Association de Psychologues Cliniciens d'Orientation Freudienne

Histoire d’un concept en crise permanente – 6eme Journée Atelier Histoire des concepts – La clinique de l’ironie et le dit-schizophrène

Florence HAUTECOEUR

AFFICHE2-violet.jpgDécrite au début du siècle dernier, la schizophrénie est devenue le nouveau signifiant de la folie, synonyme, dans le discours courant, du bizarre et de l’incohérent et objet, dans le champ de la psychiatrie, de recherches incessantes et conflictuelles en ce qui concerne sa délimitation nosologique. A tel point que, considérant le XXème siècle comme « le siècle de la schizophrénie»1, certains historiens l’ont désignée comme «le nœud gordien de la psychiatrie »2.

Et pourtant une des questions qui n’a cessé de m’interroger porte sur la quasi absence de la schizophrénie dans le corpus freudien et lacanien, puisque l’un comme l’autre se sont intéressés d’abord et essentiellement à la paranoïa.

Pourquoi Freud, pourtant contemporain de Bleuler et du succès de la notion de schizophrénie dans la psychiatrie, en reste « assez éloigné »3 comme le dit Lacan dans son Séminaire sur les psychoses ?

C’est une question ouverte, à laquelle je n’ai pas la prétention de répondre, mais qui a orienté ma recherche aux sources de la schizophrénie.

Revenir sur l’histoire d’une entité nosographique, c’est suivre les tentatives mouvantes, transitoires et évolutives pour établir un tableau clinique, une classification nosographique, proposer une hypothèse psychopathologique ou encore une nomination. Sur ce point la schizophrénie est exemplaire : ce n’est pas un concept figé et c’est tout l’enjeu et la problématique du fil historique que je me propose de suivre.

Deux psychiatres sont pourtant incontournables en ce qui concerne l’émergence de la schizophrénie : Kraepelin d’abord avec la démence précoce, Bleuler ensuite à qui l’on doit le terme de schizophrénie.

Construits autour de deux paradigmes distincts, la démence et la dissociation, les travaux de ces deux psychiatres marquent le passage d’une nosographie objective à une interprétation psychopathologique. Toutefois, il s’agit dans un cas comme dans l’autre de dégager le trouble fondamental qui fonde l’unité de l’entité.

C’est d’ailleurs, par la suite, ce que les psychiatres de l’école française ou allemande n’auront de cesse d’essayer. Or nous verrons que pour différentes qu’elles soient ces tentatives se heurtent aux mêmes critiques : limites trop floues, extension démesurée du concept, absence de critère diagnostique.

Indéfiniment discutée, la schizophrénie semble un concept en crise permanente. Il s’agit ici de revenir aux sources de son histoire dans le discours psychiatrique, laissant à mes collègues tout au long de cette journée le soin d’explorer ce qui dans le discours psychanalytique peut permettre de sortir de cette crise.

Les premières descriptions

Si au temps de Pinel ou d’Esquirol la manie constituait le modèle de la folie, dans la psychiatrie de la deuxième moitié du XIX siècle c’est la paralysie générale qui va devenir le prototype de la maladie mentale. L’évolution est devenue le critère majeur, opérant la distinction entre psychose chronique et psychose aiguë et déterminant la description des phases évolutives des délires. L’évolution de la paralysie générale en quatre phases qui s’enchaînent inexorablement vers un état terminal de démence devient le modèle paradigmatique pour la description de l’évolution des psychoses chroniques.

En France, Morel décrit pour la première fois en 1852 les signes cliniques de ce qu’il nommera en 1860 « démence précoce » : ces « aliénés jeunes qui se présentent à l’observateur avec toutes les chances de guérison. Mais après un examen attentif on reste convaincu que la terminaison par l’idiotisme et la démence est le triste couronnement de l’évolution »4. Tableau marqué par une « torpeur voisine de l’hébétement », puis par « l’immobilisation soudaine de toutes les facultés »5, et enfin par une détérioration rapide des facultés intellectuelles.

