Association de Psychologues Cliniciens d'Orientation Freudienne

La praxis thérapeutique : de la vérité au savoir

Dario MORALES

Lors de la précédente soirée, nous avons évoqué comme la vérité était le nom incontournable que tout sujet rencontre lorsqu’il exprime le réel de son acte. Mais parfois cet incontournable ne peut être exprimé que de façon voilé voire du tout lorsqu’il s’agit d’un passage à l’acte immotivé. Le sujet ignorant tout de ce que qui le pousse à agir. L’acte restant pour lui, énigmatique.

En faisant un pas de plus ce soir, je dirais qu’il y a surgissement de la vérité lorsqu’elle nomme avec l’appui du dire du sujet, la rencontre, son insupportable réalité signifiante : la rencontre avec la castration. C’est cela que l’on peut appeler l’heure de vérité, la rencontre avec ce réel. (Rappelez-vous de mon motard au sauna gay, la vérité est la rencontre avec ce réel de la jouissance sexuelle homosexuelle qui gît derrière l’automaton, répétition dont le sujet ne peut pas échapper).

Or la vérité ne fait pas avancer le travail thérapeutique, la praxis thérapeutique parce que souvent le sujet s’en détourne une fois qu’il a touché de près ce réel.

On peut imaginer deux mouvements : le premier, la vérité est dans le champ de l’Autre, dans la rencontre avec l’Autre qui fait émerger la castration, l’heure de vérité alors que le savoir suppose qu’il y ait du transfert, que le sujet soit affecté par le signifiant, par le non-sens, dans une temporalité qui introduit les temps logiques, un retour dans le discours sur ce qui s’est passé, l’instant de voir, un temps pour comprendre, un moment pour conclure.

Dans cette temporalité il s’en déduit qu’il y a de la jouissance en jeu, et dans la demande qu’il pose chez nous, il attend souvent que l’on donne du sens à l’insensé de son acte, que l’on trouve la vérité que cet acte recèle. Cette attente de savoir se présente initialement comme attente du sens avec la tentative d’attraper le ou les signifiants qui restent initialement hors sens et qui sont mis à jour par la vérité ; ensuite on essaie de les connecter à d’autres signifiants.

Stricto senso il ne s’agit pas à proprement parler de « donner du sens » mais de cerner ce qu’il est de la satisfaction, la jouissance qui va avec l’effet de sens. Il s’agit dans ce cas de mettre à jour le ou les signifiants qui ont aliéné le sujet, disjoints du sens mais qui réclament du sens non pas au nom du sens mais au nom de ce réel qui revient dans la répétition, c’est cela même que l’on appelle le savoir inconscient. Témoignage que l’inconscient a été mis au travail, comme savoir, là où le sujet à échoué articuler par exemple l’affect et le signifiant.

Autrement dit, là où la vérité était, wo es war, advient le Je qui n’est pas le je du sens mais le réel de la jouissance et cela se fait souvent dans la surprise, dans l’inattendu. Pour bien distinguer les deux, je dirais que la vérité surgit comme une fiction, avec des mots, on dit le réel qui a impacté, chargé de honte par exemple et qui effraie le sujet, comme un mirage alors que le savoir lui se déploie par les malentendus, le lapsus, qui valent comme si c’était l’autre moitié de la vérité.

La vérité échappe au sens, mais en même temps, le transfert pousse à dire, à faire des fautes, à faciliter l’intrusion des signifiants dans le discours vigile du sujet, d’où les bévues, les lapsus, qui usurpent la place des mots, l’ordonnancement de ce que le sujet prévoyait de dire.

Nous les cliniciens, nous sommes habitués à cette découverte qui fait le patient quand il nous dit, « je ne voulais pas vous dire cela », « je suis venu pour vous dire ceci » et finalement il dit cela, voire son contraire. Cet espace pour l’inattendu, pour le lapsus ce n’est rien d’autre que l’étendue grâce à quoi se déploie la chaîne signifiante.

Vous connaissez la bande de Moebius, avec sa double surface, où il y a à la fois, le sens, la vérité et tout ce qui fait « méprise », et fait une place pour le signifiant qui font « intrusion ». Encore qu’il faille rajouter à ce trajet de la bande la satisfaction qui est attachée au sens, à la vérité et l’irruption du signifiant.

Au fond, ce sur quoi je voudrais insister ce soir, c’est que ce mouvement ouvre, un espace pour l’historisation du sujet, pour que le sujet s’en approprie pour revisiter, reconstruire son histoire. Au fond, le transfert que Lacan définit comme amour qui s’adresse au savoir peut aller de pair avec son rejet lorsque le sujet fait de la haine sa passion et de la vérité son seul refuge. C’est pour cette raison que la vérité sans le savoir, reste, aussi réelle soit-elle, la vérité menteuse. Je vous donne d’ailleurs rendez-vous le mardi 7 juin pour terminer en apothéose avec les écrits autobiographiques des meurtriers.