Association de Psychologues Cliniciens d'Orientation Freudienne

Soins pénalement ordonnés en CMP – 42eme soirée – La pratique en CMP

Pauline LAROCHE

Monsieur Denis se présente au CMP pour demander à être suivi. Ce Monsieur s’est fait intercepter par des agents de la RATP avant d’être remis aux services de police car il se masturbait sur un quai de métro. Une obligation de soins a été intégrée à sa condamnation judiciaire pour exhibition sexuelle. L’obligation de soin est une mesure légale qui consiste « à se soumettre à des mesures d’examen médical, de traitement ou de soins même sous le régime de l’hospitalisation ». Cette mesure peut être intégrée à la peine prononcée lors du jugement, ce qui est le cas pour M. Denis. De ce fait, il doit pouvoir fournir des attestations de soins auprès de l’interlocuteur judiciaire qui va le suivre pendant la durée de cette mesure. C’est pour cela qu’il est orienté vers la consultation spécialisée dans la prise en charge des auteurs de violence sexuelle par l’infirmier d’accueil.

Notre consultation spécialisée est une unité de consultation ambulatoire du GPS Perray Vaucluse, qui partage ses locaux avec le CMP adulte du 17ème arrondissement de Paris.

Ce partage de locaux permet d’inscrire les agresseurs dans un lieu de soin soutenant l’identité de patient dans le prolongement de la judiciarisation de leur comportement transgressif. L’idée est également d’éviter leur stigmatisation en ne les recevant pas dans un lieu à part et réservé. C’est une consultation non sectorisée. L’équipe de cette consultation change au fil du temps. Elle est actuellement composée d’un praticien hospitalier, de deux psychologues, d’un psychomotricien et de deux infirmiers. Tous à temps partiels entre la psychiatrie générale et la consultation spécialisée. Notre première tâche va résider dans la prise en compte de la problématique de la demande qui repose sur une obligation de soin, qui plus est marquée du sceau de la condamnation. Le début du travail psychothérapeutique ne va donc pas être de proposer d’emblée un cadre soutenant une possibilité d’élaboration psychique à un individu se présentant comme patient, cadre majoritairement partagé par les collègues, mais d’amener un infracteur à se reconnaitre comme patient. L’objectif est donc que cette personne puisse reconnaitre l’acte qui l’amène, non seulement comme lui appartenant et comme un acte interdit, mais encore comme un acte pathologique, trace dans la réalité d’un fonctionnement psychique défaillant. Parler ici de «souffrance psychique » serait bien entendu un raccourci témoignant d’une méconnaissance de notre travail et d’une illusion de psychothérapeute ; d’une non prise en compte des condamnés pour lesquels le passage à l’acte vient justement prendre la place d’une souffrance psychique, le plus souvent déniée. D’une manière générale, la population reçue relève « d’une clinique extrêmement polymorphe qui déborde le plus souvent la nosographie classique ». Ces sujets présentent des organisations limites, « en fragments » avec à des degrés divers, un «sentiment défaillant d’auto existence ».

La demande de soin est donc au sein de notre consultation non pas un pré requis mais l’objectif final qui, s’il est atteint, aboutira à un travail psychothérapeutique plus traditionnel.

Monsieur Denis va bénéficier, comme chaque personne qui entre dans la Consultation Spécialisée, d’une évaluation tri partite : psychiatrique, psychodynamique et psychomotrice. Ce dispositif à plusieurs fonctions :

– Il sert l’évaluation du fonctionnement psychique de l’agresseur

– C’est également un temps intermédiaire où la question de l’intégration du cadre se travaille (un espace de transition entre le domaine judiciaire et celui du soin, comme un pont entre deux rives)

– un temps de 3 à 6 mois qui est pensé par l’équipe comme une contribution à la mise en place des prémices d’une alliance thérapeutique quand cela est possible.