En Allemagne, Kahlbaum applique une nouvelle démarche qui permet de distinguer à partir de l’évolution non plus seulement des étapes successives mais de véritables maladies mentales, c’est ce qu’il appelle la « méthode clinique ». Il décrit ainsi la catatonie en 1874, « démence de tension » caractérisée par des troubles de l’activité motrice volontaire, et la paraphrénia hébética, ou « folie juvénile » qui reprend la description de Morel : trouble débutant après la puberté, caractérisé par une involution intellectuelle et des troubles du comportement évoluant rapidement vers la démence. Son élève Hecker ajoute en 1871 au tableau de l’hébéphrénie la description de signes avant-coureurs parmi lesquels on trouve les troubles formels du langage : anomalies de la construction syntaxique, tournures oratoires, jargon étranger. Or cette idée que les troubles du langage traduisent directement l’effondrement du moi, ne sera pas reprise par l’école allemande, dont Bleuler, qui les considérera plutôt comme des symptômes accessoires conséquence du trouble de la pensée. Il faudra attendre Chaslin pour lancer l’hypothèse que le langage « par son désordre empêche de penser »6, autrement dit que la perte du sens des mots empêche l’activité de penser.

« Immobilisation », « détérioration », « involution », les termes de Morel ou de Kahlbaum traduisent bien la dimension déficitaire qui spécifie pour ces psychiatres l’évolution de ces nouvelles entités. D’autre part, c’est la sphère intellectuelle qui domine ces premières descriptions, les troubles formels de la pensée sont mis en avant puisque ce sont eux qui sous tendent les hallucinations comme les troubles du langage.

Kraepelin : le paradigme de la démence

Aliéniste allemand né en 1856, Kraepelin doit sa renommée à son Traité de psychiatrie dont les 8 éditions successives, publiées de 1883 à 1915, déterminent la nosographie au tournant du XIXème et du XXème siècles. Fervent partisan d’une nosographie objective, Kraepelin rejette l’analyse psychologique. Il se base sur les critères de l’évolution et de l’étiologie, adoptant la méthode clinique Kahlbaum selon laquelle « le pronostic détermine le diagnostic ». La théorie de la dégénérescence, qui inspire Kraepelin dans les premiers traités, laisse rapidement la place à la démence et à une étiologie organique (auto-intoxication ou lésion cérébrale).

Dès la 4ème édition, Kraepelin reprend le terme de Morel de démence précoce pour décrire une psychose juvénile évoluant vers un affaiblissement psychique. Kraepelin opère en fait une synthèse entre la description de Morel, l’hébéphrénie de Hecker, la catatonie de Kahlbaum et un état délirant qu’il nomme démence paranoïde. Il élargit alors au fil des traités le cadre de la démence précoce qui finit par comporter 3 formes : hébéphrénique, catatonique et paranoïde. « Il y a une très grande diversité dans les états cliniques observables dans le cadre d’une démence précoce, si bien qu’une observation superficielle risque de méconnaître la parenté qui les relie »7.

Kraepelin distingue en effet les «signes secondaires accentuant et masquant la maladie » qui comportent les hallucinations, les idées délirantes, les troubles de l’humeur, des « troubles fondamentaux ». Selon Kraepelin, la démence précoce tire en effet son unité de l’évolution vers un abêtissement affectif puis une destruction de la personnalité. L’abêtissement affectif est un signe capital et constant, il regroupe pratiquement tous les symptômes négatifs : apragmatisme, aboulie, retrait, indifférence affective… Pour Kraepelin, l’abêtissement affectif, dont on perçoit le fort accent déficitaire, détermine les symptômes touchant à la sphère de la volonté, du comportement et de l’humeur. Il marque la progression vers la « démence terminale » qui constitue le véritable trouble fondamental : « La destruction de la personnalité psychique et du concert interne entre toutes les parties du mécanisme psychique est le véritable trouble fondamental de la démence précoce »8.

