Association de Psychologues Cliniciens d'Orientation Freudienne

L’hallucination dans le modèle d’Henri Ey

Brice Martin

Le modeste travail que j’ai le plaisir de vous présenter constitue en réalité une sorte de récapitulatif d’écrits que j’ai récemment découverts: il s’agit des études d’Henry Ey.

J’ai essayé d’articuler cette présentation, ayant pour thème l’hallucination dans le modèle d’Henri Ey, autour de 3 petites parties :

  • la première constitue une rapide mise en place des grands concepts organo dynamiques
  • la deuxième porte sur le rapport du conscient et de l’inconscient dans la théorisation néo jacksonienne.
  • Enfin la troisième partie sur le sujet de cet atelier, à savoir la compréhension de l’hallucination dans le modèle d’Henri Ey.
  1. bases du modèle organo dynamique

Faisant le constat des impasses inéluctables des grands modèles psychiatriques (mécaniciste d’un côté, psycho génétiste de l’autre) quant à la compréhension de la psychopathologie à l’œuvre dans le fait psychiatrique, Henry EY se propose de glisser une troisième approche, d’inspiration Jacksonnienne, qu’il appellera l’organo dynamisme, puisant sa légitimité dans la « nécessité de répudier à la fois le dualisme qui sépare trop et le monisme qui ne sépare pas assez ».Très proche de Janet, cette approche postule que la vie psychique est une forme d’organisation dont la vie organique est une condition nécessaire mais non suffisante.

Cet projet prend appui sur un modèle, celui du neurologue anglais H. Jackson s’organisant autour de 4 grands principes :

1. le premier postule la hiérarchisation des fonctions psychiques. Cette hierarchisation des fonctions psychiques subordonne les phases primitives et inférieures aux organisations plus élaborées.

2. le deuxième postule que les états pathologiques proviennent d’un mouvement de dissolution des fonctions existantes. A ce mouvement de dissolution d’une fonction correspond une régression du système fonctionnel à un niveau inférieur. Cette régression s’accompagne d’un déficit, lié à la dissolution du niveau supérieur, mais également d’une symptomatologie positive, liée à l’expression du niveau inférieur libéré : ainsi, dans cette optique, « la maladie ne crée pas mais libère »

3.par conséquent, ce que la clinique étudie, ce sont des niveaux de dissolution plus ou

moins profonds. La conséquence immédiate est l’éloignement de la notion d’entité anatomo – clinique . C’est la le troisième principe. Ce que le clinique étudie, ce sont des niveaux de, de dissolution plus ou moins profonds.

4. Enfin, le 4ème principe, extrêmement important, insiste sur le fait que la particularité de la psychiatrie est se s’occuper des états de dissolution globale, par opposition aux dissolutions partielles, objets de la neurologie. On entend par dissolution globale, une forme de bouleversement existentiel liée au trouble. C’est le cas par exemple d’une symptomatologie hallucinatoire, bouleversant le vécu du patient, l « ici, là et maintenant ». La dissolution partielle ne bouleverse pas à ce point le vécu : c’est le cas d’une paralysie d’un bras par exemple : il n’y a pas dans ce cas de bouleversement de la conscience, ou, plus précisément du champ de conscience…

  1. la conscience et l’inconscient dans le modèle d’Henri EY

Tournons nous maintenant vers un problème récurrent dans le travail d’Henry EY, préambule indispensable à l’étude de l’hallucination, celui de la conscience.

Nous verrons successivement :

  • la place de la conscience dans la psychiatrie classique et psychanalyse
  • une tentative de définition de la conscience

place de la conscience dans la psychiatrie classique et la psychanalyse

partant d’une approche historique, henry EY fait le constat suivant : concernant la psychiatrie tout d’abord, force est de constater la confusion qui règne autour du problème de la conscience , tant dans sa définition que dans les troubles la concernant.

Concernant sa définition tout d’abord , Baruk y voit une instance réflexive, Sadler un quasi synonyme de la fonction de vigilance…Seul Jasper donne une définition qui, nous le verrons plus loin, se rapproche de la conception OD, définissant la conscience comme « la totalité de la vie psychique à un moment donné »

Concernant ensuite les troubles de la conscience, que ce soit dans l’école allemande, ou française, les tentatives les plus téméraires semblent finalement se résumer en un catalogue, une sorte de description quasi atomistique de « troubles de la consciences ».Ainsi en est il de Regis, qui distingue troubles de la conscience par sentiment d’appropriation personnelle, par altération des perceptions, par altération de l’enchainement mnémonique des sensations, comme de jasper (états d’obnubilation, états de conscience dcomposés, conscience rétrécie), ou encore de binder…

Finalement, les descriptions sont fragmentaires, disparates et se perdent dans un certain schématisme sans conception unificatrice.

