Association de Psychologues Cliniciens d'Orientation Freudienne

L’anorexie mentale au secours de l’effraction sexuelle

L’anorexie mentale au secours de l’effraction sexuelle

Astrid Brunswick

La réflexion que je propose de dérouler ce soir concerne l’intrication qui peut exister entre l’existence d’un vécu traumatique et l’émergence d’un trouble du comportement alimentaire. J’aborderai également la dynamique transférentielle qui peut avoir lieu dans la prise en charge de traumas complexes. Pour éclairer mon propos je m’appuierai sur la prise en charge d’une des patientes de l’unité d’hospitalisation pour trouble du comportement alimentaire à l’hôpital Sainte-Anne à Paris dans laquelle j’ai travaillé pendant plusieurs années. Cette patiente, que je nommerai Léa, a été hospitalisée pendant 7 mois pour une anorexie-boulimie sévère.

L’accompagnement de cette patiente a soulevé la problématique de la massivité du transfert traumatique : comment y faire face dans la relation transférentielle psychothérapeutique ? Mais également la complexité des soins quand un trouble du comportement alimentaire se présente comme voie d’échappement à un trauma : comment aider un patient à renoncer à des symptômes envahissants, tout en ménageant les ressources défensives qu’il a réussi à mobiliser pour survivre ?

Comme l’exprime Jean Gortais, face à la clinique du trauma, le psychothérapeute a tendance à être « Mis en position de sauveur idéalisé, il a en outre à se déprendre à la fois de la fascination que peuvent susciter les états de détresse, de la massivité rapide des transferts et du piège de l’omnipotence thérapeutique »1.

  1. Le traumatisme psychique

En préambule il me semble important de définir le cadre théorique sur lequel je vais m’appuyer pour parler du traumatisme psychique. Il s’agit du trauma au sens d’un vécu d’effraction, de « commotion psychique » tel que le décrit Sandor Ferenczi, suite à un événement où l’individu se sent anéanti comme sujet : « l’anéantissement du sentiment de soi, de la capacité de résister, d’agir et de penser en vue de défendre le soi propre »2. L’événement traumatique provoque ainsi une effraction du système pare-excitation. Notre psychisme est protégé par une membrane qui normalement repousse ou filtre les excitations (stimuli) de l’extérieur. Dans une situation de trauma, cette membrane est effractée et ne joue plus son rôle, soit du fait de la violence de l’événement, soit en lien avec la fébrilité des barrières de défensives. Le fonctionnement psychique habituel est perturbé et le sujet ne parvient pas à élaborer ou digérer ce qui lui arrive.

Cette déstabilisation psychique massive est en lien avec le vécu d’effroi qui s’impose à lui lors de l’évènement traumatique. L’effroi se distingue de l’angoisse et de la peur car dans l’effroi il y une dimension de non préparation à la menace, d’effet de surprise, à savoir que l’« on tombe dans une situation dangereuse sans y être préparé ».

L’autre dimension importante dans la notion de trauma est que l’individu est projeté dans la passivation : il n’investit pas l’expérience, il est submergé par elle. L’individu se retrouve annihilé de sa position de sujet et vit une rupture du sentiment de continuité d’existence. L’impression qui en découle est celle d’être réduit à un objet, sans possibilité de recours et avec l’impossibilité de réagir. Un trauma peut survenir suite à un événement unique et brutal ou du fait de l’exposition durant une période de vie à des « traumatismes précoces et cumulatifs ».

La question de la temporalité est également très importante dans le champ du traumatisme psychique car le fil de la temporalité est interrompu : le passé ne cesse de se répéter dans le présent, à l’identique, et ne parvient pas à se transformer en souvenir.

« Avec un patient traumatisé, le thérapeute se retrouve dans la situation paradoxale où la parole peut être vécue comme angoissante pour le sujet, déchiré entre le désir d’oublier le vécu traumatique et la nécessité de s’exprimer pour être aidé. » 3

Le sujet a ainsi besoin de parler de ce qui l’angoisse ou le terrorise mais il craint de le faire car il redoute d’expérimenter à nouveau la faillite, la chute, la trahison de l’environnement qui ont été éprouvées.

  1. Rencontre avec Léa : enjeux transférentiels

Léa est une jeune fille de 28 ans, deuxième d’une fratrie de 3 enfants. Après avoir passé une licence en psychologie, elle a interrompu ses études universitaires pour passer un concours d’éducateur de jeunes enfants qu’elle n’a pas réussi faute de se présenter à l’oral. Tout ce qu’elle entreprend sur le plan scolaire et professionnel est mis en échec car elle semble saboter tout ce qu’elle initie.