Ce n’est donc plus seulement l’intelligence qui est touchée, mais l’ensemble de la personnalité qui est atteinte. Kraepelin précise qu’il s’agit d’une « perte de l’unité intérieure » entre l’intellect, l’humeur et la volonté. Cette vision présente dans les dernières versions du Traité se rapproche de celle de Bleuler mais il s’agit pour Kraepelin d’une destruction irrémédiable de l’unité entre les sphères intellectuelles, affectives et comportementales là où, pour Bleuler, la scission a lieu au sein même de ces facultés et n’entraîne pas forcément de déficit. Nous verrons toutefois que c’est cette dimension de perte de l’unité ou du défaut de synthèse de la personnalité qui marquera dès lors l’abord clinique de la schizophrénie.

Le traité de Kraepelin n’est pas une œuvre figée et sa position évolue au fil des critiques. Alors que l’école française lui reproche son abandon de l’analyse psychologique et l’extension jugée abusive de la démence précoce du côté de la paranoïa, Kraepelin tient compte de ces critiques et modifie en conséquence sa nosographie. Il précise ainsi la frontière entre démence paranoïde et paranoïa, pour faire de cette dernière un système délirant sans hallucinations avec «une conservation complète de la clarté et de l’ordre dans la pensée, le vouloir et l’action »9. Loin de l’abord déficitaire de la démence précoce, il rattache alors la paranoïa aux troubles constitutionnels, ajoutant qu’on peut en comprendre la psychogenèse à partir de l’analyse psychologique.

Peut-on faire ici l’hypothèse que ce mouvement, qui concède à la paranoïa une part psychogène, influence le choix de Freud d’en faire la forme type de la psychose, lui permettant de « ne pas jauger le fou en termes de déficit et de dissociation des fonctions »10 ? En effet, à l’inverse, la démence précoce classée comme psychose endogène se voit cantonnée à un abord et une étiologie purement organicistes, d’origine lésionnelle ou auto-infectieuse.

Enfin Kraepelin infléchit sa position sur le pronostic. Il reconnaît que de nombreux cas de démence précoce n’ont pas de début précoce et n’évoluent pas vers la démence. C’est ce qui ouvre la voie à l’abandon du terme de démence précoce et au succès de la notion bleulérienne de schizophrénie.

Bleuler et le paradigme de la dissociation

Eugène Bleuler, psychiatre suisse, introduit le terme de schizophrénie le 24 avril 1908 au Congrès de l’association allemande de psychiatrie, puis détaillera ce concept dans sa monographie de 1911 Démentia praecox ou groupe des schizophrénies. Bleuler cherche à fonder son groupe des schizophrénies sur un tout autre critère que l’évolution : c’est un processus psychopathologique, la spaltung, qui fonde l’unité du groupe et lui donne son nom. « J’appelle démence précoce schizophrénie parce que, comme j’espère le montrer, la scission des fonctions psychiques les plus diverses est l’un de ses caractères les plus importants »11.

Qu’est ce donc que la spaltung qui constitue pour Bleuler le processus fondamental de la schizophrénie ?

La spaltung, traduite par scission, dissociation ou encore dislocation, désigne la dissociation des fonctions psychiques entrainant une perte de l’unité de la personnalité : les idées, les sensations, les aspirations cohabitent mais sans lien logique, ce qu’il appelle des complexes sont dissociés les uns des autres et influencent à tour de rôle la personnalité, d’où son aspect incohérent.

