Association de Psychologues Cliniciens d'Orientation Freudienne

Marc, le Pater familias

Marc, le Pater familias

 

Sandra VASQUEZ

 

 

 

 

 

 

Ce sont les lois sociales qui ont produit le traumatisme chez ses enfants, assure Marc pendant un de nos entretiens hebdomadaires. Et en même temps, il cherche dans sa mémoire un traumatisme infantile qu’il ne trouve pas. A-t-il été victime d’un traumatisme sexuel dont il ne se souvient pas ? Si ce n’est pas le cas, comment expliquer ses actes envers ses enfants ? Se demande-t-il après quelques années de thérapie.

 

En effet, accusé de viol et d’attouchements sexuels sur deux de ses plus jeunes enfants, Marc est détenu dans une maison d’arrêt depuis plusieurs années en attente de son jugement. Dès son arrivée en prison, il a demandé à rencontrer un psychologue et suit avec beaucoup d’assiduité, mais peu de foi, sa thérapie. Il vient parler de sa relation avec ses enfants et sa famille et cherche les raisons qui l’on conduit à avoir ces agissements avec tous ses enfants, mais peut-être aussi, il y a un calcul dans sa démarche, il sait qu’il a une obligation de soins et pour bien s’en sortir au jugement il lui faudrait un suivi « psy ».

 

Marc est âgé d’une soixantaine d’années, il a exercé un beau métier où il jouissait d’un certain prestige. Il ne nie pas les faits dont on l’accuse mais leur donne une autre interprétation. Il s’est marié deux fois, un premier mariage par convenance, lorsqu’il était âgé d’une vingtaine d’années  avec une femme de la bourgeoisie. Elle avait déjà une petite fille de trois ans à qui il a donné son nom et qu’il a élevée. De cette première union sont nés 4 enfants. Lorsque sa belle-fille a eu douze ans, Marc a commencé à abuser d’elle. Une relation sexuelle,  lorsque la jeune fille était âgée de 16 ans, a mis fin à ses abus. Elle l’a provoqué, assure-t-il. Un an après les faits, la jeune fille l’a dit à sa mère et elle a été envoyée à l’internat, car à chaque réunion familiale, dit-il, elle faisait du grabuge. Cela a jeté un froid sur le mariage mais on a évité le scandale. Quelques années après, Marc et sa femme accordent une séparation sans conflit, il quitte la maison familiale et s’éloigne de sa famille. Il assure que cette femme qui a une quarantaine d’années maintenant « est une folle », selon lui, elle a pris contact avec sa plus jeune fille et l’incite à l’accuser et à porter plainte contre lui. De toute façon, dit-il, sa plainte n’a pas été prise car le délai de prescription était dépassé. Maintenant, il s’étonne qu’aucun des enfants du premier mariage viennent le voir en prison. En même temps, il avoue que sous l’effet de l’alcool, il a aussi fait des attouchements sur  son fils ainé lorsque celui-ci avait huit ou neuf ans, et il a eu des gestes déplacés envers ses autres filles, gestes qu’il avait oubliés jusqu’à ce jour. Il explique que cela n’est pas allé plus loin car ses deux filles n’ont pas accepté ses agissements. Il est très déçu de ses enfants, qui n’ont pas répondu à ses lettres et même le fils l’a accusé devant la police, sa plainte n’a pas pu être prise car le délai de prescription était dépassé. Il méprise ce fils qui a choisi un métier dans le secteur social, ce fils qui s’est éloigné de lui depuis plusieurs années, et qui n’a jamais voulu le laisser voir ses petits-enfants.

 

Lorsque ce premier abus devient public, la séparation du couple est définitive. Marc part travailler à l’étranger où il rencontre une femme d’origine modeste qui était déjà mère de famille d’un petit garçon de 3 ans. Ils se marient et retournent en France. Ils ont une petite fille dont Marc s’occupe beaucoup, car il est en pré-retraite et puis à la retraite, il se consacre donc à sa fille et a une relation très proche avec elle. Lorsque celle-ci a huit ans, il commence les attouchements, en pensant que ce n’est pas de la même nature que ce qu’il a fait subir à sa fille aînée, geste qu’il dit regretter, mais dont il ne se sent pas responsable. Ceci prendra fin lorsque sa fille âgée de 15 ans raconte à une amie la relation qu’elle a avec son père et que celle-ci le dira au collège qui fera un signalement. Un matin la police arrive chez Marc et l’amène en prison. Il a aussi abusé de son beau-fils, qui a avoué à la police le sentiment de haine qu’il avait envers son beau-père. Marc, le méprise car il n’a pas de reconnaissance pour tout ce qu’il a fait pour lui. Il critique les difficultés scolaires de ce jeune homme, et assure qu’il ne lui financera donc ses études supérieures.