Elle souffre d’anorexie mentale depuis l’âge de 15 ans, avec une entrée brutale dans les symptômes : « du jour au lendemain » dira-t-elle, suite à un déjeuner en famille où elle a « arrêté de manger ». Ces symptômes se sont chronicisés et ont évolué vers une anorexie boulimie. La sévérité de sa pathologie l’a amenée à être hospitalisée à plusieurs reprises dans des unités spécialisées ainsi qu’à faire un passage en service de réanimation suite à une perte de connaissance dans un contexte de dénutrition sévère.

J’ai entendu parler pour la première fois de l’histoire de Léa lors de la réunion clinique hebdomadaire qui a lieu dans l’unité où j’exerçais. Ce temps d’échange vise à évoquer les situations individuelles de chaque patient hospitalisé et à présenter l’anamnèse des nouvelles entrées. Le récit de son parcours de vie m’a laissé une impression de lourdeur : elle était désignée comme celle qui en avait « vécu trop » des choses pénibles. L’accumulation des évènements traumatiques dans la vie de cette jeune fille laissa planer un sentiment de malaise et de doutes lors de cette réunion, questions qui n’ont pas été verbalisées de façon claire mais qui restaient en suspens et qui pourraient se formuler ainsi : « Est-ce possible de vivre autant de choses horribles ? Est-ce que tout cela est vrai ? Comment fait-on pour rester en vie après tant d’horreur ? ». L’énonciation de cette présentation préalable de Léa a suscité une certaine inquiétude chez moi. J’avais la crainte de ne pas être à la hauteur de ce suivi qui s’annonçait, d’autant que l’équipe médicale insistait sur l’idée « qu’il y avait du boulot » pour aider cette patiente et qu’ils comptaient beaucoup sur moi pour qu’elle puisse se réinscrire du côté de la vie.

La prise en charge psychothérapeutique de Léa a commencé quelques jours après son arrivée dans les soins. Lors de notre premier entretien, elle semblait craintive, son regard était fuyant et elle s’exprimait de façon presque inaudible. Cette difficulté à soutenir sa voix rendait l’entretien fastidieux car malgré des efforts soutenus pour mobiliser toute mon écoute sur son dire je n’entendais pas… Je me sentais partagée entre l’envie de laisser ce discours non entendu, de respecter ce qu’elle agissait en entretien en étouffant son dire, et l’envie de soutenir l’effort qu’elle témoignait en prenant la parole, ce qui impliquait de la faire répéter. J’oscillais entre ces deux positions, qui n’étaient confortables ni l’une, ni l’autre. Il semblait surgir dans le transfert la conviction qu’elle ne pourrait pas se sentir comprise par l’autre, que l’intensité de sa détresse ne pourrait pas être entendue à sa juste valeur.

Pour cette première rencontre, elle aborda le vécu de ses précédentes hospitalisations et l’angoisse massive qu’elle ressentait à l’idée de reprendre du poids. En fin de séance, alors que je lui proposais d’arrêter l’entretien, elle évoqua la plainte pour viol qu’elle avait déposée à l’encontre de son père suite à son hospitalisation en service de réanimation. Ces souvenirs traumatiques ont refait surface lors de cet épisode critique où elle s’est retrouvée entre la vie et la mort. L’équipe soignante du service de réanimation a pris acte de ce qu’elle livrait, s’est mobilisée et l’a vivement engagée à porter plainte. A l’évocation de cette plainte, je me suis sentie partagée entre le sentiment rassurant qu’un lien transférentiel avait pu se nouer, permettant à la patiente de se sentir suffisamment en sécurité pour en parler et l’impression désagréable d’être prise de cours car en abordant ce sujet complexe au moment où nous étions censées nous séparer, je me sentais obligée de prolonger l’entretien. Cette impression d’être prise de cours par le temps en séance s’est répétée plusieurs fois au début de notre suivi. Léa faisait le récit d’éléments factuels liés à ses hospitalisations ou à ses symptômes alimentaires, puis, en fin d’entretien, elle « se lançait » pour aborder des sujets particulièrement douloureux liés à ses traumas. Au moment où la séparation était censée se faire, elle restait assise, me regardant avec insistance mais par « en dessous », agissant le fait qu’elle ne souhaitait pas partir, mais sans pouvoir en dire quelque chose. Elle me signifiait qu’elle n’en avait pas fini avec son « dire », sans être en mesure d’en dire plus spontanément et attendait une relance de ma part. J’entendais son discours factuel sur l’ici et maintenant comme une façon de s’inscrire dans le présent mais également comme un mécanisme de défense pour éviter la confrontation avec des souvenirs traumatiques trop effrayants. J’avais ainsi tendance à lui signifier qu’elle pourrait reprendre les choses plus tard, quand cela serait le bon moment pour elle et qu’elle ne devait pas se sentir obligée d’aborder des aspects de son histoire qu’il lui était encore difficile de mettre en mots. C’était comme si je me sentais obligée de lui rappeler que je n’attendais « rien d’elle », et que le récit de ses traumas devait se déployer selon sa temporalité à elle et non pour satisfaire l’attente du thérapeute.