La fin de la phase d’évaluation se termine par une synthèse pluridisciplinaire qui ouvre sur le choix du traitement avec une mise en place des thérapeutiques en accord avec les besoins de la personne telles que nous les avons perçus. Il y a cependant un invariant : le médecin psychiatre comme praticien traitant est le trait d’union avec les interlocuteurs judiciaires et suit à un rythme réguliers tous les patients de la consultation. Il est le garant de la continuité des soins et de l’articulation avec les équipes judiciaires et de secteur. C’est d’ailleurs le Service Pénitentiaire et d’Insertion et de probation de Paris qui a donné notre adresse à M. Denis. Lorsqu’il intègre le dispositif de la Consultation il commence donc par la période d’évaluation. D’emblée il est compliqué pour lui de s’inscrire dans le cadre et s’il semble trouver des bénéfices à l’évaluation psychomotrice par un premier effet d’apaisement, il ne se rendra qu’à une seule reprise chez la psychologue et n’y reviendra pas. Sa synthèse a tout de même lieu et se conclue par une indication de prise en charge psychomotrice pour son impulsivité, et un encadrement institutionnel à valeur symbolique parentale protectrice et par-excitante soutenu par des entretiens médicaux espacés et réguliers, un suivi infirmier et une proposition de travail psychothérapeutique qui me sera confié. Mr Denis a été condamné à un an d’obligation de soin. C’est donc le temps qui nous est imparti pour essayer de l’ « accrocher ».

Agé d’une trentaine d’année, il se présente comme un homme « renfrogné » et peu loquace. Second d’une fratrie de trois enfants, il vient d’un milieu modeste qu’il décrit comme frustre. Si sa mère est décédée dix ans auparavant, son père, présentant une maladie d’Alzheimer et placé en maison de retraite, venait de décéder peu de temps avant son passage à l’acte. Sa sœur est animatrice en maison de retraite, son frère, atteint du syndrome de Gilles de la Tourette, bénéficie d’une prise en charge COTOREP. Au départ, M. Denis présente une réelle difficulté à pouvoir honorer ses rendez-vous, son unique objectif étant l’obtention des attestations de soins qu’il doit produire à la justice. L’absence de demande personnelle associée à l’impératif judiciaire produit cette sorte de paradoxe chez ce condamné. Il ne se présente aux rendez vous qu’épisodiquement et vient à l’impromptu demander des attestations qui ne sont délivrées qu’à la fin des entretiens, il s’énerve, vocifère dans la salle d’attente, se fait voir, puis mécontent disparaît. Cependant, il reprend toujours contact car il craint d’être incarcéré pour non-respect de son obligation. Nous décidons en équipe de lier la délivrance des attestations exclusivement aux entretiens avec la psychiatre, ce qui nous le supposons, pourra permettre de « protéger » le cadre des entretiens psychothérapeutiques des contingences de la réalité, et de soutenir par la même occasion le déploiement du travail intrapsychique dans l’ici et maintenant de ce cadre. Il s’agit alors de l’amener progressivement à venir « se poser » en entretien. Nous étions alors en réflexion quant à la délivrance de ces attestations et il nous est apparu intéressant de nous saisir de cette situation pour changer notre fonctionnement. Ainsi, en différenciant clairement ces deux temps de soin, nous pouvons tenter d’intégrer ses allers et retours tout en le rassurant et lui offrant l’opportunité d’apporter des éléments plus personnels. L’entrave du cadre concernant le traitement psychique du fait de l’obligation de soin est donc en partie contenue. En réponse à ce patient qui évacue par l’acte transgressif une excitation qu’il ne peut contenir psychiquement, nous allons adapter notre fonctionnement dans la réalité par une modification du cadre. La proposition de l’équipe est donc de permettre la constitution d’un lieu groupal, tiercéisé par le respect de la loi. Un espace où le corps comme siège du passage à l’acte est pris en compte mais aussi le registre psychique et celui de la réalité, ceci dans la continuité afin de soutenir un sentiment d’auto existence du patient pour qu’il puisse venir déposer ce qu’il est, autrement que par l’acte. Tenter de passer de l’acte au verbe.

