Association de Psychologues Cliniciens d'Orientation Freudienne

Fascination pour le symptôme

Said BELLAKHDA

Le symptôme, comme chacun le sait, est lié à la sexualité et sert à colmater, endiguer l’angoisse. Ces éléments s’agrègent à la fascination du sujet et parfois des soignants pour le symptôme, ce qui rend difficile la prise en charge d’un adolescent. Par delà la possible rencontre de la clinique avec le Réel, plutôt que de présenter une prise en charge analytique d’un patient dans un face à face avec un analyste. Il s’agit, ici, de rendre compte des difficultés à proposer un espace de soin à un adolescent qui comme certains nombre de jeunes patients se présentent ou sont présentés par leurs parents en consultation à partir de propositions de diagnostics tirées de ce qu’ils lisent dans certains hebdomadaires, ce qu’ils trouvent sur Internet ou ce qu’ils ont vu à la télévision. Ils sont ainsi enclins à exhiber certains symptômes quelquefois comme curiosité, parfois comme différence ou singularité valorisante par rapport aux autres. C’est le cas, par exemple de ceux qui sont présentés comme « surdoués » et affichent ainsi leur inaptitude et difficultés à suivre un enseignement dans le cursus scolaire normal, oublieux par ailleurs, que le QI est très largement corrélé à la scolarité. Autrement dit un QI qualifié d’élevé qui devrait être la garantie d’une bonne réussite et une bonne insertion scolaire produirait, ici, l’effet inverse.

I Le symptôme versus patient-versus soignants

Avant d’aller plus loin, je rappelle que la fascination signifie d’après le dictionnaire historique de la langue française et depuis son origine latine « faire des charmes », « des enchantements », et devient progressivement « porter malheur » (XVI siècle) et renvoie à la puissance du regard.

Au sens figuré la signification est : « captiver par la beauté, le prestige »

Selon Le Larousse, il s’agit d’un vif attrait, ce qui éblouit.

Dans le cas d’un jeune, appelons-le Henry, 15 ans, jeune totalement déscolarisé et sans aucune attache sociale à l’exception de ses parents, l’idéalisation par la famille de la scolarité et d’un QI présenté comme étant exceptionnel est telle que nous sommes en droit de nous interroger sur la projection du narcissisme des parents sur leur fils et sur ce que cela peut représenter sur le plan intergénérationnel. Dans l’exemple auquel je me réfère, le jeune ne souffre pas seulement d’un QI qui le valoriserait. Ce n’est qu’au fil du temps au cours des consultations que d’autres aspects de la souffrance de ce jeune seront énoncés : troubles du sommeil, claustrophobie, discours émaillé de contradictions et de paradoxes sur son état etc.

Le ou les symptômes sont ici présentés comme une anomalie (à l’exception du QI), quelquefois comme une sorte d’excroissance qui se développe, une sorte de «machine célibataire» en somme et qui permet d’obtenir un certains nombre de privilèges et autres bénéfices secondaires : reconnu comme différent, Henry a des aménagements scolaires, il peut aller à l’infirmerie du Collège quand il estime que ça va mal, ou bien rester et, c’est encore mieux, à la maison auprès de sa mère qui propose de l’inscrire à des cours par correspondance et faire le travail scolaire avec lui. Elle est « très attachée à moi » dit-il de cette mère issue d’une lignée d’enseignants et qui a pris un poste de travail à mi-temps pour s’occuper de son fils à la maison qu’elle présente aussi comme « dyslexique », « dysorthographique » et « dysgraphique ».

Le père se présente comme un ingénieur très affairé, un père que je qualifierais de « père sur la route » toujours en déplacement afin de régler les problèmes de l’entreprise qui l’emploie. Peu présent dans sa famille et au service d’une entreprise dont il pense être un élément dirigeant indispensable, il délègue à son épouse l’éducation et tout ce qui concerne ses enfants : scolarité, soins, vacances, etc. Aussi, il ne pense pas que sa présence à nos rencontres soit utile : «  je lui fais confiance dit-il en montrant son épouse. Il sera très peu disponible pour des échanges concernant son fils. Henry, sa mère et le père invités à fournir les éléments d’une histoire pouvant donner sens aux difficultés du jeune ne peuvent s’exprimer qu’en donnant des faits, du factuel, des certitudes sans jamais pouvoir faire de liens et sans pouvoir associer entre les évènements présentés et les situations vécues. Tout est dit comme si une description des problèmes devait aboutir à confirmer un diagnostic. C’est donc au clinicien qu’incombe la tâche d’établir ces liens et tenter de rassembler les éléments disparates.