Cela m’a permis de toucher du doigt ce qui pouvait se jouer sur le plan contre-transférentiel concernant l’écoute d’un récit traumatique. Je pouvais me sentir traversée tant par la crainte d’entendre des récits d’horreur et du coup l’envie de me protéger de cette histoire contenant quelque chose de sordide, et par la fascination d’un récit de vie qui approche l’irreprésentable, l’innommable de l’humanité. Christian Lachal parle ainsi de l’ambivalence chez le psychothérapeute témoin du récit traumatique avec un double ressenti « l’effroi d’un côté, la fascination de l’autre »4.

Léa s’est rapidement saisie de la psychothérapie et elle avait à cœur d’investir ce temps et cet espace qui lui étaient réservés. Plusieurs mouvements dans la dynamique transférentielle ont eu lieu durant ce suivi qui s’est déroulé pendant 7 mois. Cependant, une impression s’est rapidement imposée à moi et elle ne m’a jamais quittée : Léa semblait une enfant « missionnée » pour reprendre une formule de René Roussillon qui désigne les enfants qui n’ont pas une « économie narcissique propre »5. L’accumulation des violences sexuelles et des sévices dont elle a été victime renvoyait l’image d’une petite fille sommée de répondre à l’appétit vorace des hommes de la famille, convoquée à une place de contenant de la folie et la tyrannie paternelle et de ce fait, sacrifiée pour protéger les autres femmes de la famille, en particulier sa mère et sa petite sœur.

    1. Premier événement traumatique

Avant que Léa ne soit victime de cette bien malheureuse « confusion de langue »6 entre enfants et adultes et que l’enfer de l’inceste ne s’abatte sur elle, Léa a été confrontée à une première rupture dans la continuité de son sentiment d’existence. Peu après sa naissance, son père a eu un grave accident d’avion qui a nécessité un an et demi d’hospitalisation. Durant cette période, sa mère était très disponible pour ses enfants et en particulier pour Léa avec qui elle avait développé une relation « fusionnelle » pour reprendre les mots de sa mère. Elles étaient très liées l’une et l’autre et Léa avait pris place dans le lit parental, dormant auprès de sa mère jusqu’à ses 18 mois. Quand son père est revenu à la maison, sa mère s’est complètement mobilisée pour son couple et s’est investie dans les réaménagements de vie que nécessitait le retour de cet homme gravement blessé. Léa a beaucoup souffert de cet éloignement qu’elle a vécu comme un abandon, avec l’impression qu’elle avait comblé le vide lié à l’absence de son père mais que désormais elle n’avait plus une place qui lui était propre. La place particulière à laquelle elle a été mise en l’absence du tiers paternel renvoie à la notion d’incestuel au sens de Paul Claude Racamier, à savoir « ce qui dans la vie psychique individuelle et familiale porte l’empreinte de l’inceste non fantasmé, sans qu’en soient nécessairement accomplies les formes génitales »7. L’incestualité qui a marqué la relation de Léa avec sa mère dans la prime enfance semble illustrer le terreau des graves dysfonctionnements familiaux avec une confusion des places et des générations. Cela a contribué semble-t-il chez Léa à ce vécu d’anéantissement, de « meurtre psychique » pour reprendre l’expression de Jeanne Defontaine8, avec l’impression d’être annihilée dans le regard de l’autre et de ne pas être en droit de revendiquer une existence propre.

Ainsi, au retour de son père, Léa a perdu ses repères. Elle s’est montrée rejetante face à cet homme qu’elle considérait comme un étranger, d’autant qu’il se montrait colérique, humiliait sa mère, la lui « volait » et l’évinçait du lit conjugal. Dans ce contexte, Léa s’est arrêtée de parler. Elle est devenue mutique, en particulier en présence de son père ainsi que dans les lieux de collectivité où elle était accueillie, à savoir la crèche puis l’école quand elle a grandi. Les rares moments où elle acceptait de prendre la parole restaient ceux où elle était seule avec sa mère. Ce mouvement de se murer en elle, accompagné du désinvestissement de l’oralité comme lieu d’émergence d’une parole subjective a témoigné d’un vacillement dans sa position de sujet. A ce moment-là, elle semble avoir été prise dans une impossibilité à se représenter et à adresser à l’autre la détresse que provoquait cet abandon maternel et l’intrusion d’un père tyrannique et maltraitant.On peut émettre l’hypothèse d’un premier trauma lors de cette reconfiguration familiale dans la prime enfance. René Roussillon9 souligne ainsi qu’il y a trauma chaque fois qu’il y a des « obstacles majeurs » dans le « devenir-sujet », quand le processus psychique est mis en panne et que la subjectivation s’interrompt.