Mais la spaltung désigne aussi chez Bleuler le relâchement des associations : « Les voies usuelles ne sont plus suivies, le fil des idées se perd très facilement dans des travers non familiers et incorrects. Les associations se trouvent dès lors soumises aux influences du hasard, et en particulier aux émotions, ce qui aboutit à une disparition plus ou moins complète du raisonnement logique. »12. Le relâchement des associations est ainsi responsable de nombreux troubles de la pensée : absence de but dans la construction du discours, pensées stéréotypées, condensation de plusieurs concepts en un seul, trouble de l’attention, barrage…

La spaltung, qui constitue le processus fondamental de la schizophrénie, ne désigne donc pas des signes objectifs, ni des phénomènes observables en clinique, mais plutôt l’interprétation psychopathologique que l’on peut donner à ces phénomènes. Cependant, Bleuler considère le relâchement des associations comme un trouble particulier de la pensée, accentuant comme le dit A. Zenoni13 la dimension mentale de la maladie et ramenant la symptomatologie de la schizophrénie à un trouble fondamental d’ordre essentiellement intellectuel. C’est ce qui explique d’ailleurs selon lui que Freud ait bénéficié de la paranoïa, dont l’absence de trouble de l’attention, du raisonnement ou de la mémoire éloignait l’hypothèse d’une étiologie organique et permettait de faire intervenir une causalité libidinale.

Le relâchement des associations fait partie, aux côtés de la dissociation des fonctions psychiques et des troubles de l’affectivité, des symptômes fondamentaux, « présents à chaque instant et dans chaque cas » contrairement aux phénomènes accessoires qui « tantôt sont présent, tantôt manquent »14. Il y a à nouveau prédominance de la sphère intellectuelle et affective. Bleuler ramène la schizophrénie à une dysfonction cognitive et émotive tandis qu’il considère les symptômes catatoniques, les idées délirantes ou encore les hallucinations, comme des symptômes accessoires non spécifiques de la schizophrénie. Ainsi pour Bleuler le relâchement des associations suffit par sa présence à poser le diagnostic de schizophrénie, même en dehors de tout autre symptôme. C’est ce qui amène Bleuler à postuler l’existence d’une schizophrénie latente, dont nous verrons qu’elle cristallise un certains nombre de critiques. Pour Bleuler en effet « la schizophrénie peut être de tous les degrés, depuis la santé apparente jusqu’à la plus profonde démence »15. Mais là où Kraepelin mettait l’accent sur l’aspect déficitaire (abêtissement affectif et destruction des facultés intellectuelles) Bleuler précise que « la capacité de l’esprit à produire des affects ne disparait pas », de même que le sens de la réalité « n’est pas perdu […] il n’est aboli que relativement à certains contacts ». La dissociation permet ainsi à Bleuler d’expliquer les symptômes sans avoir à postuler de mécanisme détérioratif irréversible.

A la distinction symptômes fondamentaux symptômes accessoires Bleuler ajoute une deuxième distinction entre les symptômes primaires et secondaires.

Les symptômes primaires sont pour Bleuler la base du processus pathologique, les symptômes secondaires résultent de la lutte de la personnalité du sujet contre les symptômes primaires, autrement dit contre les effets de la dissociation. Les symptômes secondaires couvrent cependant une bonne partie de la symptomatologie : la discordance affective, l’autisme (ce que Bleuler définit comme la « retraite dans la vie intérieure »16), l’ambivalence, les altérations de la réalité (hallucinations, idées délirantes), les symptômes catatoniques.

Ainsi pour Bleuler la « symptomatologie qui saute aux yeux » est de nature adaptative, une façon d’échapper à une situation devenue intolérable.

Bleuler qui cherche à « approfondir plus avant la pathologie [par] l’application à la démence précoce des idées de Freud »17, met l’accent sur l’influence des mécanismes psychiques et une forme de causalité psychique dans l’expression des symptômes secondaires. Dans le même temps il reste fondamentalement organiciste puisqu’il défend l’idée que les symptômes primaires sont dus à un processus pathologique cérébral.

Cette balance entre une superstructure psychogène et une étiologie fondamentalement organique permet, du côté de la causalité psychique, une avancée thérapeutique. S’éloignant de la démence porteuse d’une vision déficitaire et irréversible, Bleuler a en effet ouvert la voie d’une compréhension et d’un traitement possible de certains symptômes. « On est allé jusqu’à dire que la schizophrénie, en raison de l’extension qu’elle prenait, devenait le synonyme de la folie. Ceci est exact, avec la réserve toutefois que « fou » veut dire fou et rien de plus, tandis que « schizophrène » veut dire : susceptible d’être compris et d’être guidé par nous »18.