Ce passage est difficile pour M. Denis car il ne sait pas se raconter. Au niveau psychique son histoire n’est manifestement pas inscrite sur un mode narratif. Il livre des bribes de son histoire, comme des morceaux figés, non reliés entre eux. M. Denis ne semble pouvoir rapporter que des moments marqués négativement. Il donne une image de sa mère très dégradée : obèse, boulimique en cachette, une femme qualifiée de bête. Plus tard, il ajoutera à ce personnage « elle était morveuse, la bouche tordue, sans expression », elle se serait je cite « étouffée avec un bout de viande ». Le père, de son coté, n’est pas décrit en tant que tel : c’est un ouvrier en imprimerie, souvent absent du domicile. Progressivement le fonctionnement familial apparaît emprunt de violences physiques. Le couple parental est violemment en conflit, la mère, humiliante envers le père est brutalisée par celui-ci ; Monsieur Denis est également maltraité physiquement par son père ; sa sœur est quant à elle épargnée et le petit frère est, dit-il, choyé. Les grands-mères maternelles et paternelles sont très présentes dans la relation du couple, il les décrit comme des harpies manipulant ses parents pour les entraîner à se déchirer toujours plus. Nous comprenons ici que le milieu traumatique s’inscrit dans une répétition transgénérationnelle. Seule éclaircie : son don pour le dessin qui amène son père à lui rapporter des rames de papier blanc pour qu’il puisse les utiliser. « J’étais un génie » nous dit-il à ce propos, dans un mouvement mégalomaniaque visant à « colmater » des défaillances narcissiques. Quand il commence à construire son histoire c’est à travers des événements judiciarisés comme des points de repères dans une temporalité qui en manque sur le plan interne. Il met en avant plusieurs événements où les représentants de la loi sont intervenus dans son parcours : la première fois remonte à ses 11 ans. Il rentre dans une maison par effraction afin de tenter de voler des jouets. Une des voisines l’a reconnu et le fait avouer. Les gendarmes seraient venus à la sortie du collège le cueillir après un dépôt de plainte.

C’est une rupture dans sa vie et sur le plan identitaire pour celui qui jusque-là était un petit garçon timide à l’excès, renfermé et triste : il se sentait alors « sans consistance ».Cette interpellation va prendre pour lui une valeur sans précédent : il croit voir dans les yeux des autres qu’il fait forte impression et décide dans cette ligne d’épouser l’identité de caïd, sorte de suppléance identitaire. Cependant, il mettra du temps à rentrer chez ses parents, par peur d’affronter leur regard justement. On peut supposer ici qu’un sentiment de honte fait jour, c’est le plan narcissique qui est engagé. Il n’en dira pas plus. Il faut attendre sa majorité pour qu’un autre problème de justice surgisse. Entre temps il a joué au chat et à la souris avec les gendarmes de son village à coup de conduites transgressives sur des mobylettes. Il a passé un CAP de cuisinier qu’il n’a pas obtenu mais qui lui a permis de travailler vers 16 ans puis de monter à Paris. A 18 ans donc, il devient punk, vit dans des squats à Paris et s’insère dans une vie artistique grâce à ses capacités manuelles. Un jour alors qu’il fait la manche, il aborde un passant qu’il presse de lui donner de l’argent. Celui-ci porte plainte contre lui pour tentative de vol avec violence. Il est arrêté et incarcéré. C’est là de nouveau un moment de rupture : il perd tout contact avec ses amis, avec la compagnie qui l’emploie ponctuellement comme technicien et qui ne peut attendre son retour. Il en ressort sans attache avec une image très dévaluée de lui-même. Commence une vie d’errance de squat en squat, de trouvailles artistiques en absence d’inspiration. Chaque fois qu’il intègre un groupe d’artistes il surinvestit les personnes et le lieu, en fait trop, se dispute, se montre défaillant, s’alcoolise et finalement perd toute crédibilité et toute place. Il ne repère aucun effet de répétition ; pense être victime de malchance ou de poisse. Les mouvements projectifs sont permanents, il n’est que victime. Les conflits sont déjà systématiquement externalisés, il ne repère pas sa destructivité. Il en va de même avec les femmes, il séduit dans un premier temps, se montre avenant, créatif et enjoué puis parle de lui de façon hémorragique, semble se vider dans l’autre, et dresse de lui un portrait catastrophique notamment en avouant ses conduites exhibitionnistes. L’autre n’existe plus pour ce qu’il est mais pour ce à quoi il peut servir : restaurer le narcissisme de M. Denis. Se sentant le plus souvent désobjectalisées, comptant pour du beurre ou effrayées par un tel tableau, les conquêtes s’éclipsent, les copines le quittent. Particulièrement angoissé par ces moments de rupture qui le renvoie à un vide impensable il cherche à apaiser l’angoisse par la boisson et un recours à des masturbations compulsives qui le laissent épuisé. C’est dans un de ces moments d’angoisse qu’il s’exhibe dans le métro et que l’obligation judiciaire l’amène vers nous. Et justement, le temps de cette obligation s’achève, M. Denis en est conscient et émet le souhait de continuer à venir pour être aidé à s’apaiser, et lutter contre un sentiment de mal être diffus et constant sans autre qualification possible. Après la date de fin d’obligation il assurera un unique rendez-vous puis la prise en charge s’interrompt, témoignant d’une demande difficilement soutenable voire peu authentique. Entre temps les suivis psychomoteurs et infirmiers se sont effilochés puis ont cessé de son fait.