2-2 Effraction de l’inceste

L’effraction de l’inceste et le « meurtre d’identité »10 qui en a découlé sont survenus quand Léa avait 6 ans, à l’occasion d’une séance de révision scolaire avec son père. Ce dernier étant enseignant, il était en charge de la réussite scolaire de ses enfants, mais prenait particulièrement à cœur la scolarité de Léa désignée comme « moins brillante » que son frère aîné. Quand Léa aborde en séance pour la première fois ce basculement dans l’inceste, les scènes de viol qu’elle décrit suscitent en moi du dégoût : j’en ai la nausée. Les premières questions qui me viennent en l’entendant dérouler ce récit d’horreur sont : « Comment fait-elle pour être encore en vie ? Comment fait-elle pour ne pas être plus folle ? ». A l’issue de l’entretien, j’ai ressenti comme une urgence à partager avec d’autres la monstruosité de l’histoire que je venais d’entendre. Cette urgence à en faire part à d’autres personnes de l’équipe répondait à un besoin de me sentir moins seule face à l’horreur.

Si l’on s’appuie sur le concept de transfert par retournement décrit par René Roussillon11, à savoir que dans le transfert traumatique « le trauma va tendre à revenir de manière inversée », on peut envisager que l’extrême solitude dans laquelle Léa a pu être aux prises a surgi dans le transfert. J’ai sans doute tenté par ce partage auprès de l’équipe de rompre ce sentiment de solitude et de me rassurer sur le Nebenmensch12. Sur le plan contre-transférentiel, se sont mêlées à la fois l’envie de constituer pour elle un « être humain à côté », de lui témoigner ma capacité à tenir et à rester là, et l’envie de m’éloigner, de sortir prendre l’air, de faire en sorte que ce récit « quitte ma peau », comme si quelque chose risquait de rester collé à moi, comme si la transgression de cet un interdit fondamental pouvait avoir quelque chose de contaminant. Christian Lachal13 évoque cette particularité transférentielle avec les personnes victimes de trauma, à savoir que cela « entraîne des réactions fortes chez les cliniciens qui s’occupent d’eux », réactions qui témoignent d’une transmission des expériences traumatiques avec « l’inclusion par l’un, dans sa sphère interne, d’une part du monde de l’autre ». Ce qui m’a approchée de son monde interne ce jour-là m’a glacée. Cependant, j’ai également été happée par son récit, ayant l’envie de m’impliquer dans son suivi, notamment en lui témoignant une certaine « tendresse »14 afin de l’aider à trouver des ressources en elle pour qu’elle aille du côté de la vie.

Cette ambivalence entre fascination et effroi, comme nous l’avons décrit précédemment, s’étaye selon Georges Devreux sur la déstabilisation ressentie chez le clinicien car il est « confronté à des phénomènes, des pratiques, qui sont contraires à ses valeurs, qui lui paraissent transgressives, dégoûtantes, répulsives. Mais ces pratiques correspondent, dans son inconscient, à des fantasmes qu’il refoule. Pour cette raison, il éprouve à la fois une sorte de fascination, ce que G. Devereux nomme « séduction », et de l’angoisse (du fait de la réactivation angoissante de désirs refoulés) »15. Ces enjeux semblent avoir jalonné les premiers temps de la rencontre psychothérapeutique avec Léa.

  1. Etre l’objet de l’autre ou l’anéantissement de soi comme sujet

Le parcours de Léa pourrait être décrit comme un parcours où a régné le « terrorisme de la souffrance » pour reprendre l’expression de Ferenczi et où Léa, par les multiples sévices et viols qu’elle a subis dans le milieu intrafamilial, a porté sur « ses frêles épaules, le fardeau de tous les autres membres de sa famille »16.

L’histoire de ses traumas sexuels a commencé lorsque son père l’a violée par pénétration buccale alors qu’il lui faisait apprendre une leçon scolaire. On peut s’interroger sur le télescopage de cette « leçon à apprendre » chez un père qui éduquait sa fille à devenir un objet de jouissance pour l’homme. D’autre part, en incluant la dimension alimentaire dans les violences qu’il lui faisait subir et en agissant l’effraction traumatique sur la scène orale, cela est venu ébranler radicalement son rapport à l’oralité.

