Association de Psychologues Cliniciens d'Orientation Freudienne

plus ensemble – mais séparés

PLUS ENSEMBLE – MAIS SEPARES

 

Nathalie GLÜCK

 

 

 

 

 

 

Le narcissisme de l’enfant tire une grande partie de sa force de l’amour que lui portent ses parents, mais aussi de l’amour qu’ils se portent l’un à l’autre et dont il est le fruit. De nombreux enfants aiment à s’entendre raconter l’histoire de la rencontre de leurs parents, de leur désir d’enfant, de l’aventure de sa naissance. Cela peut être aussi, le cas échéant, celle de son adoption. Dans certaines configurations pathologiques, les enfants vont transformer cette histoire en se créant un « roman familial » enjolivé, voire carrément fantastique ou grandiose. Ils remplissent ainsi un vide fantasmatique, l’espace laissé par l’absence, la rétention ou la dissimulation d’informations de la part de leurs parents, et pallient à leur sentiment de faiblesse ou de manque d’affection.

 

La mésentente parentale et le désamour, qui aboutissent au divorce, représentent une fracture de cette entité fantasmatique, et constitue un traumatisme pour l’enfant. Son intensité et sa durée sont variables. Il est d’autant plus marquant et durable quand le conflit parental prend des formes violentes, comme en contrepoint de l’intensité de la passion amoureuse initiale. La déception, le sentiment de trahison, la souffrance de l’abandon, la jalousie, l’envie, la haine, le désir de vengeance, peuvent entraîner de la part d’adultes théoriquement « raisonnables » divers comportements tels que violences verbales, physiques, dénigrement de l’autre, combat juridique autour des biens matériels, et, in fine, de la garde des enfants. L’enfant va en être le témoin plus ou moins direct, quand il n’est pas sommé de prendre parti.  Il se crée ainsi un sentiment d’insécurité, de dévalorisation, de mésestime de soi qui va venir attaquer son narcissisme. Ce sentiment cohabite parfois avec un vécu de toute-puissance lorsqu’il est convoqué comme allié ou arbitre dans le conflit.  Cette situation lui cause des angoisses, peut faire le lit d’un mouvement dépressif, ou de troubles psychiques plus sévères, notamment lorsque des particularités individuelles fragilisent déjà son développement. Le risque majeur reste celui d’instrumentalisation, de dé-subjectivation de l’enfant, victime collatérale du drame qui se joue entre les parents, qui emporte parfois raison et sentiments, les faisant oublier les besoins physiques et psychiques de leur enfant, dénié dans son altérité.

 

Le retentissement d’une séparation parentale est donc extrêmement variable, en fonction de l’âge de l’enfant, de sa personnalité, sa place dans la fratrie, ses difficultés antérieures, mais aussi en fonction de la manière dont les parents gèrent leurs dissensions conjugales et en préservent ou au contraire y impliquent leurs enfants.

 

Nous allons aborder tour à tour la problématique en examinant d’abord la position des parents, puis le vécu de l’enfant et nous dégagerons quelques typologies en illustrant ces réflexions de vignettes cliniques. Puis nous introduirons la discussion sur l’aide et les soins que l’on doit apporter à l’enfant dans ces situations.

 

Position des parents

 

Les « divorcés modèles » :

 

Certains auront la sagesse de ne pas exposer leurs enfants aux aspects les plus douloureux de leurs conflits et de les rassurer sur leur droit à garder ses liens affectifs avec chacun des deux parents quoi qu’il arrive. Ils sauront trouver les mots qui reconnaissent et légitiment le chagrin éprouvé par leur enfant, tout en dédramatisant les conséquences du divorce pour les différents membres de la famille. Ils doivent parler clairement de leur désunion, en la circonscrivant au couple parental actuel. La relation amoureuse qui a présidé à la venue au monde de l’enfant est ainsi préservée, parfois au prix de la vérité sur certaines failles initiales dont l’enfant ne prendra conscience que plus tard. Lorsqu’à l’adolescence il éprouvera à son tour ses premiers sentiments amoureux, ou lorsqu’il sera lui-même amené à s’engager dans une relation de couple, il se pourra qu’il revisite ses certitudes. Ses souvenirs, retravaillés par l’expérience et la maturité acquises, et parfois par l’accompagnement d’un psychothérapeute, lui livreront une version plus nuancée de leur histoire. La douleur liée à la désillusion sera alors souvent plus supportable, atténuée par le recul du temps, et tempérée par le chemin parcouru et le sentiment d’accomplissement personnel acquis lorsque l’enfant aura pu traverser positivement les années suivant le divorce.