 

Au début de son incarcération, Marc ne comprend pas ce qui lui arrive, il est un bon père de famille, il a travaillé pour ses enfants, durant toute sa vie, et il s’est occupé de l’éducation de sa fille sous tous ses aspects, assure-t-il. Et la sexualité faisait partie de ces aspects. Il voulait qu’elle soit prête, qu’elle puisse avoir une sexualité sans entraves, celles de la société. Il explique que pour lui c’est sa fille préférée. Cette fille intelligente qui a appris à lire avant d’arriver à l’école, dont il a suivi de près ses devoirs et ses notes, avait toujours répondu présente à tout ce qu’il lui demandait, il lui avait donné son temps et son savoir. Au début de l’incarcération, Marc a de la colère contre ceux qui l’accusent où le jugent. Sa famille est dans une mauvaise situation due à son incarcération, sa femme travaille, mais ne sait pas se débrouiller avec le quotidien. C’est lui qui s’est toujours occupé de tout, elle parle à peine français, elle est perdue. Il a un discours de mépris pour sa deuxième femme, une femme peu cultivée qui fait des ménages et qui lui a laissé l’éducation de sa fille.

 

Il accuse ceux qui l’ont mené en prison, car ils font semblant d’ignorer que sa fille fréquente un homme de 25 ans, il l’a amené à l’hôtel plusieurs fois et c’est lui qui l’a encouragé à porter plainte, sauf qu’il est aussi majeur et qu’il enfreint tout comme lui la loi. Qui est le délinquant ? demande-t-il. Il écrit donc au procureur et encourage sa femme à porter plainte contre cet homme. Il explique que c’est parce que sa fille commençait à sortir, à se maquiller, enfin de comptes, à se séparer de lui, qu’il avait de plus en plus de conflits avec elle, elle ne voulait plus obéir, c’est pour cela qu’elle a porté plainte. Sa fille est en perdition, il dit qu’elle est manipulée par les avocats, par les psys, car au début, elle ne voulait pas l’accuser, mais au fur et à mesure son discours change et devient de plus en plus accusateur envers son père. Il a comme preuve les mauvais résultats qu’elle a à l’école et les crises qu’elle fait à sa mère. En effet, sa femme ne voulait pas le quitter, elle voulait rester avec lui, elle venait le voir en prison et ils parlaient de tous les problèmes à régler mais sous la pression de la justice, elle a dû choisir de se séparer de lui, car on l’avait menacée d’enlever définitivement la jeune fille de la maison et de la placer. C’est le moment le plus difficile de l’incarcération pour Marc, le moment où il pense qu’il restera tout seul, il fait une tentative de suicide.

 

Suite à cet acte Marc recherche dans son enfance les motifs de son acte. Il est né dans une famille nombreuse et pas très unie, sa mère est froide et distante avec lui, il se souvient d’avoir eu des idées érotiques par rapport à sa mère, il ne trouve pas cela choquant. D’ailleurs, il voudrait discuter pendant les entretiens de la supposée universalité de l’Œdipe qu’il juge fausse, il apporte des exemples de tributs où les enfants ont des relations avec les parents. Il dit, je suis le pater familias, pour expliquer la position qu’il avait dans sa famille avec ses femmes et ses enfants. Il commence donc à chercher un traumatisme sexuelle dans son enfance qui puisse expliquer ses agissement, il s’informe, et il est convaincu d’avoir eu un traumatisme. Il se décrit comme l’enfant malaimé, laissé un peu à part par les frères et sœurs et même par les parents. Par ailleurs, il a été le seul à être envoyé à l’internat, il se souvient qu’il était inscrit dans un collège prestigieux mais loin de chez lui, son père devait aller le chercher après le travail, il restait des heures et même jusqu’au soir à l’attendre et il a même était oublié par ce père distant, le pater familias, tout comme lui dans sa famille.

 

Avant le jugement, se dessine une autre manière de voir les choses pour Marc, sa femme revient le voir, elle a décidé de ne pas divorcer, elle reste avec son mari. Le beau-fils après beaucoup d’hésitations et des échecs, réussit à trouver une formation qui lui convient, à emprunter pour la payer et à partir à l’étranger pour réaliser des stages. Sa fille est placée à l’internat, car les relations avec sa mère sont de plus en plus difficiles, elle a beaucoup de reproches envers sa mère et la haine s’installe. Il a l’autorisation d’appeler chez lui, parfois, c’est sa fille qui lui répond et il essaye d’installer un dialogue, impossible au début, peu à peu sa fille accepte de lui parler. Il est touché par ce qu’elle a dit aux experts psychologues, il comprend qu’il lui fait du mal, une de ses filles du premier mariage lui envoie une lettre, il aimerait renouer une relation avec les membres de sa famille qui l’accepteraient, un frère et quelques-uns de ses enfants. Puis, il est condamné, il accepte sa peine, il demande un transfert et pense à sa sortie, la vie avec sa femme qu’il dit aimer et peut-être un dialogue avec sa fille. Marc se défini comme le chef de famille, « le pater familas » du droit romain qui a un pouvoir absolu sur ses enfants, même adultes et mariés.père2