Lors de ce premier viol, elle décrit un premier temps de sidération où ce qui se joue lui échappe. Elle ne comprend pas de quoi il s’agit, se sent paralysée, puis dans un moment où elle reprend ses esprits, elle a un mouvement de rejet et tente de s’opposer en mordant le sexe de son père, comme une tentative ultime de le castrer. Ferenczi décrit ainsi que le « premier mouvement serait le refus, la haine, le dégoût, une résistance violente »17. Cependant, la réaction de son père a été d’une telle violence suite à ce mouvement de protestation qu’elle a été saisie par une peur intense et qu’elle s’est soumise à l’autorité écrasante de ce père tyran. La violence de la réplique a semble-t-il provoqué l’état de choc, de « commotion psychique » décrit par Ferenczi où l’individu se sent anéanti comme sujet : « l’anéantissement du sentiment de soi, de la capacité de résister, d’agir et de penser en vue de défendre le soi propre » 18. Suite à cette première agression, Léa semble avoir « rendu les armes » et renoncé à résister. Elle s’est oubliée pour « se soumettre automatiquement »19 à la volonté de son agresseur. Ce dernier l’a violée pendant plusieurs années puis l’a « livrée en pâture » aux autres hommes de leur entourage (frère, cousins, oncles) lors de viols collectifs.

Elle a pu décrire la déconnexion psychique qui avait lieu aux moments de ces violences, comme si elle était dans un état de « transe traumatique »20, obéissant de façon mécanique mais tout en cessant d’être là. Les « réactions d’absence » telles que les décrit Jean Gortais impliquent une dissociation corps-psyché : « s’absenter de l’autre en réponse à l’expérience d’être ou d’avoir été nié »21. Léa cessait d’exister, « tout ou moins comme un moi global »22 car l’intensité et la nature de sa souffrance dépassaient sa capacité d’intégration. Il s’est opéré chez elle un « auto-clivage narcissique »23, seule condition pour qu’une partie d’elle reste en vie. Simone Korff-Sausse, dans la préface du livre Le Traumatisme de Ferenczi décrit l’auto-clivage narcissique en ces termes : « Le patient se dédouble : une partie de la personne continue de vivre et de se développer, tandis qu’une autre, enkystée, subsiste en état de stagnation, apparemment inactivée, mais prête à se réactiver à la première occasion. Une partie éveillée, une partie morte » 24.

L’impossibilité de se considérer comme un sujet à part entière, avec une existence propre, et de se vivre en partie morte, a duré jusqu’à son adolescence, période qui a marqué son entrée dans l’anorexie.

  1. Intrication entre trauma et anorexie mentale

La survenue de l’anorexie a eu lieu quand Léa avait 15 ans. Lors d’un repas en famille, son père a adressé une blague à connotation sexuelle à sa tante maternelle, provoquant l’hilarité de l’ensemble des convives. Léa décrit s’être sentie « figée sur place » par cette hilarité partagée qui impliquait la question du sexuel. Elle dit avoir « arrêté de manger » suite à cette scène, comme si quelque chose l’avait saisie. Elle s’est sentie étrangère à ce qui se jouait, avec le sentiment que tout le monde était complice d’une pulsionnalité sexuelle débridée dont elle était victime. Ce refus de s’alimenter pourrait être perçu comme la revendication, pour la première fois, de sa position de sujet et non plus comme objet de jouissance de l’autre. Selon Massimo Recalcati : « L’anorexie n’est pas une maladie de l’appétit mais une position du sujet, c’est-à-dire un choix du sujet. »25. Ce choix se caractérise principalement comme un « choix pour le refus ». Léa a semble-t-il trouvé dans le refus alimentaire une façon de se décaler de cette folie familiale gouvernée par l’inceste.

Une autre hypothèse que l’on pourrait formuler concernant l’intrication d’un trauma et d’un trouble du comportement alimentaire est que les symptômes tels que la restriction alimentaire, les crises de boulimie, les vomissements ou l’hyperactivité physique ont pour fonction de soulager la souffrance liée au vécu traumatique. Ainsi, Léa a pu décrire la sensation d’apaisement ressentie lors des périodes de restriction avec des amaigrissements spectaculaires ou quand elle s’épuisait à être dans un mouvement permanent lui permettant de se couper de ses pensées. L’apaisement semblait provenir à la fois de l’anesthésie affective ou alexithymie qui est décrite cliniquement dans l’anorexie et par la mobilisation de la pensée sur des ruminations alimentaires ou corporelles qui empêchait l’intrusion de pensées liées aux traumatismes. Selon Colette Combes, l’alexithymie correspond à une impossibilité à mettre des mots sur les affects et donc à les relier à des représentations. La pensée n’assurant plus la fonction de mise en représentation des affects, ces derniers se retrouvent réprimés et enfouis, ce qui assure une impression de calme intérieur : « résoudre (…) le trop-plein d’émotion par le jeûne ou le vomissement pour rétablir le calme et soulager l’angoisse »26.

