Association de Psychologues Cliniciens d'Orientation Freudienne

L’enfant sinthome et le symptôme de l’enfant

L’enfant sinthome et le symptôme de l’enfant

Dario Morales

Bienvenus à cette soirée consacrée à la clinique des apprentis-sages, clinique du symptôme à l’âge de l’enfance, qui se focalise bien entendu dans cette tranche de vie liée aux apprentis-sages, aux constructions, en particulier sur deux registres que sont le corps et l’activité intellectuelle. Qu’il s’agisse de l’énurésie, encoprésie, des troubles du sommeil, de la nourriture, la participation et l’érotisation du corps sont évidentes ; ou bien ce qui nous vient par l’école, l’hyperactivité, l’inhibition et les dits troubles dys.

Petit rappel, le symptôme, est une formation de compromis, à la fois quelque chose que l’on voit par exemple lorsqu’on constate un blocage, une difficulté et en même temps ce dont on ne sait pas ce qu’il exprime. Je rappelle que pour Freud (ce voir dont on ne sait pas), fait penser au rêve, et donc il serait judicieux d’envisager le symptôme sur le principe du rêve ou de l’acte manqué, c’est-à-dire comme formation de l’inconscient, quelque chose que l’on voit mais dont on suppose la référence aux mécanismes que sont le déplacement et la condensation. « Les symptômes névrotiques et les actes manqués ont ceci de commun qu’ils se ramènent à des matériaux psychiques incomplètement refoulés et qui, bien que refoulés n’ont pas perdu toute possibilité de se manifester et de s’exprimer » (Freud, Psychopathologie de la vie quotidienne) ceci nous mène à dire, que les enfants ont des symptômes qui n’ont pas été complètement refoulés et qui ne demandent qu’à l’être. C’est justement par ce qu’il n’a pas encore été refoulé complètement que se produisent un certain nombre de symptômes dont la tâche thérapeutique consistera à rendre possible le refoulement. Or la voie actuelle qui tend à réduire le symptôme à un « trouble » implique qu’il ne s’agit plus d’interroger la place du symptôme dans l’économie psychique d’un enfant mais de le faire disparaître, d’où le succès des thérapies comportementales ou des médicaments.

Comment se constitue le symptôme chez l’enfant ? C’est à partir de la demande, amenée le plus souvent par les parents que l’on peut envisager sa constitution. Et en faisant un pas de plus, et de côté, je proposerai que l’enfant n’est pas, comme on l’énonce trop souvent, le symptôme des parents mais leur sinthome ou plus précisément que le symptôme de l’enfant fait sinthome chez les parents, c’est-à-dire une fonction de nouage égale à celle du sinthome dans le nœud borroméen. Pour le dire différemment, cette petite différence – (trouvaille) me permet de distinguer le symptôme des enfants du sinthome familial. Le sinthome de l’enfant pourrait alors renvoyer à une trinité familiale en mal de nouage, l’enfant prêtant son corps ou son intellect comme suppléance à ce que l’on pourrait appeler le « sinthome familial », sinthome qui suture le ratage du nœud familial. Chez Pinochio par exemple – comme je l’exposerai ci-après, cela sera le sinthome « d’être un enfant gentil », Autrement dit, grâce à cette distinction on peut premièrement rendre à l’enfant sa position de sujet en le délogeant d’une position de pur objet (que malheureusement met en avant l’expression l’enfant symptôme), et du coup la clinique va soutenir la position de subjectivation de ce trop de jouissance qui le déborde, en donnant à l’enfant la possibilité de s’approprier d’un symptôme dans lequel il va enfin se reconnaître, voire même pouvoir inscrire son nom.

Pour l’illustrer ceci je me réfère à Pinocchio, petit personnage bien connu qui pourrait illustrer nos deux soirées, celle de ce soir sur les apprentissages et celle d’avril sur la déscolarisation. Je ne vous raconte pas l’histoire de Pinocchio, je mets l’accent juste sur ceci : les « troubles » du comportement démarrent chez Pinocchio lorsque le père l’oblige à se rendre à l’école. Au fond, c’est lorsque Pinocchio doit se positionner face à la demande maternelle – représentée ici par la fée, « d’être un gentil garçon », demande véhiculée par le « père » que Pinocchio produit le symptôme de fugue (ce symptome, cela sera sa première réponse ou première façon de se détacher de la demande des parents, du sinthome des parents). Il ne peut pas se rendre à l’école parce à la demande maternelle d’être un gentil garçon, il répond par le pulsionnel, par l’agitation – je rappelle qu’il était juste avant un pantin inerte en bois – sans recourir à la médiation de la loi paternelle. Gepetto est certes le fabricant de Pinocchio mais il ne peut endosser la fonction de père tant il est lui-même englué dans sa propre plainte de réparation dont le sinthome est le ratage subjectif ; ce père n’a pas le phallus ; ce pourquoi dans un mouvement mélancolique quand le père se fait avaler par la baleine, il va se trouver protégé dans son ventre au point de ne pas vouloir quitter – le giron maternel. Au fil des déambulations et des fugues très cocasses, nous avons un enfant rebelle, insolent, une tête à claques, Pinocchio cherche ainsi à se déloger de cette position d’objet de la jouissance maternelle – et de son pendant, la réparation chez son père – et tente le passage de l’enfant sinthome en fabriquant son propre symptôme en subjectivant ainsi une jouissance qui déborde en créant son propre symptôme, le mensonge, dont il fera un nom propre ; mais au-delà, il interroge, ce que la thérapie comportementale ne fait pas pour lui, à savoir la question essentielle du rapport au père. Dans cet appel au père, il se fait à son tour avaler aussi par la baleine et dans le ventre de celle-ci, il rencontre le père, mais au refus de ce dernier de quitter le giron, Pinocchio s’adresse à lui solennellement, et lui dit « papounet » je veux une autre demeure, je veux sortir d’ici, je veux jouir de la vie en société et de ma condition de parlêtre. Il veut donc nouer la dimension subjective du mensonge à la problématique paternelle. Il ne promet pas au père autre chose, il veut se sauver, mais pour en arriver là, il sauve le père en restituant à celui-ci la place de père, ailleurs que dans le collage avec la mère, permettant ainsi à une autre instance de la paternité que cette fois ci aura pour effet, l’humanisation du fils, incluant le mensonge, accédant aux apprentis-sages mais cette fois ci non pas par l’agir mais par la parole.