 

D’autres parents peinent à contenir leurs émotions, et mêlent malgré eux, voire plus ou moins délibérément les enfants à leurs querelles.

 

L’« abandonné(e) déprimé(e) » :

 

Le vécu d’abandon d’un des parents, de solitude, de dévalorisation personnelle, parfois allié à la crainte que l’autre parent ne cherche à capter l’enfant et ne lui soit ainsi préféré, peut faire le lit de positionnements parentaux inadéquats plus ou moins conscients. Un parent qui se sent « victime » dans la situation de divorce peut par exemple prendre l’enfant pour confident, lui donnant à voir sa détresse. Il verbalise en boucle tristesse et regrets, véhiculant un vécu de perte irréparable qui risque d’entraîner l’enfant dans sa propre dépression.

 

L’« amer(e) » :

 

Il peut aussi se répandre en « explications » tendancieuses et reproches amers, souvent inadaptées au niveau de compréhension et de maturité de l’enfant. Il va parfois à chercher à obtenir des informations sur l’autre parent, sa nouvelle vie, son nouveau partenaire, qui vont venir alimenter son aigreur. Il risque ainsi d’attaquer sa propre fonction parentale en plaçant son enfant en position d’espion, d’alter ego ; voire de partenaire fantasmatique, lorsque l’enfant est engagé dans la problématique œdipienne, ce qui met à mal la différence de génération (Benjamin, 9 ans, est interpellé par sa mère devant moi : « tu sais pourquoi je ne peux pas vous offrir les vacances au ski ? », B répond « parce que papa garde tout son argent pour son mariage avec sa copine », et il ajoute « et en plus, elle est moche »).

 

Le rancunier(e), ou les « petites vengeances » :

 

D’autres, animés par leur ressentiment, et un besoin personnel de restauration narcissique cherchent clairement à attirer l’enfant dans « son camp » et en faire un allié contre l’autre parent. Dans ces dérives de leur rôle parental certains iront jusqu’à user de séduction par des gratifications matérielles (confort de la maison, cadeaux somptueux), ou morales, par exemple un laxisme éducatif faisant endosser involontairement à l’autre parent le « mauvais rôle ».

 

La « guerre des certificats » :

 

D’autres encore cristallisent leurs désaccords en le projetant sur l’autre, par l’assertion que ce parent ne fournit pas les soins ou la protection adéquate, qu’il néglige, voire maltraite volontairement ou non l’enfant. Certains vont ainsi accumuler des témoignages, certificats médicaux, attestations diverses pour étayer leur position et influer sur les décisions juridiques. Ils instrumentalisent les personnes (amis, voisins, médecins, rééducateurs, psychothérapeutes, etc.) intervenant auprès de l’enfant, et le privent ainsi des bénéfices qu’ils pourraient tirer de ces tiers (Edwige, 9 ans, en garde alternée, a ainsi deux médecins traitants dont chacun des deux parents compare les observations et les prescriptions. Au retour de chaque vacance chez l’autre parent, elle est amenée en consultation et pesée, il s’en suit des reproches sur le régime alimentaire inapproprié dont elle vient de faire les frais). Il est bien sûr des cas où ces plaintes sont fondées, et la démarche du parent relève à bon droit de son devoir de protection envers son enfant. Il est souvent difficile de faire la part, en l’absence de preuves tangibles de maltraitances réelles et actuelles, des craintes ou convictions issues de la projection sur l’enfant du vécu de la maltraitance conjugale ressentie (Madeleine, 4 ans, est amenée en consultation par ses deux parents dans un contexte de divorce houleux, où depuis plusieurs mois la mère refuse au père d’exercer son droit de visite. Elle craint des maltraitances de la part du père car Madeleine se montre souvent opposante au moment des repas, très difficile sur la nourriture. La mère a elle-même souffert de boulimie, ce qui a pris une part importante dans les violents conflits du couple. Peu avant la séparation la mère avait déposé une plainte pour viol contre son époux, qui a été classée sans suite, ce dont elle éprouve un vécu d’injustice).