Les obsessions idéatives concernant l’alimentation ou les préoccupations corporelles sont également décrites par les patients comme faisant écran à d’autres pensées, en particulier face au risque de reviviscence traumatique. Quand les symptômes des TCA s’amendent, cela semble laisser la place à la réémergence de souvenirs traumatiques et au resurgissement d’affects douloureux qui étaient anesthésiés par le trouble alimentaire.

Jeanne Delafontaine met par ailleurs en lien le refus anorexique et la tentative d’un sujet de se déprendre d’une incestualité familiale : « Dans tous les cas, pour la mère de l’enfant présentant des troubles alimentaires, il s’agit, au travers de l’objet incestuel nourriture, de pénétrer le corps de celui-ci et d’avoir la haute main sur tout ce qui entre et qui sort du corps de son enfant. C’est pourquoi, celui-ci, par son refus alimentaire, tente de se déprendre de cette emprise et gagner son individualité. »27

En arrêtant de s’alimenter, Léa a rapidement perdu du poids et s’est retrouvée au bout de quelques mois avec la « peau sur les os ». Cet amaigrissement spectaculaire a eu pour effet tout aussi spectaculaire d’interrompre tout mouvement de son père envers elle. Son père se sentant impuissant face à ce corps décharné, il ne l’a plus touchée. L’arrêt des viols de son père a sans doute signé pour Léa toute la puissance de son symptôme : enfin elle pouvait échapper à ce père tout-puissant et le rendre impuissant, au sens propre comme au sens figuré. L’autre effet de son amaigrissement a été la constitution d’une enveloppe corporelle tangible par la mise en exergue de son squelette. Léa a pu ainsi dire en séance qu’elle se sentait rassurée par le fait de « sentir ses os » qui témoignaient d’une limite perceptible entre soi et l’autre. Pour que cette limite soit suffisamment protectrice, il fallait semble-t-il qu’elle soit en « dur » corporellement mais aussi psychiquement par la radicalité de son refus. Le besoin de recréer une enveloppe corporelle palpable, comme elle l’éprouvait dans la palpation de ses os, peut s’entendre comme une conséquence des viols dont elle a été victime. « La pénétration vaut pour tout l’ensemble de la personne » comme le dit Claude Balier28. Pour contrecarrer le risque d’une nouvelle effraction des limites somatopsychiques, le « Moi-squelette » représentait pour elle une armure plus solide.

Jeanne Delafontaine évoque ainsi la fonction du symptôme anorectique dans la constitution d’une carapace solide, à même de faire protection face aux risques d’intrusion dans les familles où la menace d’inceste règne : « Pour faire front à l’intrusivité de la famille, le corps de l’anorexique devient une forteresse : ne faut-il pas des parois épaisses pour se protéger contre l’attaque éventuelle de dangereux assaillants ? Ainsi pour l’anorexique, la carapace caractérielle s’érige comme moyen de protection de son individualité. Celle-ci est une réaction à l’indétermination des limites et des différenciations entre les êtres qui règne dans la famille. »29

Léa s’est sentie très angoissée par la reprise de poids durant son hospitalisation, témoignant régulièrement de son envie « d’arracher sa chair » pour retrouver la sécurité de son squelette.

  1. Complexité des soins

Accompagner des patients souffrant de troubles du comportement alimentaire implique de les aider à renoncer à certains symptômes envahissants et pouvant mettre leur vie en danger. Il s’agit pour eux d’aller vers plus de liberté de vie et de sécurité sur le plan de la santé. Ce travail de renoncement semble d’autant plus complexe pour des sujets ayant un vécu traumatique. En renonçant aux symptômes alimentaires, ils se séparent d’une solution d’apaisement qui leur a permis de survivre, avec le risque de se sentir plus exposés aux reviviscences traumatiques. Comment les aider à se réinscrire du côté de la vie, à envisager des projets d’avenir, à nouer des liens à l’autre quand tout paraît menaçant ?