En ce qui concerne la psychanalyse, dont on sait à quel point henry Ey fut attaché, nous trouvons là néanmoins un point de divergence assez fort entre le modèle freudien, et le modèle OD quant au statut donné à la conscience :

Partant là encore d’une approche historique, Ey prend pour point de départ les fondements cliniques de la psychanalyse : hypnose, idées fixes hystériques…, toutes ces manifestations ressemblant à « un parlé de la personne évoluant pour son propre compte ».

Pour Henry Ey , 2 voies de compréhension étaient possibles devant l’étude de ces manifestations :

  • la première, symbolisé par Freud et son école, situe les troubles hystériques comme un effet , comme une action de l’inconscient. Ainsi, les manifestations hystériques, pour ne parler que d’elles, renvoient elles à l’action quasi pathogène d’un inconscient refoulé, puisant certains de ses contenus dans l’histoire du sujet. En revanche, on ne retrouve que très peu de considérations sur la structure de la conscience, considérées finalement comme une instance réflexive, à la surface de l’appareil psychique
  • la deuxième voie, symbolisée par pierre Janet, en qui Ey voit un de ses maitres, subordonne les manifestations de l’inconscient (qui n’est pas nié) à un trouble de la conscience.pour Janet, si l’inconscient s’exprime, s’actualise, au travers, par exemple des manifestations hystériques, c’est qu’une condition sine qua non existe : cette condition, c’est l’existence sous jacente, primaire, d’une altération de la conscience, altération prenant racine dans le corps, condition là encore sine qua non pour parler de psychopathologie.

Ainsi, pour H. Ey, dans la continuité de Janet, loin de nier l’inconscient, il ne faut pas surestimer l’inconscient, et rétablir la base qui lui manque : envisager son actualisation, son expression, ses manifestations au regard d’une destructuration de la conscience. Ainsi, la destructuration de la conscience constitue pour Ey le fondement même de la notion d’inconscient.

Tentative de définition de la conscience

Mais alors, qu’est ce que la conscience ? Ou encore, qu’est ce qu’une conscience structurée et une conscience déstructurée ?

Loin de prétendre répondre à cette question, henry Ey tente de s’attaquer avec modestie à ce problème, débordant finalement le champ uniquement psychiatrique.

Il tente ainsi de dégager quelques aspects fondamentaux à ses yeux :

  • premier point : la conscience n’est pas toute la vie psychique : Ey, plutôt que d’envisager la conscience comme une totalité (la totalité des fn intellect sup par ex) la considère davantage comme une structure mouvante, ramenée, et c’est là un point capital, au problème de la constitution d’une expérience concrête à l’intersection du temps et de l’espace, d’où la notion capitale de « champ», de « champ de conscience » restreignant donc la conscience à n’être qu’un moment de la vie psychique
  • deuxième point, la conscience n’est pas une fonction simple,une fonction basale, quelque chose comparable à un atome si on veut.la conscience est quelque chose de structuré, de hiérarchisé, et c’est cette structure qui peut chanceler, qui peut s’effondrer plus ou moins profondément, comme on peut le voir dans la pathologie. Nous verrons ainsi un exemple de destructuration de la conscience dans l’hallucination.
  • Troisième point, la conscience ne correspond pas aux fonctions supérieures,n’en est pas une, mais constitue la forme même de l’actualité du vécu. C’est elle qui structure ici et maintenant l’exercice de nos fonctions supérieures, ou encore pourrait on dire de notre rapport au monde.
  • Dernier point, d’importance capitale, la conscience n’est pas l’automatisme. Au contraire, par sa fonction de représentation, allant de paire avec tout acte réfléchi, la conscience, par son exercice, nous écarte de la voie de l’automatisme, du réflexe.c’est là un point d’extrême importance, éclairant la conception d’Henry Ey et de la phénoménologie sur la question de la liberté, l’acte libre s’écartant de l’automatisme, lui-même toujours libéré dans une mesure plus ou moins grande dans la pathologie mentale (hallucination, obsession, monoidéisme,impulsions, tics etc…)

En guise de conclusion, nous pourrions donner la définition suivante de la conscience : la conscience, c’est « le champ du présent représenté », formule résumant l’ensemble des points de vue précédents.C’est « l’ici, là et maintenant », cet « ici, là et maintenant » qui peut se destructurer, conduire à l’actualisation de l’inconscient, comme le montre la pathologie mentale, comme par exemple, le montre l’hallucination, vers laquelle nous nous tournons maintenant, en guise d’exemple de déstructuration du champ de conscience.