Il revient 4 mois plus tard, sous injonction de soins cette fois. C’est aussi une mesure de soins pénalement ordonnée mais différente de l’obligation, en ce qu’elle engage un dispositif différent. La personne est condamnée à un suivi socio-judiciaire qui intègre notamment l’injonction de soins. Elle est prononcée après une expertise médicale qui établit que la personne est susceptible de faire l’objet d’un traitement. Un médecin coordonnateur est alors nommé par le juge d’application des peines pour articuler la peine et le soin et assurer une fonction d’interface entre la justice et le soin. Il reçoit également le condamné à un rythme régulier afin de veiller au bon déroulement de l’injonction. Là encore des attestations de soin sont à fournir par le sujet. M. Denis revient donc sur la base de ce dispositif, il a récidivé suite à une rupture sentimentale en se masturbant dans une rue passante, contre un mur. Comme d’habitude il est appréhendé par la police. Il avait bu et se souvient juste d’une angoisse terrible, « je ne savais plus qui j’étais, où j’étais » et d’un besoin irrépressible qui le conduit à la réalisation de l’acte. L’exhibitionnisme réapparaît à cette époque, acte pervers qui paraît lui permettre de lutter contre des angoisses identitaires majorées par les ruptures sentimentales où la perception de femme qui le renvoie à une imago phallique toute puissante. Ces angoisses s’avèrent insupportables et le passage à l’acte transgressif semble être une tentative de restaurer une intégrité physique par une démonstration phallique. A ce moment il me dira « je n’ai trouvé que ce moyen pour revenir vous voir », comme si le soin ne pouvait s’inscrire que dans la condamnation et rejoindre une logique de punition. Parallèlement, c’est aussi une manière qu’il a de se réapproprier sa demande et de se réinscrire dans la continuité du premier travail qui a justement consisté à faire suffisamment de lien entre nous pour qu’émerge un début d’investissement ouvrant au transfert. Il ne peut donc investir le traitement psychique, le travail d’élaboration que sous la contrainte. Ces mesures judiciaires seraient comme des reliquats d’un conflit œdipien non structurant qui à défaut d’être internalisé est objectivé dans la réalité en tiercéisant la relation : lui-le soin-la police\justice.

A partir de ce moment il viendra beaucoup plus régulièrement, il s’installe dans le discours et son mal être prend bientôt la forme de moments d’excitations mal contenus qui alternent avec des moments de dépression frisant la dépersonnalisation. Il est à noter que ces mouvements s’incarnent notamment dans l’ici et maintenant du cadre psychothérapeutique et agis dans la réalité. Tantôt il fait partie d’un monde quasi extraordinaire avec lequel il fait corps, où les événements s’ordonnent comme par magie. Il se sent au centre de cette cohérence : il devient « un aimant à fille », il est « plein de projets » et « fait de belles rencontres professionnelles ». Ces périodes sont immanquablement suivies de leur contraire : il perd alors toute confiance dit « avoir perdu son fluide, il a mal dans le bas du ventre », de nouveau il a recours à la masturbation en s’étayant sur des films pornographiques pour lutter contre un vide représentationnel. Nous pouvons donc comprendre en quoi l’acte vient prendre la place de la pensée : les mouvements dépressifs ne sont pas supportés, les défenses mégalomaniaques qui sont au premier plan n’arrivent pas à juguler l’angoisse qui menace d’envahir le fonctionnement psychique et l’agressivité est retournée contre soi avec une attaque de l’estime de soi. Pour finir et peut-être afin d’éviter l’effondrement narcissique voire des mouvements plus archaïques d’évitement d’explosion de l’intégrité psychique, la consommation de toxiques et le recours à l’évacuation de l’excitation sexuelle surviennent. Un travail sur les contenants psychiques est donc central. Il faut qu’il puisse se réapproprier cette excitation en la liant et donc la contenir sur un mode moins pathogène. Par la suite, il va se couper du monde. Cette autarcie associée à la masturbation sert une tentative de rassemblement après la dispersion extatique qui précédait, retrouver l’axe phallique comme preuve du vivant, il nous dira « je ne me sens jamais aussi bien que lorsque je tiens quelque chose entre les mains » en parlant de son sexe. Ce moment l’amène également au bord d’une dysmorphophobie : il a du mal à se reconnaître dans le miroir, se voit gonflé et est effrayé par son visage qu’il qualifie de pervers, et à ne se reconnaître qu’à demi, il détourne le regard. Ici nous entendons bien la lutte contre des angoisses primaires qui menacent la cohésion psychique. La structuration narcissique qui semble prédominante ne masque –telle pas de manière plus ou moins efficace, une structuration psychique sur un mode psychotique ? Est-il un pénis à lui entier, érigé au rang de fétiche ?