La notion de « reliance » à la communauté humaine décrite par Jacques Roisin paraît dans un premier temps fondamental. Ainsi, pour Léa il ne semblait plus exister de « tissu social fiable » pour reprendre l’expression de Jacques Roisin30. La confrontation à la capacité barbare de l’être humain avait opéré en elle une perte de confiance dans la communauté humaine mais également une « cassure du sentiment d’appartenance » à cette même communauté. Elle vivait donc recluse, évitant activement la rencontre avec l’autre, et justifiant cet isolement par ses symptômes alimentaires : « je ne voulais pas qu’on me voie, je ne voulais même plus que ma mère passe chez moi parce que j’étais devenue trop maigre et je ne voulais pas qu’elle s’inquiète ». Son anorexie venait ainsi légitimer la coupure du lien à l’autre.

La vie qu’elle a partagée avec d’autres patients dans l’unité d’hospitalisation, la relation de confiance qu’elle a pu nouer avec les soignants ainsi que sa participation aux différents groupes de parole, en particulier au groupe destiné aux personnes souffrant de vécu traumatique et présentant des troubles du comportement alimentaire, a contribué à ce que Léa puisse retisser du lien avec la communauté humaine et retrouver un sentiment de confiance en soi, en l’autre et en l’avenir. Comme l’exprime Jacques Roisin : « en se reconnaissant dans les autres semblables à elles-mêmes, les victimes sortent de l’inexistence dans laquelle les a jetées la situation traumatisante, ensuite elles peuvent se rouvrir au groupe de semblables pour s’y comprendre en miroir »31. Avant son hospitalisation tout était au point mort pour Léa. Elle était « une jeune fille morte à la vie » pour reprendre l’expression d’Eva Thomas32, alors que d’autres patientes du groupe pouvaient maintenir en elles une partie vivante plus active et plus présente. Cela a semble-t-il constitué une source d’espoir pour Léa qui a ensuite pu l’envisager comme quelque chose de l’ordre du possible pour elle-même. La crainte de devoir supporter le fardeau de son histoire sans cette voie d’échappement que constituaient les symptômes alimentaires semblait difficile à surmonter. Renoncer à ses symptômes impliquait pour elle de se confronter à la question de son identité : « qui suis-je si je ne suis plus anorexique ? ». Cependant, elle a pu le questionner et au moins projeter la possibilité d’une vie sans l’anorexie, pathologie impliquant pour elle la confrontation récurrente avec une position de morte-vivante. Ce qui semblait difficile pour Léa et c’est sans doute un long chemin qui lui reste à parcourir, c’était de pouvoir se résoudre à être du côté de la vie sans se mettre sur le fil du rasoir de la mort pour s’éprouver vivante. L’enjeu pour Léa serait peut-être de maintenir vivace « un peu de désir, juste un peu, ce peu qui permet à la vie de continuer à exister »33.

Conclusion

La prise en charge de patients souffrant de psychotraumatisme interroge sur la façon dont on peut faire face à ce qui surgit dans le transfert traumatique. Cette problématique s’est posée avec une intensité et une massivité d’autant plus forte pour Léa du fait de la complexité de son trauma et du contexte d’hospitalisation dans lequel elle se trouvait. Cette situation clinique met également en exergue l’intrication qui existe entre l’anorexie et le vécu traumatique. Pour Léa, confrontée à l’anéantissement du sentiment de soi, l’anorexie pourrait s’entendre comme une solution de soulagement face à la souffrance traumatique mais également comme l’émergence d’une position de sujet, en particulier comme « un choix pour le refus » de ce qu’elle a subi et comme une façon de recréer une limite protectrice en soi et l’autre.

Notes de bas de page

1 GORTAIS J., « Le viol : du déni d’altérité à l’exil du désir », in DAYAN M. (sous la dir.), Trauma et devenir psychique, Paris, PUF, 1995, p. 99

2 FERENCZI S., Le traumatisme, Paris, Payot, 2006, p.33

3 TOVMASSIAN L.T., « Le traumatisme psychique », Santé mentale, N°200, Septembre 2015, p.29

4 LACHAL C., « Le partage du traumatisme : comment soigner les patients traumatisés. », Le Journal des psychologues 10/2007 (n° 253), p. 51.

5 ROUSSILLON R., « Traumatisme et symbolisation », in Quels traitements pour l’effraction traumatique ? Apports de la clinique et de la pratique psychanalytiques, sous la dir. de TOVMASSIAN L.T. et BENTADA H., col. Explorations psychanalytiques, 2014, p. 155-158.

6 FERENCZI S., Confusion de langue entre les adultes et l’enfant, Paris, Payot, 2004.

7 DEFONTAINE J., « L’incestuel dans les familles », Revue française de psychanalyse 1/2002 (Vol. 66), p. 179-196.

8 DEFONTAINE J., « L’incestuel dans les familles », Revue française de psychanalyse 1/2002 (Vol. 66), p. 179-196.

9 ROUSSILLON R., « Traumatisme et symbolisation », in Quels traitements pour l’effraction traumatique ? Apports de la clinique et de la pratique psychanalytiques, sous la dir. de TOVMASSIAN L.T. et BENTADA H., col. Explorations psychanalytiques, 2014, p. 155-158.