  1. Un exemple de destructuration de la conscience : l’hallucination

Tentons maintenant de dégager quelques aspects des hallucinations, en regard de ce que nous venons de voir.

Ainsi, nous verrons successivement :

  • Le cadre nosographique de l’étude sur les hallucinations
  • La clinique de l’hallucination
  • La phénoménologie et l’analyse structurale OD de l’hallucination (autrement dit, la nature de la destructuration de la conscience en jeu)

cadre nosographique et dégagement historique

Plaçant d’emblée l’étude de l’hallucination dans le contexte clinique de l’aigu,de l’émergence,du moment fécond, c’est sous l’angle de ce que EY nomme bouffées délirantes et hallucinatoires aigues, recoupant la BDA de Magnan, ou encore les expériences délirantes primaires de Jaspers, qu’il développe sa clinique des hallucinations.

Clinique des BD et H A

Alors, d’un point de vue clinique, quelles sont les différentes formes de l’hallucination ? Que nous offre à voir la clinique des états aigues hallucinatoires ?

La présentation clinique de Ey, teintée du modèle OD, de par la hiérarchisation qu’elle introduit dans la description des tableaux cliniques hallucinatoires, propose 3 niveaux hallucinatoires, traduisant une déstructuration de plus en plus profonde de la conscience.

Le premier niveau, le niveau de déstructuration le plus superficiel, le premier ensemble de faits cliniques relevant de l’hallucination, et bien, c’est la dépersonnalisation .Terme introduit par Dugas en 1898, la dépersonnalisation se traduit par un sentiment comportant tout à la fois celui d’étrangeté de la personne physique (décorporéisation) ou psychique (désincarnation) et d’étrangeté du monde extérieur (déréalisation). Une grande partie de la conscience demeure encore intacte dans ce premier ensemble de faits cliniques, la structure de la conscience est touchée, certes, mais pas suffisamment pour abolir l’étrangeté de cette étrangeté.

Le deuxième niveau, niveau de déstructurations intermédiaire, plus profond que la dépersonnalisation, est constitué par les expériences de dédoublement hallucinatoire (ou encore états aigus d’automatisme mental). Ce type de déstructurations de la conscience se traduit par un sentiment d’intrusion, de parasitisme, d’effraction dans la pensée du sujet. L’ensemble des descriptions magistrales de De Clérambault est à greffer à ce niveau là

Le point crucial de ce type d’expérience hallucinatoire, c’est, pourrait on dire, l’exigence d’un accouplement à un autre, si souvent vécue sous la forme d’un viol, le viol de la pensée. Il s’agit donc, on le sent bien, d’une effraction de l’intimité, de l’unité et du secret, qui, au milieu même du moi, est normalement inviolable. On touche là à la perte de la propriété privée du langage intérieur.

Le troisième niveau de déstructuration, le niveau le plus profond, est constitué par les expériences délirantes oniroïdes.

A ce niveau de déstructurations correspond un vécu hallucinatoire caractérisé par son inachèvement, tout reste flottant, inconsistant (reprenant quasi point par point les descriptions magistrales de Mayer – Gross) mais également une tendance à la formation d’ensemble scéniques. On voit très bien le rapprochement avec un fait, cette fois ci, normal : le rêve, dont on sait l’importance qu’HENRY Ey lui accorde, y voyant , dans la lignée d’un de ses maîtres, Moreau de Tours, le fait primordial de la psychopathologie.

L’état oniroïde se rapproche donc de la conscience du rêve. La réalité n’est pas totalement anéantie, comme dans la confusion, mais ce niveau de déstructuration conduit à sa crépuscularisation.

analyse structurale OD des phénomènes hallucinatoires, conclusion de ce modeste essai.

Tournons nous maintenant vers la phénoménologie et l’analyse structurale des ces états délirants et hallucinatoires aigus, autrement dit, quel est l’apport du modèle organo dynamique dans l’analyse de ces faits cliniques bien connus.

Nous verrons successivement :

  • une tentative de définition de la perception
  • le type de déstructuration de la conscience à l’œuvre dans ces troubles de la perception
  • une synthèse sous la forme d’une brève analyse structurale

la perception

Ey formule l’impossibilité de faire l’impasse sur la question de la perception. En effet, point de départ de l’analyse phénoménologique, force est de constater que le phénomène hallucinatoire semble évidemment convoquer le registre de la perception, et constitue, en fait, un trouble la perception, trouble que la sémiologie psychiatrique la plus classique définit d’ailleurs comme une perception sans objet à percevoir.

Se référant en premier lieu aux travaux de Merleau Ponty, H Ey interroge sur le statut de la perception. Qu’est ce que la perception ?