Mais la balance finira par pencher en faveur de l’organogenèse, puisque c’est la dimension cognitive et son substrat organique qui inspirera la ferveur des recherches ultérieures.

L’extension du domaine de la schizophrénie

Le terme bleulérien de schizophrénie connaît un retentissement sans précédent et s’impose dans le champ de la psychiatrie comme dans le langage courant, laissant penser qu’il s’agit là d’une entité autonome, spécifique et homogène. Or, depuis Bleuler les critiques et les termes du débat que suscitent la définition, la description et la délimitation de la schizophrénie restent identiques et permanents : frontières jugées trop floues ou étendues, insuffisance des critères permettant d’établir le diagnostic, hétérogénéité des symptômes. A tel point que certains n’ont pas hésité à questionner la validité de la schizophrénie ou à affirmer que « la schizophrénie n’existe pas »19 tandis que d’autres déplorent que « les psychiatres…(n’aient pas) conjugué leurs efforts pour s’entendre sur la définition même de ce mot magique »20.

A Kraepelin il avait été reproché de fonder l’unité de l’entité sur une évolution qui n’était ni spécifique à la démence précoce, ni observable dans tous les cas. Du temps de Bleuler l’insuffisance des critères diagnostiques reste au centre des débats puisqu’il fonde le diagnostic et l’unité de son groupe des schizophrénies sur un processus, la dissociation, qui n’est pas davantage l’apanage de la schizophrénie (voir les travaux de Janet et Charcot à la même époque sur l’hystérie). Bleuler reconnait lui-même que la délimitation de la schizophrénie se fait « pour le moment du moins, d’une manière négative »21, considérant que tout ce qui n’appartient pas aux psychoses organiques peut rentrer dans le cadre de la schizophrénie. Puisque la plupart des symptômes observables appartiennent pour Bleuler aux symptômes accessoires et sont donc interchangeables, il n’existe pas de symptôme pathognomonique et c’est en effet par élimination que se fait le diagnostic. Ce diagnostic par défaut restera à l’œuvre jusque dans les manuels CIM 10 et DSM, et l’absence de symptôme pathognomonique considéré comme responsable d’une inflation diagnostique.

Une deuxième série de critiques portent sur l’hétérogénéité des tableaux cliniques réunis sous le terme de schizophrénie. Si l’école française reprochait déjà à Kraepelin la diversité des états cliniques observables dans la démence précoce, Henri Ey, introducteur de l’œuvre de Bleuler en France, relève le « grand nombre de syndromes disparates que Bleuler force à entrer dans le cadre de la schizophrénie ». En effet, entre la schizophrénie paranoïde où dominent hallucinations et délire, la schizophrénie catatonique où dominent la rigidité et la stupeur, ou encore la schizophrénie simple sans illusions ni hallucinations, il reste difficile de légitimer l’unité de l’entité.

D’autres encore ont vivement critiqué l’extension démesurée de la schizophrénie, notamment sa déclinaison du normal au pathologique. Certains ironisent sur la « Confédération schizophrénique »22 de Bleuler quand d’autres s’inquiètent de savoir « si elle a des limites et si il est des gens qui puissent y échapper »23.

A la suite de Bleuler, les tenants d’un continuum entre la personnalité et la psychose s’appuyant sur la notion de schizophrénie latente s’opposent aux tenants d’une distinction franche entre personnalité pathologique et maladie mentale.

H. Claude reprend l’idée d’une gradation de la dissociation et développe les catégories de schizoïdie et de schizomanie. Kretshmer développe la série schizophrénie schizoïdie schizothymie allant de la personnalité normale à la psychose caractérisée.

