Association de Psychologues Cliniciens d'Orientation Freudienne

La condition névrotique. Notes sur l’angoisse chez Freud – 7eme Journée Atelier Histoire des concepts – L’abréaction des affects

Nicolas LANDRISCINI

affiche-decembrePour Freud, l’angoisse constitue l’affect clé de la névrose. Or la névrose détient à son tour la clé du désir humain, désir qui est chiffré dans les symptômes. Pas de réponse donc à la question du désir sans en passer par l’angoisse, son affect princeps.

L’affect

Voilà donc la première question qui s’impose : qu’est-ce qu’un affect pour Freud ?

Voici sa réponse : « un affect englobe premièrement des innervations ou éconductions motrices déterminées, deuxièmement certaines sensations qui sont de deux sortes, les perceptions des actions motrices qui ont lieu et les sensations directes de plaisir et de déplaisir qui donnent à l’affect (…) sa tonalité fondamentale ».

Voilà donc pour ce qui est de la phénoménologique de l’affect. Or l’essence de l’affect est selon Freud constituée par la répétition d’une expérience significative vécue. Dans le cas de l’angoisse cette expérience est l’acte de la naissance. Il s’agit de l’expérience faite par le sujet d’un bouleversement libidinal comportant un danger pour la vie. Ce danger se constitue en modèle répété par nous depuis lors sous forme d’état d’angoisse. La première angoisse fut ainsi une angoisse toxique, corrélée à une séparation d’avec la mère qui laisse l’enfant aux prises avec sa détresse (Hilflosigkeit).

Résumons donc : l’angoisse est un affect subjectif de déplaisir accompagné d’un cortège de symptômes physiologiques qui se produit chez le sujet comme réponse devant l’imminence d’un danger dont l’archétype est selon Freud l’acte de la naissance.

Voici maintenant notre deuxième question : si l’angoisse est une réaction du sujet devant un danger, quel rapport avec la névrose ?

Pour répondre à cette question, nous allons entrer dans la première conception freudienne de l’angoisse, qui s’organise à partir d’une distinction opérée par Freud entre ce qu’il appelle « l’angoisse du réel » et « l’angoisse névrotique ».

1ère conception de l’angoisse

L’angoisse du réel est une réaction devant un danger extérieur qui se décline en deux modes possibles : l’apprêtement à l’angoisse, par lequel le sujet se prépare physiologiquement et subjectivement à l’arrivée du danger, et le développement de celle-ci, où le sujet reproduit l’expérience traumatique vécue, demeurant alors paralysé devant le danger qu’il subit.

Quant à l’angoisse névrotique, elle se manifeste sous trois modes différents :

1) L’angoisse librement flottante ou angoisse d’attente telle qu’on la trouve dans la névrose d’angoisse. Ce sont les cas où se produit ce que Freud appelle l’excitation frustranée : par exemple le coït interrompu, l’éjaculation précoce ou la virginité prolongée des jeunes filles. L’émergence chez le sujet d’une excitation libidinale empêchée d’atteindre satisfaction se transforme directement en angoisse.

2) Les phobies des petits enfants, comme la phobie à la solitude ou aux personnes étrangères, qui réveillent chez l’enfant la nostalgie de la mère. L’enfant ne pouvant pas maîtriser l’excitation libidinale, celle-ci se transforme directement en angoisse. Angoisse névrotique donc, et non pas du réel, puisque la solitude ou le visage étranger ne constituent pas un danger objectif. La névrose d’angoisse et les phobies infantiles illustrent ainsi un mode de production de l’angoisse névrotique par mutation directe de la libido.

3) L’angoisse dans les psychonévroses de défense, où le processus à l’œuvre est le refoulement. C’est la représentation de la pulsion qui fait l’objet du refoulement tandis que le montant d’affect est transformé en angoisse. C’est le cas de l’hystérie ou de la névrose obsessionnelle.

Prenons l’exemple des actions de contrainte chez l’obsédé, où l’on voit aussi la fonction du symptôme : si on empêche le sujet d’effectuer son rituel de lavage, il tombe dans un état d’angoisse difficile à supporter, contre lequel son symptôme l’avait manifestement protégé. Il semblerait donc que l’angoisse soit là en premier lieu, et que le symptôme vienne ensuite pour éviter l’irruption de celle-ci.

Quelle est donc la conclusion que Freud tire de ses trois configurations d’angoisse névrotique ? La voici : Ce dont on a peur dans l’angoisse névrotique c’est manifestement de sa propre libido. La différence avec la situation de l’angoisse du réel réside en deux points, à savoir que le danger est interne au lieu d’être externe et qu’il n’est pas reconnu consciemment.

Les phobies illustrent très clairement cette transposition du danger interne en un danger extérieur. Supposons un agoraphobe craignant les tentations qu’il éprouve régulièrement vis à vis des personnes qu’il rencontre dans la rue. Dans sa phobie il procède à un déplacement et il s’angoisse maintenant devant une situation externe. Il en tire un bénéfice manifeste, car il estime maintenant pouvoir mieux se protéger. Devant un danger externe, on peut se sauver par fuite, entreprise qui est plus difficile devant un danger interne.

Voilà pour la première conception de l’angoisse. Ses résultats sont divers et ne se contredisent pas, dit Freud, mais ils ne concordent pas spécialement non plus. Répertorions-les à nouveau :

– L’angoisse en tant qu’état d’affect est la reproduction d’un ancien événement menaçant.

– Elle est au service de l’autoconservation et opère comme signal d’un nouveau danger.

– Elle advient par transformation directe d’une libido qui n’a pas trouvé la voie de la satisfaction.

– Elle est le résultat du mécanisme du refoulement.