En accord avec merleau ponty, Ey montre que la perception va de paire avec un élément fondamental, sans lequel son étude est quasi peine perdue : cet élément, et bien c’est l’espace. Il ne peut y avoir de fait perceptif qu’à l’intérieur d’un espace. Ainsi, la perception renvoie au problème de l’espace, et, en fait, aux différentes formes d’espaces que la perception peut prendre pour cible. Voilà donc le problème capital du fait perceptif : ce sont ses espaces.

Mais alors, quelles sont les différentes formes d’espace dans lesquelles la perception peut s’exprimer ?

Et bien ,il en est déjà un évident : c’est l’espace objectif, cet espace que l’on peut mesurer, cet espace qui enveloppe dans ses dimensions l’objet du monde extérieur, cet espace que nous donne à voir nos yeux. Voilà donc une première forme d’espace vécu : nous l’appellerons l’espace objectif.

Une deuxième forme d’espace vécu, et bien, c’est ‘espace virtuel psychique, l’espace anthropologique si l’on veut,l’espace dans lequel se déplacent nos pensées, nos représentations, nos rêves, que peuple notre imaginaire, que peut remplir notre mémoire…

Enfin, une troisième forme d’espace vécu, beaucoup plus ambigu, dans la mesure où il semble se positionner à la frontière de l’espace objectif et subjectif (d’où sa fragilité), cette troisième forme d’espace vécu, et bien c’est le corps, constituant pour merleau ponty l’expérience la plus profonde, mais également la plus ambiguë de ma perception car le corps est toujours présent (comme un objet ) mais également oublié (comme un sujet) dans l’acte perceptif.

Rien ne peut être perçu du corps dans la conscience que nous en prenons qui ne fasse figure d’objet de la nature et d’image de soi.

Voici ainsi brassés de manière schématique, les différents espaces en jeu dans l’acte perceptif : l’espace objectif, l’espace corporel, l’espace psychique.

Voilà également posés les jalons, les bases d’une structure, d’un attribut de la conscience, de ce qui organise cet « ici là et maintenant » dont nous parlions tout à l’heure, la structure des espaces vécus,susceptible de se déstructurer dans le fait hallucinatoire, suivant cette remarque magistrale de merleau ponty « ce qui garantit l’homme sain contre le délire ou l’hallucination, ce n’est pas sa critique, c’est la structure de son espace ».

Tournons nous ainsi, en repartant de la clinique, vers ces bouleversements des espaces vécu, bouleversements à l’œuvre dans le fait hallucinatoire.

Nous avons tout d’abord décrit une forme de déstructurations des espaces vécus superficielle : c’est la dépersonnalisation.Il s’agit du premier niveau d’interférence entre monde subjectif et objectif. Cela semble logique quand on voit la position ambiguë du corps.

Ainsi, la dépersonnalisation ne commence que lorsque l’altération du corps est vécue comme une altération du sujet, et non seulement du corps.

Ainsi, l’expérience de dépersonnalisation va-t-elle toujours de pair avec une certaine forme de déréalisation, traduisant la nouveauté du rapport du moi et du monde, çad l’invasion réciproque de l’espace objectif et subjectif (du réel et de l’imaginaire).

Plus profondément, les états de dédoublement hallucinatoires traduisent ils carrément l’organisation du champ phénoménal subjectif comme un espace physique, réel.Le pôle du subjectif s’organise comme le pôle de l’objectivité et la pensée devient objet.

L’automatisme mental prend alors une consistance qui est celle des objets du monde physique, supposant une modification des perspectives spatiales.

Enfin, la conscience oniroïde s’ouvre presque entièrement à l’espace imaginaire, où seul persiste encore le monde familier.

C’est ainsi à la phénoménologie du spectacle, de la conscience cinématographique au monde des images que nous convient ces états.

ainsi la structure négative des états hallucinatoires se traduit globalement par un vague de la pensée, un agglutinat flou d’images quasi kaléidoscopiques, et une crépuscularisation de la conscience, envahie par l’imaginaire,actualisant l’inconscient. C’est sur le terrain du bouleversement des espaces vécus que se produisent ces éléments.

la structure positive, ce qui est proprement libéré, c’est une actualisation dramatique du vécu, une scénification de l’imaginaire, perdant sa simple fonction d’analogon, apte à nous émouvoir en temps normal, pour devenir un pseudo fragment de réalité.

Conclusion :

En conclusion, je dirai que la richesse que j’ai trouvé dans ce modèle, c’est la possibilité qu’il offre, tout en restant uniquement dans le champ de la pathologie, d’intégrer la notion d’inconscient, son actualisation dans la pathologie, au regard d’un trouble de la conscience.