Peu à peu, et non sans mal, il parvient à nommer ce qu’il ressent, les affects sont plus présents et il semble mieux différencier ce qui vient de lui-même et ce qui vient du dehors. Ses relations amoureuses et amicales deviennent durables, il s’hystérise dans le lien à l’autre et il trouve plus de satisfaction dans la réalité qu’auparavant. Cependant, une nouvelle transgression se produit : il est dans un grand magasin, voit le sac d’une femme ouvert, est tenté de la voler mais une pensée conjuguée va s’interposer : il reconnaît cette femme pour ce qu’elle est ; différenciée de lui et individualisée ; renonce à la voler car c’est « dégueulasse » et déplace son mouvement sur un ordinateur de présentation qui se trouve à proximité et qu’il ramène chez lui. Cet ordinateur deviendra le nouveau support sur lequel il visionnera ses films pornographiques. Il justifie et rationalise son acte par le fait qu’il vaut mieux voler un grand magasin qu’une personne. C’est donc une tentative de prendre en compte l’altérité de l’autre, un début d’empathie non envahi par les mouvements projectifs. Ce deuxième temps de la prise en charge est, pour nous, le témoin de l’évolution psychique de M. Denis qui a pu s’appuyer sur le cadre contenant proposé par la consultation spécialisée et l’espace thérapeutique pour consolider ses mouvements d’individuation. Au cours de cette prise en charge, il avait pris contact avec le CMP de secteur. Si la prise de contact avec le psychiatre s’effectue sur un mode idéalisé qui lui permet de m’attaquer, « lui il sait qui je suis et comment je pense », « depuis le temps que je vous vois » ; le suivi tourne court au bout de quelques mois car il ne parvient plus à prendre rendez vous avec le médecin, on lui répond que le praticien est absent, et il finit par fantasmer qu’il ne veut plus le voir ou qu’il est tombé malade. Il pense que c’est à cause de lui. Ce mouvement de contamination montre que la différenciation Soi\Non Soi reste encore particulièrement fragile.

Plus récemment, il a trouvé un psychiatre alcoologue qui semble pouvoir représenter une image masculine étayante et il le rencontre en parallèle de nos consultations, dans une perspective qui nous paraît complémentaire. Il a accepté de lui un traitement anxiolytique léger, ce qui n’avait jamais été possible chez nous. L’imago maternelle se nuance dans le discours. C’est comme une éclaircie dans le chaos de M. Denis, un instant de paix non dénuée de nostalgie. L’objet absent peut être évoqué. Enfin, il n’a pas récidivé depuis lors, à notre connaissance, et ses troubles de l’humeur en écho à sa problématique identitaire, faire corps ou non avec le monde, ne le submerge plus comme avant. Il parvient même parfois à repérer son excitation et si la contenir est encore difficile, il regrette ses emportements ou ses élations pour les conséquences que cela peut avoir sur le plan relationnel avec ses quelques proches. Peut-être un peu moins sous la menace d’un Surmoi, non pas interne, mais incarné dans la réalité par les forces de l’ordre et la justice. Son obligation se termine en juillet, ce qui constitue maintenant pour nous un autre pan du travail. Comment va-t-il réagir à la levée de cette obligation ? Notre objectif est dès lors de pouvoir anticiper ce changement avec lui.