 

La manipulation perverse ou « la fin justifie les moyens » :

 

Plus graves sont les cas de manipulations conscientes et d’insinuations délibérément mensongères. Certains peuvent aller jusqu’à alléguer ainsi de graves maltraitances (abus sexuels par exemple), pour lesquels les preuves matérielles peuvent faire défaut, de manière délibérée et perverse (revues pornographiques glissées dans le cartable p            ar l’autre parent, ex donné par Claudia Sogno).

 

L’« aliénation parentale » :

 

Dans des cas extrêmes, témoignant d’une grave pathologie de la personnalité d’un des parents (plutôt du registre de la perversion narcissique), l’enfant peut être rapté, moralement, voire physiquement. L’éventuelle « complicité » de l’enfant a été décrite dans le « syndrome d’aliénation parentale » (Etienne, 13 ans, au retour d’un séjour d’été chez son père aux USA, change radicalement d’attitude envers sa mère et son frère aîné âgé de 18 ans, qui pour la première fois n’est pas venu avec lui, refusant de conserver des relations avec son père. Etienne se montre grossier, offensant, critiquant le pays de sa mère dans des termes dans lesquels elle reconnait le discours de son ex-mari. Il passe tous ses moments extra-scolaires enfermé dans sa chambre, un casque sur les oreilles, ou à l’écoute du téléphone que son père lui a offert. Il demande à aller vivre chez lui, au moment où le père lui-même en fait la demande par l’intermédiaire de son avocat).

 

Le « miroir déformant » :

 

Parfois, l’enfant peut aussi faire l’objet d’un vécu projectif d’un parent, secondaire par exemple à des violences subies dans sa propre enfance, qui se réactivent à l’occasion de la séparation en une perception déformée, voire délirante de la relation de l’autre parent avec l’enfant (Théo a été élevé par sa mère dans une idéologie guerrière, elle-même ayant vécu au travers de l’assassinat de son propre père et du délaissement de sa mère le drame de la décolonisation. Elevée en institution, elle a souffert de carences affectives, et va cristalliser sa paranoïa sur la figure trop pacifique de son mari élevé dans la classe moyenne française, qu’elle perçoit après quelques années de mariage comme un persécuteur qu’elle va persécuter à son tour. Leur fils fera les frais de cette désunion en développant à l’adolescence une appétence pour les paradis artificiels, puis une réaction délirante à l’occasion de sa première déception amoureuse).

 

Le « syndrome de Médée » :

 

Dans d’autres cas, où chez l’un des parents le registre de la paranoïa se conjugue avec celui de la mélancolie, l’enfant est pris dans des mouvements hétéro et auto agressifs d’une extrême violence. Certains faits divers, heureusement rares, font état d’enfants utilisés comme un instrument de vengeance contre le conjoint coupable de trahison. Il peut être ainsi tué par un des parents, parfois au cours d’un geste suicidaire collectif, rappelant la tragédie mythologique de Médée. L’enfant n’étant pas ici considéré comme devant ou pouvant survivre à ce parent, le qualificatif « altruiste » de ce type de suicide pose question.

 

Dans tous ces cas extrêmes, le lien filial est perverti, et l’altérité de l’enfant déniée. Il n’est pas considéré comme une personne à part entière qui a le droit d’exister et d’être heureux, et qui a besoin pour cela de ses deux parents. Il est pris par l’adulte comme un objet, ou une partie de soi dont il peut disposer comme il veut.

