Association de Psychologues Cliniciens d'Orientation Freudienne

Nommer l’objet de la souffrance familiale

Dario MORALES

Dans le cadre vaste des rencontres médiatisées, les visites familiales sont statuées par le Juges des enfants et structurées par la présence du binôme psychologue – éducateur, dispositif dans lequel chacun occupe une place suivant ses compétences, ayant pour fonction de cerner ce qui fait rupture dans la relation parents – enfant. Ce mode d’intervention en binôme permet au couple d’intervenants d’échanger après chaque séance à propos de leurs observations ; ceci les amène à porter une attention particulière aux représentations et affects que ces rencontres produisent chez les parents et enfants dans leur inscription subjective et familiale. 

L’éducateur prend en charge les règles et l’accompagnement éducatif qui bordent les interactions durant les visites ; le psychologue fait en sorte que l’intimité physique et psychique tout en étant préservée puisse donner lieu à l’avènement d’une parole dont les représentations et affects puissent être facilités, dans un espace de sécurité. Les entretiens ont pour but de nommer et d’interroger cet objet – jamais clairement définit qui produit de la souffrance dans des contextes de défaillance – manque d’autorité – négligence ou maltraitance – carence – abandon, etc. Le nom de cet objet dont le relationnel est la clé, est toujours singulier – chaque histoire familiale le décline à sa manière et chaque membre, père, mère, enfant le porte de façon intime, refoulée ou déniée. Etant donné, que ces visites ont lieu dans un contexte et lieu contraignants, la visite suscite souvent chez les parents et enfants des mouvements affectifs contrastés : angoisse, colère, suspicion voire des passages à l’acte qui ne peuvent épargner les professionnels. 

Je rappelle en quelques mots, qu’à travers les rencontres médiatisées, les visites familiales ont pour objectif de permettre aux parents visiteurs de renouer le contact avec son enfant afin de reprendre, continuer ou remobiliser son rôle à travers l’autorité parentale. La finalité est d’ouvrir sur des droits de visite et d’hébergement classique. Le but sous-jacent est de travailler le lien entre parent – enfant afin que la communication soit plus fluide entre eux dans l’intérêt de l’enfant. Je vais m’intéresser au binôme éducateur-psychologue.

L’action de l’éducateur est accordée aux objectifs fixés dans le contrat, tel qu’il est proposé par l’objet des conclusions de l’ordonnance. Généralement, dans un premier temps l’enjeu est la reprise du lien pour ensuite travailler sur les agirs et les non-dits de l’objet problématique (l’événement, objet de l’ordonnance) afin que chacun puisse verbaliser. L’aspect éducatif intervient à ce moment-là à situer dans la dynamique de dire, pouvoir dire. Durant les visites médiatisées, l’éducateur a pour tâche de soutenir le mode relationnel de l’enfant avec le parent et vice-versa le parent avec l’enfant tout en tentant de protéger cette posture qui n’est pas toujours simple, car elle peut s’accompagner des sursauts émotionnels, agressivité, paroles peu aimables ou une gestuelle qui parfois peu choquer et qui peut aller jusqu’à invalider la poursuite du dialogue, le ton pouvant monter et la violence se manifester ; le rôle de l’éducateur consiste donc à consolider la relation, mais également à évaluer à chaud l’évolution du lien. L’éducateur réalise un bilan de situation intermédiaire des visites et un bilan final ou lorsque le référent ASE le demande en amont d’une audience. Sur le bilan est indiqué une préconisation sur le maintien ou non des rencontres en lieu médiatisé en fonction de l’évolution de la situation. 

Pour ce qui est du psychologue, son souci n’est pas forcément le lien – terme sur lequel s’exerce l’action de l’éducatif. Bien sûr le psychologue ne néglige pas le lien mais son affaire est plutôt la faille dans le lien – la jouissance du refus – la répétition symptomatique – la solution de la violence dont les réponses familiales et judiciaires vont de la séparation au placement. Bref, ce qui ne se dit pas ou qui se dit à moitié et qui s’interprète dans les gestes ou passages à l’acte ! L’offre du psychologue est de soutenir la parole des parents et de l’enfant afin de créer de ce désordre un nouvel ordre, un mouvement, un pas de côté qui vienne mettre sur le tapis des choses que l’on veut ignorer ou pas vouloir savoir – l’insupportable qui git dans cet ensemble devenu bancal de la parentalité. Pour beaucoup de cas, le travail consiste à déconstruire un mode de relation devenu inadéquat voire dangereux qui a abouti à la création du symptôme chez l’enfant que l’on repère au foyer, dans la famille d’accueil, dans sa scolarité et dans le comportement vis-à-vis des autres. Tout cela englobe ce que l’on pourrait appeler la pathologie des traumatismes relationnels souvent repérées précocement.

