en parler auprès d’un professionnel de la santé afin d’éviter toute forme de récidive et de tenter de renouer un lien familial. Albertine, fatiguée par cette situation qui se répète et anxieuse de ressentir sa mère triste, lui aurait fait comprendre qu’elle semblerait être aussi en accord pour en discuter. C’est par cet instant que le corps errant d’Albertine, laisse place au sujet retrouvé. Notre aide à la personne s’arrête donc ici.

Avant de partir, la mère tient également à nous remercier pour notre investissement et semble être consciente que nous ayons fait notre maximum pour mettre un terme à cette fugue. Nous lui répondons que cela fait partie intégrante de notre profession d’être au service du public. Elle nous remercie et s’en va. Notre histoire prend fin pour laisser place à une autre affaire. Personne suivante s’il vous plait.

Conclusion

c’est part la sollicitation des services de police que les parents auront pris conscience de leur impuissance face à la fugue de leur fille, en particulier auprès du père. La disparition du cadre entraînant une rupture au sein du foyer familial aura déclenché un défaut de communication et donc la fuite du corps. La compréhension de la psychologie de la famille aura permis de s’adapter au mieux à la situation et d’engager un travail dit de négociation entre les parents et leur fille. Il aura donc fallu l’intervention d’un tiers au statut dit « autoritaire » soit le rôle du policier, pour renouer le lien et permettre une prise de conscience envers Albertine pour pallier au désespoir de son acte. Le corps errant laisse donc place au sujet retrouvé.

 

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