La mère, par exemple, affirme ne rien savoir de ce qui concerne la famille de son époux et inversement le père dit ne rien savoir sur la famille de celle-ci. Henry, quant à lui expose sa souffrance de voir rarement son père et affirme le contraire quelque temps après. Reçu sans ses parents, il expose presque dans un souffle son « ral bol des profs », de la scolarité, reproche aux psychologues et aux psychiatres « de mettre des gens dans des cases ». Je lui fais remarquer la contradiction dans laquelle il se trouve : critiquer comme il le fait les « psychistes » tout en se présentant lui-même à travers des classifications proposée par ces psychistes !

Le patient, sa famille, les soignants ne mettent pas en avant le ou les mêmes symptômes notions et thèmes qui vont être sans aucun doute définis et traités au cours de la journée par les différents intervenants, aussi je ne propose ici qu’un plan des plus schématique.

Si le symptôme est envisagé comme un déficit ou un problème à éradiquer, un dysfonctionnement et, dans le cas précédent, il s’agissait pour les parents du jeune Henry de soulager des problèmes de sommeil et d’attention et ont, pour cela, trouvé les médecins prescripteurs de médicaments pour tel ou tel symptôme, alors que cette histoire de QI est plutôt considérée comme un fait de nature, de constitution justifiant son isolement social, sauf à pouvoir trouver un établissement spécialisé ne recevant que « des surdoués ». Ce jeune va donc consulter divers médecins et psychistes et un magnétiseur. L’un prescrivant de la ritaline l’autre d’autres remèdes etc.

J’apprends peu à peu qu’Henry rencontre en sus d’un psychiatre, ce qui était convenu au départ, un neurologue, différents médecins en fonction de tel ou tel symptôme etc. Il a du subir des ruptures de traitements et à consulter à nouveau ailleurs dans une sorte de nomadisme.

Le symptôme en psychanalyse est considéré d’une autre manière et je n’en rappelle que certains axes puisque tout cela va être repris tout au long de la journée.

II Le symptôme en psychanalyse :

Pour Freud il relève de la satisfaction pulsionnel et une défense contre celle-ci (cela pourrait évoquer l’expression…Flic et voyou)

Il a un sens (Introduction à la psychanalyse-1917) mais ce sens n’est pas mis au regard d’un référent, mais à mettre en relation avec l’histoire du sujet…Il est dit, Freud :

« rattaché étroitement à la vie psychique » de chaque personne qui présente un symptôme.

Aussi pour avancer dans un travail d’élaboration, le patient doit-il être amené à faire de son symptôme une question, une énigme à déchiffrer.

Le symptôme, en effet, est l’expression d’un conflit inconscient : et il est d’abord commémoration d’un trauma lié aux exigences du refoulement.

Le désir se fraie une voie d’accès vers la satisfaction (satisfaction pulsionnel et Défense)

-Le symptôme se manifeste par l’expression du corps comme dans l’hystérie

-Par des idées obsédantes chez l’obsessionnel.

-Evitement phobique etc.

S’agissant du symptôme, je rappelle aussi que pour Freud le délire du Président Schreiber n’est pas une maladie mais une tentative de guérison.

-Le symptôme peut traduire une angoisse de castration, une perte d’objet autrement dit  ce qui relève de la : névrose, psychose, perversion

-Le symptôme peut être aussi une prothèse comme cela a été montré pour Joyce dans un séminaire de J. Lacan

Dans Inhibition, Symptôme, Angoisse (1926) la dimension du symptôme comme moyen de faire avec l’angoisse est au premier plan. Cela sera réaffirmé dans Construction en Analyse où Freud avance :

« que les mécanismes de défense font retour dans la cure en tant que résistances opposées à la guérison. Cela aboutit au résultat que la guérison elle-même est traitée par le Moi comme un nouveau danger. »

Autrement dit, le patient préfère son symptôme à une hypothétique guérison qui laisserait libre court à son angoisse.

Un autre point qui peut s’ajouter à ce que je viens d’énoncer et freine la prise en charge, est que le symptôme suscite la curiosité.

III Le symptôme et la sexualité

En effet, dans une perspective psychanalytique, et chacun le sait vu la vulgarisation dont la psychanalyse a fait l’objet nous entrons dans l’intimité du sujet.

Freud qui évoque une patiente pose la question : « Et serait-ce un fait accidentel et sans importance que notre analyse nous ait introduit dans l’intimité de la vie sexuelle de la malade ? » (In Introduction à la psychanalyse) car les associations de cette patiente l’amène à évoquer la nuit de noce à la quelle le symptôme était en lien.

