Association de Psychologues Cliniciens d'Orientation Freudienne

Mme O : je suis une grande gueule!

Mme O : je suis une grande gueule!

 

Sandra VASQUEZ

 

 

 

 

 

 

Lorsqu’elle sort de sa douche en octobre 2012, Mme O est prise d’une crise d’angoisse, elle dit avoir ressentie une boule dans le ventre, elle pensait qu’elle allait mourir et se sent obligée d’appeler sa sœur et son mari pour leur demander de s’occuper de ses filles car elle sait qu’il va lui arriver quelque chose. Durant les premier temps de la thérapie, Mme O parle de cette crise comme de quelque chose d’inexplicable pour elle. « A l’époque, tout allait bien », et elle déclare « je n’avais aucune raison d’être malheureuse, j’ai un mari en or et des filles belles et intelligentes ».

 

Son seul souci  est la santé de son entourage, surtout de sa mère et d’elle-même. Elle a toujours peur d’avoir une maladie incurable ou de perdre sa mère « qui est le pilier de la famille » assure-t-elle. Elle explique que son père est décédé en 1998 d’un cancer de la gorge. Son frère et elle ont gardé secret cette maladie au reste de la famille, elle a dû interrompre ses études pour s’occuper entièrement de lui pendant un an. A l’époque, elle était fiancé à un homme qui n’approuvait pas ce dévouement, il lui faisait le reproche de ne pas pouvoir la voir assez souvent, elle comprend qu’il faut choisir entre l’homme aimé et son père, elle choisit le père. Cette rupture était douloureuse, elle a dû prendre un traitement médicamenteux car elle se sentait déprimée.

 

Peu à peu, elle me fait comprendre sans le dire qu’elle a été abusée sexuellement à l’enfance. Elle explique qu’entre 8 et 12 ans, un homme proche de la famille a abusé d’elle jusqu’au moment où elle a pu s’opposer à lui. Chaque fois qu’elle évoque cela, elle est très angoissée, pleure et ne revient pas au rendez-vous suivant. Très rapidement, elle me fait comprendre que cet homme n’est autre que son père. Elle explique qu’elle a accepté cette situation pour protéger sa petite sœur, elle ne l’a jamais laissée seule avec lui, « c’est moi qui a tout pris, dit-elle, pour protéger les autres ». Lorsqu’elle est arrivée au collège, elle a pu s’opposer à lui, elle explique un changement de caractère, elle répondait avec agressivité à ses parents, elle pouvait affronter son père. Sa famille la craint, car elle dit les choses directement à n’importe qui. Elle est devenue comme ça, dit-elle, « je ne me laisse pas faire ». Son entourage lui demande de mesurer ses propos, mais, dit-elle, « ils ne comprennent pas ce qui m’est arrivé, je suis un grande gueule ».

 

Son père a détruit son enfance, au début des entretiens le père est présenté comme un homme respecté par tous, la famille regrettant sa disparition. Elle explique qu’elle n’a pas pleuré à sa mort, elle l’avait déjà pleuré, pendant l’année de sa maladie, elle avait tout abandonné pour lui. Le père admiré devient petit à petit dans son discours, un alcoolique qui tapait sa femme et ses enfants, tous sauf les petits frères et sœurs que les grands protégeaient. Mme O raconte que lorsque son père a surpris un de frères en train de fumer, le père l’a envoyé à l’armée, un autre frère a perdu l’audition sous les coups du père. Cependant, tout le monde semble lui vouer un culte, ce qui pour elle est insupportable. Néanmoins, elle garde le silence, elle se dit que parler détruirait la famille. Elle dit avoir fait toujours semblant, « je faisais tout pour garder une apparence, j’étais fausse pour cacher ce qui m’était arrivée ».

 

Elle avoue s’être sentie soulagée lors de la mort de son père, il ne ferait plus du mal à personne, dit-elle « j’ai vraiment était libre quand mon père est mort ». Après quelques mois de thérapie, il se suit une période d’accalmie pour Mme O., elle est moins angoissée, souhaite travailler maintenant que ses filles son scolarisées. Elle voudrait travailler avec les enfants. Elle demande donc un agrément, elle doit passer plusieurs entretiens, la femme qui la reçoit, dit-elle, l’interroge sur le voile qu’elle porte, « retirez-moi ce putain de voile » entend-elle dire à cette femme. Un refus est donné à son projet, elle n’a pas l’agrément, parce que selon le rapport « le projet n’est pas abouti ». Elle se dit victime de discrimination et décide d’appeler la direction qui s’occupe de ces agréments, on lui fait comprendre que c’est plutôt dans la manière de dire les choses que le refus de l’agrément s’est joué. Mme O trouve cela hypocrite, elle ne veut pas céder à l’autre, même dans la parole, elle doit dire toujours la vérité sans voile.

 

Mme O explique qu’avoir pris le voile est un choix, « c’est un cheminement de 15 ans de réflexion » dit-elle. Sa famille, son mari et ses amis « ont été étonnés de sa décision », c’est la soumission d’une insoumise, elle est soumise à Dieu. Une personne libre comme elle, ne pouvait pas se voiler, disent les uns, les autres lui disent que c’est un gâchis de cacher sa belle chevelure rousse. Elle avoue qu’elle voulait se cacher du regard, elle ne supportait plus de trouver dans le regard des hommes qu’elle croisait dans la rue, le désir, le même regard de désir qu’elle a vu chez son père.

 

Mme O explique que c’est en sortant de sa douche lorsqu’elle était enfant qu’elle a surpris son père en train de la regarder. C’est 30 ans après qu’elle a retrouvé ce moment oublié. Elle se souvient que lors de sa première crise d’angoisse en 2012, tout allait bien, elle s’était dit : « c’est ma revanche, voilà je suis là. La petite dernière va à l’école, il n’y a plus de cailloux dans mon chemin, alors dit-elle, je m’effondre, l’angoisse arrive ».