Association de Psychologues Cliniciens d'Orientation Freudienne

Repenser l’espace du sujet dans son rapport au temps subjectif

 

Repenser l’espace du sujet dans son rapport au temps subjectif

Dario MORALES

Ce  soir il sera question de la relation que le salarié entretien avec son objet (l’activité) dans les espaces où il exerce son métier, les Open space étant le mode de management contemporain permettant d’optimiser les surfaces tout en répondant également aux contraintes économiques et aux enjeux de performance. Le passage des bureaux fermés à des Open space ont permis aux entreprises de réduire les surfaces de travail. Au risque d’un certain nombre d’inconvénients : angoisse, bruit, promiscuité, harcèlement. A force de vouloir améliorer la rentabilité, ne risque-t-on pas de créer des dysfonctionnements qui finiront par couter plus cher que les économies réalisées sur les mètres carrés ? Nos invités évoqueront ces drames des salariés exerçant dans des Open space et confrontés aux difficultés de concentration, de bruit, du regard  scrutateur du manager ou du groupe et qui induisent des comportements de conduites phobiques, d’intolérance, d’agressivité, de peur et qui donnent l’envie de s’approprier d’un petit espace à soi. Pour nous les cliniciens, il faut aller au-delà du phénomène et tenter de comprendre la vérité subjective ; que le  salarié prenne soin de soi et trouve la possibilité de s’impliquer dans ces lieux comme sujet du désir, comme sujet du temps. Gageure peut-être ? Je voudrais dans cette introduction rappeler simplement que c’est l’objet qui introduit le sujet (ici le salarié) dans son rapport au temps et à l’espace. L’objet est un adjectif qui signifie « jeté devant », objet du désir ; chez Lacan par exemple objet cause du désir. Cet objet qui séduit ou qui sidère est également cause du désir. Mais notons qu’au départ, le sujet est lui-même l’objet, « jeté devant » dans le monde avant que d’autres objets « partiels » ne se présentent à lui pour le constituer comme sujet, le regard, la voix  de l’Autre, vont traverser ce futur sujet. Ces objets jetés par l’Autre finissent par s’escamoter, car le sujet ne voudra pas tous les montrer, parfois il les garde honteusement pour sa jouissance, rappelez-vous ce que la vue est au voyeur ou au contraire ils sont sur représentés sur la scène de la vie, il en fera usage, rappelez-vous la fonction de la vue est à la pulsion scopique ; ils fonctionneront ultérieurement pour le sujet come objets cause du désir. De plus, l’objet, ou l’objet partiel sont ce qui « donne corps » au sujet, ensuite lorsque la satisfaction fait défaut, révèlent le manque. S’inscrit ainsi le rapport que le sujet entretien avec le temps, car il y a l’objet en tant qu’il a été ou il y aura. Mais aussi à l’espace en tant qu’intervalle de battement entre la présence ou absence de l’objet.

Pourquoi évoquer le rapport que le  sujet entretien avec l’objet, pourquoi soutenir que la subjectivité est temps, temps dans un espace ? Parce que le salarié des Open space est avant tout un sujet et il semble, ici,  tiraillé, coincé et surtout souffrant ;  il n’est pas une simple figure qui fréquente un espace mais il est traversé et déterminé par la surface temporelle de son psychisme mais qui est ici effractée  parce que le sujet est exposé à l’Autre, à un Autre qui évacue sa subjectivité de salarié. Au fond, ce que le management oublie est que ce qui est qualifié d’espace est pour le sujet intimement lié et rythmé par le temps, car c’est  le temps qui fait scansion et intervalle d’inscription  au-delà d’un passé et d’un présent et d’un futur. C’est donc dans cet espace que l’on appelle surface ou Open space que le salarié fait l’expérience temporelle de sa place, de sa parole, de son expérience afin qu’elle  soit reconnue comme  sienne. Mais alors pourquoi si le sujet est temps, pourquoi se soucier des surfaces ? Et bien parce l’espace est un lieu traversé par des signifiants, or ici dans les Open space, pour un certain nombre de salariés y compris pour ceux qui ne sont pas fragiles, l’espace de travail devient le lieu où se joue une conflictualité psychique. Tantôt c’est le manager qui en est la cause, ou le bruit ou la cohabitation avec les autres salariés, l’espace vient télescoper le corps qui véhicule les signifiants de l’Autre de l’entreprise où se  jouent des enjeux tels que la dépendance, l’autonomie, la reconnaissance, etc. Du coup, la proximité qui dans les dires d’une patiente ne semblait pas la  déranger, fait place chez une autre à la peur, à la phobie. L’espace a priori, lieu neutre change de nature et devient persécutif, la parole fait place à la rumeur et le groupe devient un ensemble dont le sujet ne veut plus s’identifier imaginairement. La présence de l’Autre est alors vécue comme intrusive et la parole du sujet tend à s’effacer. Du coup comme le rappelait Lacan la tâche la plus ardue proposée à un être humain –  ici pour le salarié – consiste à prendre la parole, la  sienne, de dire quelque chose, à son voisin, à son manager, bref la chose la plus difficile est de réintroduire ce qui est évacué, la dimension temporelle qui véhicule le signifiant, la part qui véhicule le fantasme, le rapport à l’objet, sa demande, son rapport au désir. L’espace du travail tend donc à évacuer les temps du sujet ; temps qui n’est pas à entendre comme simple déroulement d’événements mais comme ce qui produit dans la durée une différence, une scansion pour le sujet. La même patiente disait, avant « je prenais part aux discussions, au projet de mon métier, et puis tout est devenu progressivement répétitif ». La notion d’un temps à l’après coup ou de reprise avait soudainement disparu.

Bref, l’espace, le temps, l’occupation de la surface, le vécu du salarié sont intimement liés ; peut-être qu’au fond le salarié de l’Open space se  déplace peu ou tourne en rond figé et fixé dans sa place en apparence si ouverte. Et si j’ai évoqué le temps c’est pour dire, que les performances de l’espace ne peuvent pas ignorer ces deux aspects du temps que sont la durée et la scansion présentes dans la psyché du salarié de l’Open space.