Dans ce registre nous pouvons aussi nous référer à l’intérêt pour ce qui a pu se passer derrière la porte d’une chambre d’hôtel à New-York et qui intéresse des journalistes et quelques psychiatres intervenant dans les médias pour exiger d’un homme politique de dire, je cite : « que s’est-il vraiment passé dans la suite n° tant de l’hôtel Sofitel »

Ici comme chacun le sait cela est en résonnance avec une scène originaire.

Par ailleurs, chacun se souvient, que Freud avait noté qu’on lisait les cas qu’il avait publiés comme des romans. Il est à rappeler que la sexualité qui est dévoilé dans certains textes freudiens joue une un rôle de premier plan aussi bien dans l’attrait pour ces textes que dans le rejet de ceux-ci (et où s’énoncent les énigmes de la sexualité).

P. Guignard nous rappelle dans son essai (Le Sexe et l’effroi) et à partir de l’analyse les regards de scènes et de fresques de Pompéi restées intactes après l’irruption du Volcan que la fascination serait en lien avec l’attirance et la répulsion pour le sexe masculin en érection ainsi que la figure de la Méduse.

C’est parce qu’on y suppose de l’infantile, de la sexualité infantile que le symptôme fascine l’entourage du patient, voir certains soignants. Cette fascination peut aussi être le lieu de la sidération par un noyau psychotique entrainant les parents ou ceux qui ont à s’occuper du patient à surinvestir positivement certains traits, certaines attitudes étranges ou étonnantes comme le QI. évitant ainsi de penser et prendre en compte le drame sous-jacent.

Pour récapituler : le symptôme comme défense contre l’angoisse au prix d’un refus de la guérison au sens où Freud l’exprime, à quoi s’ajoute la fascination, l’attrait et la répulsion pour l’infantile, voir la sidération sont susceptibles de maintenir le statu quo : que rien ne bouge, en fait.

IV Autres symptômes sous-jacent : Absence de séparation, de coupure et indifférenciation.

Les autres symptômes finalement sont aussi à prendre en compte.

Absence de « coupure » entre mère/enfant, ce que Racamier appelle l’incestuel et qu’il résume ainsi :

« Ensemble nous formons un être à tous égards unique, inimitable, insurmontable et parfait ».

La séduction tient là une place importante et de fait

L’enfant incestué (Inces-tué) a été soumis à une emprise alors qu’il croyait être aimé. Nous voyons avec Henry que sa mère veut le sculpter selon une image idéalisée pensant et parlant à sa place, sait ce qu’il veut et souhaite.

3) La mère incestuelle veut l’enfant pour elle :

L’incestuel, pour P.-C. Racamier qualifie « ce qui, dans la vie psychique individuelle et familiale porte l’empreinte de l’inceste non fantasmé, sans qu’en soient nécessairement accomplies les formes génitales ».

4) L’incestuel constitue un registre qui se substitue à celui du fantasme et relève de la mise en acte.

Cette absence de différentiation se repère aisément :

-Lorsqu’il y a des problèmes de place et d’interchangeabilité des places dans une famille, ainsi le père d’Henry « père sur la route laisse la place à une relative parentalisation de son fils qui fait quasiment couple avec sa mère.

La place des objets, (argent, vêtements etc.) et leurs circulations au sein de la famille peuvent jouer un rôle de premier plan.

Le défaut de limites : nous avons vu plus haut la question des devoirs scolaires et du rapproché qu’ils permettent à un âge où un jeune recherche davantage de distance avec ses parents oedipiens.

P.-C. Racamier précise :

« Le désir qui chez la mère la pousse à séduire narcissiquement son enfant est que cet enfant reste une partie d’elle-même, physiquement et psychiquement et qu’à eux deux ils forment un organisme omnipotent défiant toute autre présence et toute autre loi, ainsi l’enfant narcissiquement séduit doit être comme s’il n’était pas né, en tout cas comme s’il n’avait pas été engendré : la représentation du père et du sexe du père est exclue. » ( P.-C. Racamier, Le génie des origines, p. 129.)

Cela renvoie aux problèmes de ces parents-là et à la possibilité de leur offrir aussi une écoute.

Conclusion : Pouvoir travailler psychanalytiquement avec les patients en souffrance comme Henry qui a ses propres symptômes tout en étant le symptôme de ses parents implique la mise en place d’un espace permettant à un jeune patient d’élaborer ses propres questions. 

Un long travail de séparation individuation dans la famille si elle l’accepte est nécessaire avant de pouvoir proposer un espace d’élaboration strictement individuel.