A l’opposé, Schneider sépare les personnalités pathologiques des maladies mentales. Il distingue en 1946 les symptômes schizophréniques de 1er et de 2nd rang qui servent au diagnostic différentiel avec la pmd, mais ne constituent pas davantage selon lui les critères d’un diagnostic positif de la schizophrénie.

Face à cette imprécision nosologique et cette difficulté à fonder l’unité de l’entité, ce sont les recherches biologiques, visant à découvrir le substrat organique de la schizophrénie qui prennent le devant de la scène.

Là où Kraepelin supposait une auto-intoxication ou une lésion cérébrale, Bleuler évoque des modifications anatomo-pathologiques du cerveau. Pendant les années 40-50, des centaines de scientifiques cherchent les causes biologiques de la schizophrénie en testant les urines, le sang, la conductivité de la peau ou encore l’odeur des schizophrènes. Chaque recherche fait la une des journaux mais demeure infructueuse. Avec le développement de l’imagerie cérébrale, les recherches s’orientent de nouveau sur la présence de lésions cérébrales (comme au temps de Kraepelin), puis la génétique ravive l’espoir de trouver les facteurs génétiques en cause dans l’étiologie de la schizophrénie.

Dans le discours psychiatrique la difficulté demeure à fonder l’unité de la schizophrénie. Face à l’hétérogénéité des tableaux cliniques, la persistance d’un diagnostic par défaut ou encore l’infructuosité des recherches visant à dégager une étiologie, certains considèrent la schizophrénie non pas comme une maladie mais comme un concept, un processus, ou un ensemble hétérogène de maladies.

1 Garrabé J., Histoire de la schizophrénie, Robert Laffont, Lonrai, 1992, p8.


2 Alexander F.G. et Selesnick S.T., Histoire de la psychiatrie, Armand Colin, Paris, 1972.


3 Lacan J., Le Séminaire livre III Les Psychoses, Seuil, Paris, 1981, p12.

4 Morel B. A., Etudes cliniques sur les maladies mentales, Navay, Paris, 1851-1852.


5 Morel B.A., Traité des maladies mentales, Paris, 1960.


6 P837


7 Kraepelin E., La psychose irréversible,Analytica, 1980, 49, p11-94.


8 Kraepelin E. cité dans Sinzelle J. et Haustgen T., Emil Kraepelin (1856-1926) – III. Les grandes entités cliniques, Anales médico-psychologiques, 2010, p4.


9 Kraepelin E., La folie systématisée, Analytica, 1982, 49, p 21-44.


10 Lacan J., « Présentation des mémoires d’un névropathe », in Autres Ecrits, Le Seuil, Paris, 2001, p214.


11 Bleuler E., Dementia praecox ou le groupe des schizophrénies, 1911, Analectes, Paris, 1964.


12 Bleuler E., Intervention à l’Assemblée annuelle de l’Association allemande de psychiatrie du 24 avril 1908, traduction anglaise abrégée dans Cutting J., Shepherd M., The clinical roots of schizophrenia concept, Cambridge University Press, 1987, p68.


13 Zenoni A., « Penser la schizophrénie aujourd’hui », Cahiers de psychologie clinique, 2003/2, n°21, p 61-72.


14 Bleuler, « La schizophrénie, rapport au Congrès des médecins aliénistes et neurologistes de France et des pays de langue française, XXXème session », in La schizophrénie en débat, L’Harmattan, Paris, 2010, p 11.


15 Bleuler, ibid p 14


16 Bleuler ibid p11


17 Bleuler E., Dementia praecox ou le groupe des schizophrénies, opcit., p38.


18 Minkowski E., La schizophrénie : psychopathologie des schizoïdes et des schizophrènes, Paris, 1953.


19 Thomas S. Szasz


20 Henri Ey, référence manquante.


21 Bleuler E., « La schizophrénie, rapport au Congrès des médecins aliénistes et neurologistes de France et des pays de langue française, XXXème session », opcit, p 10.


22 Anglade M. D., in La schizophrénie en débat, opcit., p 38.


23 Sollier P., ibid, p47.