 

Vécu de l’enfant

 

Le divorce des parents constitue toujours un traumatisme, une souffrance pour l’enfant, quelles que soient les précautions que les parents prennent pour l’épargner. Il est atteint dans sa confiance en lui, et dans celle qu’il a dans la stabilité des adultes. Une certaine désillusion en résulte, entraînant tristesse, anxiété, désinvestissement, notamment scolaire, attitudes régressives aussi bien que réactions hyper-matures.  Dans de bonnes conditions, les réactions pathologiques sont généralement limitées en intensité et en durée, d’autant que l’enfant se rend compte qu’il partage cette condition avec un grand nombre de ses camarades. Il gardera cependant très longtemps plus ou moins enfoui un espoir secret que le couple de ses parents se reforme, alors même qu’il prendra peu à peu conscience des divergences profondes de leurs personnalités respectives et de leur « incompatibilité d’humeur ».

 

Les positions inadéquates des parents ont des répercussions significatives sur le vécu de l’enfant, et peuvent entraîner différents types de réactions de sa part.

 

L’enfant « clivé » :

 

En premier lieu l’attitude parentale visant, volontairement ou non, à ne pas laisser l’enfant en dehors du conflit et l’incitant à « prendre parti » a un effet perturbant pour l’enfant qui cherche naturellement à maintenir des relations avec ses deux parents et refuse de « choisir ». Il va se sentir tiraillé, en conflit de loyauté, s’en voulant lorsqu’il laisse échapper des informations sur ce qui se passe dans l’autre foyer car elles peuvent être reprises et utilisées par un parent contre l’autre, et il peut se voir reprocher sa spontanéité. Il peut se retrouver induit à dissimuler, voire mentir, ou tout au moins taire ses sentiments et restreindre son expression à chaque fois qu’il aborde un sujet sensible. L’énergie psychique dépensée dans l’organisation de ce clivage en deux mondes étanches entre lesquels il doit naviguer est coûteuse, souvent au détriment d’autres engagements. Il peut reproduire ce fonctionnement dans d’autres relations, amicales par exemple, ou plus tard sentimentales, professionnelles. Il va développer une prudence à se confier, une méfiance y compris envers les plus intimes, ou se culpabiliser d’éprouver des sentiments d’attachement pour différentes personnes. Il peut aussi intégrer inconsciemment et plus profondément ce clivage, autour duquel sa personnalité va se développer en faux-self.

 

La culpabilité :

 

Un autre impact très classique du divorce est le développement d’un sentiment de culpabilité de l’enfant vis-à-vis de la séparation elle-même, dont il se pense directement responsable. Il est vrai qu’il a pu être témoin de disputes parentales tournant autour de positions éducatives divergentes, voire n’être pas innocent de leurs dissensions, du fait de la propension naturelle des enfants à jouer des positions parentales différentes à son profit. Un travail psychologique sera souvent nécessaire pour sortir l’enfant de cette conviction erronée, car elle est confortée par le besoin de l’enfant de maîtriser la situation qui le déstabilise en s’en imaginant l’auteur. C’est un mécanisme de défense très fréquent, actif dans tout deuil.

 

Le « petit mari » ou la « petite épouse » :

 

Cette culpabilité est aussi dérivée de manière inconsciente de la problématique œdipienne normale qui fait tendre tout enfant à désirer la disparition du parent de son sexe pour s’approprier le parent de l’autre sexe. L’enfant sera renforcé dans cette culpabilité et peut même se retrouver piégé dans la relation de manière inadéquate avec un parent de type « abandonné-déprimé » dont il va épouser la cause et parfois venir occuper le lit.

 

Les « régressifs » :

 

Nombre d’enfants, pour qui la séparation est une perte insupportable, vont tenter de la dénier, d’arrêter le temps ou d’essayer de le remonter, en se raccrochant aux plaisirs de la petite enfance. Certains grignotent et prennent du poids, d’autres se remettent à sucer leur pouce ou à s’oublier dans leur lit, d’autres encore vont désinvestir le développement d’une pensée rationnelle (ce qui ne manque pas de conséquences sur le plan scolaire) et se replier dans la toute-puissance d’un imaginaire enfantin qui leur permet de conserver des îlots de croyances parfois surprenantes (André, 8 ans, hospitalisé pour des troubles du comportement à type de fugues, mises en danger, et crises de colères clastiques, suite à la séparation de ses parents et la recomposition familiale sur un mode peu conventionnel, découvre au cours de son séjour que le père Noël n’existe pas. Au cours d’un entretien familial il éclate en reproches amers envers son père : « papa, tu m’as menti »).