– Elle est relayée par la formation du symptôme, liée par lui psychiquement.

Nous sentons, dit Freud, qu’il manque quelque chose qui confère une unité à l’ensemble des résultats.

2ème conception de l’angoisse

En 1926 Freud écrit « Inhibition, symptôme et angoisse », texte qui propose une nouvelle théorisation de l’angoisse à partir d’une prise en considération de la deuxième topique. Nous allons maintenant nous arrêter sur quatre thèses du texte qui supposent un changement de perspective concernant l’angoisse.

1) Le moi comme seul lieu de l’angoisse. La décomposition de l’appareil psychique en ça, moi et surmoi conduit Freud à modifier la topologie de l’angoisse. En effet dorénavant c’est le moi qui sera considéré comme seul et unique lieu de l’angoisse, seul donc à la produire et à la ressentir. Le moi retire son investissement à la motion pulsionnelle et à la représentation refoulée et l’utilise pour libérer le signal de déplaisir, c’est à dire l’angoisse. La notion de l’angoisse comme signal du moi devant un danger passe ici donc au premier plan.

2) L’angoisse est la cause du refoulement. Ce n’est plus le refoulement qui produit l’angoisse mais plutôt l’angoisse de castration qui produit le refoulement et ensuite le symptôme. C’est une thèse tirée de la logique du fonctionnement des phobies, en particulier d’une élucidation comparative des phobies du petit Hans et celle de L’homme aux loups. Il est vrai, dit Freud, que le garçon est pris d’angoisse devant une revendication de sa libido, dans ces cas l’amour pour la mère (Hans) ou pour le père (l’homme aux loups). Ce sont donc effectivement des cas d’angoisse névrotique. Mais si cet état d’amour leur apparaît comme un danger interne, auquel ils doivent se soustraire en y renonçant, c’est seulement parce qu’il fait surgir une situation de danger externe et donc réel, à savoir la menace de castration. L’angoisse de la phobie des animaux constitue ainsi une représentation figurée de l’angoisse de castration.

3) L’Angoisse de castration = la détresse primaire (Hilflosigkeit). L’acte de naissance comporte un danger pour le nouveau né. Quel danger ? C’est, dit Freud, la montée de la tension du besoin, le bouleversement libidinal devant lequel le nouveau né est impuissant. Que se passe-t-il alors ? Eh bien, c’est la mère qui apporte une réponse, laquelle conduit à la première expérience de satisfaction. Une fois cette expérience faite par le bébé, le danger se déplace de la situation économique de montée de la tension du besoin vers le danger de la perte de l’objet maternel. L’enfant anticipe en quelque sorte que la perte de la mère entraînerait un manque de satisfaction. Cette perte d’objet au cœur de la détresse primaire devient ainsi une condition de l’angoisse. Par la suite, au cours de la phase phallique, l’angoisse de castration se présentera comme équivalente à l’angoisse de la perte de l’objet, objet qui est donc un instrument de satisfaction.

4) L’angoisse signal. En 1924, Otto Rank publie son livre sur le traumatisme de la naissance. Il y rappelle que l’affect d’angoisse est une conséquence du processus de la naissance ainsi qu’une répétition de cette expérience vécue. Or la thèse à la fois trop radicale et trop simpliste sur le statut de l’angoisse soutenue par Rank oblige Freud à clarifier sa position sur la question.

La naissance devenait le prototype de toutes les situations de danger ultérieures et l’angoisse éprouvée la réaction typique. Or Freud distingue ici deux modes d’angoisse différents :

1) soit elle se reproduit automatiquement dans des situations analogues à l’originelle de la naissance, comme une forme de réaction inappropriée à une fin, après avoir été appropriée la première fois ;

2) ou bien le moi acquiert une maîtrise sur cet affect et le reproduit lui-même à la manière d’une mise en garde contre le danger, comme un moyen pour éveiller l’intervention du mécanisme de plaisir-déplaisir.

Freud attribue ainsi à l’angoisse deux modes d’origine différents :

1) l’un involontaire, automatique et à chaque fois économiquement justifié, lorsqu’une situation analogue à celle de la naissance se produit ;

2) l’autre produit par le moi, lorsqu’une telle situation ne fait que menacer, à fin de procéder à son évitement. Dans ce second cas, le moi se soumet à l’angoisse comme une sorte de vaccination, pour échapper, par le biais d’une dose légère de la maladie, à une dose plus lourde. Il anticipe la situation de danger de manière à en donner le signal qui permettra de l’éviter.

Avant de finir, je voudrais faire une petite mention à un texte de Freud dont on pourrait dire qu’il se place entre les deux conceptions de l’angoisse que nous avons parcourues : il s’agit de « Das Unheimliche », traduit par « L’inquiétante étrangeté », de 1919. Dans ce texte Freud s’occupe d’une forme de manifestation de l’angoisse que Lacan reprendra plus tard. Il s’agit de ce sentiment particulier, à la fois étrange (unhemlich) et familier (heimlich), que nous pouvons éprouver dans des situations où quelque chose du registre du réel de la jouissance indicible nous concernant intimement surgit devant nous en nous divisant. « Serait unheimlich, dit Freud tout ce qui devait rester secret, rester dans le monde du caché, et qui est venu à jour ».

Dans son séminaire X, où Lacan articule l’angoisse avec l’objet a, il revient sur ce sentiment d’inquiétante étrangeté épinglé par Freud. L’angoisse, dit-il, y est corrélée à l’irruption de l’objet cause du désir dans le champ de la conscience, lieu où celui-ci demeurait soigneusement voilé pour assurer l’homéostasie du sujet, au prix de prolonger la méconnaissance de son désir.