10 BALIER C., « L’inceste : un meurtre d’identité », La psychiatrie de l’enfant, vol 37, N°2, 1994.

11 ROUSSILLON R., « Traumatisme et symbolisation », in Quels traitements pour l’effraction traumatique ? Apports de la clinique et de la pratique psychanalytiques, sous la dir. de TOVMASSIAN L.T. et BENTADA H., col. Explorations psychanalytiques, 2014, p. 158.

12 FREUD S., « Projet d’une psychologie », in Lettres à W. Fliess, 1897-1904, Paris, Puf, 2006.

13 LACHAL C., « Le partage du traumatisme : comment soigner les patients traumatisés. », Le Journal des psychologues 10/2007 (n° 253), p. 50.

14 TOVMASSIAN L. T., séminaire du DU Psychopathologie et psychotraumatisme, Université Paris Diderot, 20 novembre 2015.

15 LACHAL C., « Le partage du traumatisme : comment soigner les patients traumatisés. », Le Journal des psychologues 10/2007 (n° 253), p. 51.

16 FERENCZI S., Confusion de langue entre les adultes et l’enfant, Paris, Payot, 2004, p.51.

17 FERENCZI S., Confusion de langue entre les adultes et l’enfant, Paris, Payot, 2004, p.43

18 FERENCZI S., Le traumatisme, Paris, Payot, 2006, p.33.

19 FERENCZI S., Confusion de langue entre les adultes et l’enfant, Paris, Payot, 2004, p.45

20 FERENCZI S., Confusion de langue entre les adultes et l’enfant, Paris, Payot, 2004, p.44.

21 GORTAIS J., « Le viol : du déni d’altérité à l’exil du désir », in DAYAN M. (sous la dir.), Trauma et devenir psychique, Paris, PUF, 1995, p. 93

22 FERENCZI S., Le traumatisme, Paris, Payot, 2006, p.129

23 FERENCZI S., Le traumatisme, Paris, Payot, 2006, p.20.

24 KORFF-SAUSSE S., Préface in FERENCZI S., Le traumatisme, Paris, Payot, 2006, p.21.

25 RECALCATI M., « Séparation et refus : considérations sur le choix de l’anorexie »,

Psychanalyse 2010/2 (n° 18), p. 5

26 COMBES C., Soigner l’anorexie, Paris, Dunod, 2002, p.11

27 DEFONTAINE J., « L’incestuel dans les familles. », Revue française de psychanalyse

1/2002 (Vol. 66), p. 186.

28 BALIER C., « L’inceste : un meurtre d’identité », La psychiatrie de l’enfant, vol 37, N°2, 1994 p.339

29 DEFONTAINE J., Corps familial, corps anorexique, Groupal 7, cité dans DEFONTAINE J., « L’incestuel dans les familles. », Revue française de psychanalyse 1/2002 (Vol. 66), p. 188.

30 ROISIN J., « Victimes d’agression sexuelle. Les ressources thérapeutiques des groupes de parole », Louvain Med, 2015, 134(8) Hors-série CPSM, p.36-48.

31 ROISIN J., « Victimes d’agression sexuelle. Les ressources thérapeutiques des groupes de parole », Louvain Med, 2015, 134(8) Hors-série CPSM, p.44.

32 THOMAS E., Le viol du silence, Paris, Aubier, 1986.

33 RECALCATI M., « Séparation et refus : considérations sur le choix de l’anorexie », Psychanalyse 2010/2 (n° 18), p.17.

Références bibliographiques

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  10. FERENCZI S., Confusion de langue entre les adultes et l’enfant, Paris, Payot, 2004.

  11. GORTAIS J., « Le viol : du déni d’altérité à l’exil du désir », in DAYAN M. (sous la dir.), Trauma et devenir psychique, Paris, PUF, 1995, P. 93

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  14. ROISIN J., « Victimes d’agression sexuelle. Les ressources thérapeutiques des groupes de parole », Louvain Med, 2015, 134(8) Hors-série CPSM, P36-48.

  15. ROUSSILLON R., « Traumatisme et symbolisation », in Quels traitements pour l’effraction traumatique ? Apports de la clinique et de la pratique psychanalytiques, sous la dir. de TOVMASSIAN L. T. et BENTADA H., col. Explorations psychanalytiques, 2014, P. 155-158.

  16. THOMAS E., Le viol du silence, Paris, Aubier, 1986

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