 

Les « hyper-matures » :

 

L’enfant manque souvent d’explications pour comprendre la situation. Les parents l’estiment généralement trop jeune pour lui donner les raisons de leur mésentente, ils la considèrent comme une affaire privée entre eux deux, ou veulent épargner l’enfant, sans réaliser que l’absence d’explications va entraîner le développement d’hypothèses erronées, généralement autocentrées. Il s’agira bien entendu de donner les explications les plus proches de la vérité, sans toutefois lui donner des informations inappropriées compte-tenu de son âge. L’imagination de l’enfant est stimulée par son besoin naturel de compréhension et de maîtrise, mais de manière parfois excessive. Il peut s’accrocher à un imaginaire archaïque, avec prédominance de la pensée magique (Cf André) ou être retardé au moment de l’entrée dans la période de latence, en se fixant sur des problématiques œdipiennes  donnant l’impression d’une (pseudo) hyper-maturité lorsqu’on voit s’éveiller de manière prématurée des centres d’intérêt apparaissant habituellement à l’adolescence (Alexandre, 7 ans, a été choqué par des photos de différentes femmes, en diverses tenues, qu’il a aperçues en regardant à l’insu de son père dans le téléphone de celui-ci. Il était à la recherche de ce qu’il croyait être sa future belle-mère, alors qu’il ne semble pas que le père se soit véritablement remis en couple. La mère expliquera, hors de la présence de son fils, qu’elle a décidé la séparation en raison non pas des infidélités, mais principalement de dettes grandissantes dans un contexte de consommation de cocaïne).

 

La « facture du cocon » et la « perte du standing » :

 

La séparation parentale va entraîner aussi chez l’enfant une anxiété sous-tendue par les remaniements concrets qui vont impacter la vie de l’enfant : départ d’un des parents qu’il ne va plus voir aussi souvent, parfois plus du tout, déménagement parfois douloureux, vente de la maison familiale, perte des amis de voisinage, changement d’école, baisse de la qualité de vie, complication des semaines partagées entre les deux parents pour des enfants parfois mal repérés dans le temps et l’espace (nous n’aborderons pas ici la question très polémique actuellement des effets délétères de la garde alternée chez les nourrissons et très jeunes enfants, car elle mériterait une conférence à part entière), querelles financières autour des pensions alimentaires, dont l’enfant n’est pas toujours inconscient ni épargné… On évoque parfois une sorte de compensation du fait de la célébration des anniversaires, de Noël, et autres festivités dans les différents foyers, ou d’une plus grande liberté accordée de fait à l’enfant qui « navigue » d’un foyer à l’autre. Il s’agit là d’un piètre avantage, qui valorise le matériel au détriment de l’affectif, et place l’enfant en position d’adulte, effaçant la différence de génération. Le sentiment de toute-puissance ainsi encouragé est aussi excitant qu’angoissant, et peut contribuer à l’émergence de divers troubles (Rémi, 11 ans, se montre depuis plusieurs jours inhabituellement impatient de partir en week-end chez son père. Ce dernier lui a promis de lui acheter un jeu vidéo de guerre, interdit aux moins de 16 ans, afin qu’ils y jouent ensemble. Il revient du week-end dépité, racontant à sa mère qu’il n’a reçu qu’un simple jeu de société « pour les bébés ». La mère, qui depuis quelques mois entretient des relations plus apaisées avec son ex-mari, apprendra par un échange téléphonique qu’il a bien offert le jeu interdit à Rémi, mais a dû l’en priver car il se montrait trop excité. Rémi a réagi avec colère en lui jetant au visage « qu’est-ce qui me prouve que tu es vraiment mon père ? »).

 

Le « fol espoir » :

 

Il va conserver souvent très longtemps l’espoir que ses parents se réconcilient. Dans une lecture systémique de la pathologie, on remarque que certains de ses symptômes peuvent se trouver renforcés par la mobilisation des deux parents qui les amène à se retrouver ensemble autour de leur enfant. Ils sont généralement très surpris d’apprendre que leur enfant en déduit, contre toute évidence, la possible reconstitution de la cellule familiale. (Camille, 7 ans, hospitalisé pour des troubles du comportement importants, sera fort désappointé en fin de séjour d’apprendre qu’il ne partira pas en vacances avec ses deux parents comme les années précédentes, alors qu’ils étaient venus ensemble à tous les entretiens, lui donnant l’impression d’une réconciliation).