Une fois terminée la séance, le binôme psychologue – éducateur / psychologue –psychologue s’interroge et procède à l’évaluation qui se fonde sur les butées des discours entendus et des comportements observés. Au cours de ce temps le binôme s’exprime sur les effets que ces rencontres médiatisées provoquent : c’est ici que le terme lien trouve sa place – maintien, retissage ou son contraire, l’impossibilité. 

Il y a donc trois temps à distinguer : le temps de voir, ou le binôme joue le rôle précédemment évoqué dans un cadre bienveillant – bientraitant – ensuite le temps de comprendre ou le binôme analyse son action ; enfin, le temps de conclure ou le binôme pose par écrit l’acte d’évaluation – il faut savoir que les parents séparés de leurs enfants conservent un droit de visite dit médiatisé. Ils rencontrent leurs enfants à l’extérieur de leur domicile, en présence du binôme psychologue – éducateur. L’écrit viendra étayer, reconnaître ou non les compétences parentales qui permettront au juge d’apprécier la capacité ou inaptitude des parents à poursuivre une parentalité au domicile. Pour certains cas, la solution sera par exemple une parentalité dans des lieux séparés… 

En somme les visites médiatisées n’ont pas pour objectif de rétablir ou de restaurer des liens pour lesquels le « re » indiquerait qu’il y aurait eu précédemment une relation adéquate à un moment – si cela avait été le cas, on n’en serait jamais arrivé à un tel dispositif que sont les visites médiatisées. Les visites ont pour objectif de donner à penser l’enfance, le fait d’être parent, de soutenir et de construire progressivement un espace de différenciation. Il ne s’agit donc pas de restaurer ou de rétablir mais de déconstruire des modes de relation figée dans l’inadéquation ou la pathologie. Les parents et les enfants ne viennent pas pour initier une thérapie – celle-ci peut arriver de surcroit, comme nous allons l’explorer ce soir à partir des vignettes cliniques – mais pour rendre compte qu’ils peuvent acquérir dans l’expérience de l’isolement confrontée à la séparation et au manque, la capacité d’apprendre et de vivre en groupe, de contrôler leurs pulsions, d’éviter les situations difficiles et embarrassantes. 

Au fond, les visites sont thérapeutiques sans l’être, elles permettent aux uns et aux autres de se confronter dans ce cadre réel, aux représentations que chacun se fait d’être enfant et/ou parent. L’enfant nous fait part de ses représentations, de son développement affectif, intellectuel, imaginaire, de ses impasses répétées, de son impossible identification à un autre adulte désirant ou aimant. Les parents nous font part par leurs remarques ou impuissance qu’ils n’ont pas les clés pour entrer dans l’intime de l’enfant. Du fait de leur propre enfance, ces parents n’ont jamais eu les clés pour comprendre le fonctionnement psychique de leur enfant. Ils n’ont aucun enfant en eux pour se référer et pour pouvoir s’identifier à leur propre enfant. Dès lors les parents et les enfants viennent nous révéler qu’ils sont incapables de voir en l’autre quelqu’un de différencié en eux. Grâce au travail du binôme, le parent et l’enfant – à travers leurs gestes et paroles – vont créer des tensions qui contribuent à révéler et à déstabiliser le fonctionnement « normal » qui est en réalité défaillant.

Le temps cadré du dispositif, la répétition des visites, la ritualisation et la durée de visites amènent progressivement une sécurité et stabilité émotionnelle pour chacune des parties. A eux, à nous, de soutenir comment de la rupture et de la séparation peuvent s’inventer des nouvelles formes relationnelles, pas forcément en vivant ensemble, mais en ayant une pensée et/ou une autonomie raisonnable et responsable. Ainsi chaque sujet parent et chaque sujet enfant sont responsables de leur existence.