 

Les écueils de la « recomposition » familiale :

 

En revanche la reconstitution de nouveaux foyers chez l’un et/ou l’autre parent peut être une source de soulagement mais aussi de chagrin et de frustration. Par exemple pour un garçon resté seul avec une mère inconsolable et déprimée dont il devient de fait un peu le compagnon, l’arrivée d’un homme au côté de la mère, s’il sait se montrer chaleureux pour l’enfant, peut être pour lui une source de soulagement (de la culpabilité œdipienne) et de liberté retrouvée. Mais il peut aussi être perçu comme un intrus, et peut aller jusqu’à focaliser des sentiments de haine de la part de l’enfant surtout s’il se montre rigide, intempestif, maladroit. De même, la nouvelle compagne du père peut être bien acceptée, lorsqu’elle lui redonne confiance et joie de vivre, mais aussi être rejetée surtout si elle est perçue par l’enfant (par exemple au travers du regard de sa mère) comme celle qui a brisé le couple. Les enfants du nouveau conjoint peuvent devenir des amis mais peuvent aussi être des rivaux désagréables. Les demi-frères ou sœurs issus des nouvelles unions peuvent générer la crainte de perdre l’amour du parent qui l’aurait ainsi « remplacé ».

 

Position du professionnel (pédopsychiatre, psychologue)

 

Dans ces situations complexes, le professionnel du soin sollicité pour l’enfant doit :

  • Appréhender la problématique et le vécu de l’enfant au travers de ses symptômes et de ce qu’il donne à voir et à entendre, sans se laisser envahir et confusionner par les problématiques parentales
  • Rester thérapeute de l’enfant, en sanctuarisant sa place et ses droits.
  • Se forger une représentation de l’histoire du couple, de l’enfant, et du processus de séparation au travers des discours souvent contradictoires et autocentrés des parents, en prenant le recul nécessaire.
  • Accompagner les parents et la famille, mais au service de l’enfant.
  • Ne pas négliger la fratrie.
  • Refuser les demandes abusives de mise en position expertale et les réadresser à qui de droit.
  • Si danger, signaler pour protéger l’enfant.

 

  • Importance du dialogue
  • Importance de l’espace accordé à chacun
  • Importance de l’espace accordé à l’enfant
  • Accompagnement/Écoute
  • Thérapie familiale
  • Thérapie(s) individuelle(s)
  • Conciliation/Médiation
  • Voire Médiatisation des rencontres entre parent et enfant (fonctionne parfois comme une forme actuelle du « jugement de Salomon »)

 

 

Vignette : (Madeleine, 4 ans, déjà évoquée plus haut, sera reçue à plusieurs reprises avec ses deux parents. Après quelques séances très tendues, elle parvient (avec mon aide) à les convaincre d’initier une partie de mistigri. Au fil des parties, le jeu s’anime, passe et repasse de mains en main. Initialement séparés par les deux autres protagonistes, les parents vont l’un à côté de l’autre, forcés de tenter de se transmettre l’indésirable avec des sourires faussement enjoués. Quelques mois plus tard, Madeleine accepte de venir seule dans le bureau et construit deux petites fermes avec des jouets en bois, dont elle clôture soigneusement bâtiments et basse-cour avec des grilles. Elle va ensuite chercher ses parents dans la salle d’attente et leur montre son œuvre en expliquant qu’ils ont ainsi chacun leur maison, et ajoute « j’ai mis des barrières pour ne pas que vous vous bataillez ». Quelques mois encore, et chacun des parents entame une désescalade dans ses procédures, la mère débutant une thérapie personnelle axée non plus sur l’aide aux victimes, mais sur sa problématique alimentaire. Madeleine, quant à elle se montre de plus en plus enjouée et épanouie, jouant avec les poupons qu’elle habille, soigne et promène avec sollicitude dans le bureau).