Association de Psychologues Cliniciens d'Orientation Freudienne

Vitalité du concept Paranoïa : pédopsychiatrie, développement de la psyché et psychopathogénie

Yann CRAUS

Le cas Emile : la paranoïa et l’enfant (8-12 ans)

Il importe d’évoquer le texte célèbre de Freud de 1925 sur « La négation », texte dont on sait à quel point il nous aide à penser l’instauration de la frontière entre le dedans et le dehors, chez le bébé, instauration rendue nécessaire du fait d’une menace interne. En effet, si la première partie de l’article est consacrée à la négation en tant que mécanisme de défense chez des sujets adultes névrotiques alors en analyse avec Freud, la seconde partie se centre sur le mécanisme de la négation à l’aube de la vie, chez le très jeune enfant, comme moyen de séparer la réalité interne de la réalité externe, division participant probablement à la constitution de l’inconscient dit primordial. On sait aussi que dans ce travail qui suit donc le mouvement régrédient de la cure, Freud effectue une sorte de coup de force épistémologique en inversant le point de vue académique selon lequel toute nouvelle expérience devrait d’abord être pensée comme existant ou non en tant que réalité externe (jugement de réalité) avant d’être évaluée comme bonne ou mauvaise (jugement d’attribution) : pour Freud, le bébé, à l’inverse, procède d’abord au jugement d’attribution (cette nouvelle expérience est-elle source de plaisir ou de déplaisir ?) avant de procéder au jugement de réalité (cette expérience existe bel et bien dans la réalité externe, et elle est donc susceptible d’y être retrouvée). Quoi qu’il en soit, rappelons que ce texte a été écrit en 1925, soit quelques années après la mise en forme par Freud de la deuxième théorie pulsionnelle (1920) opposant désormais les pulsions de vie et les pulsions de mort, et après la découverte de son cancer de la mâchoire en 1923, cancer qui allait l’emporter seize années plus tard en 1939. Autrement dit, ce travail sur la négation apparaît comme hanté par la question de la mort et par celle du mauvais ou du dangereux à extirper de soi, avec cette solution régressive qui consiste parfois à penser – ou à espérer ? – que le mauvais et le dangereux n’existent en tant que tels que dans la réalité externe… Finalement, dans ce travail de 1925, on comprend que dans un premier temps, le bébé va éjecter hors de lui tout le mauvais et ne garder en lui que le bon, d’où un clivage initial radical entre la réalité externe entièrement mauvaise et la réalité interne entièrement bonne, clivage qui ne pourra se réduire que par l’accès à l’ambivalence, ce travail annonçant et préparant en quelque sorte les développements kleiniens ultérieurs. En tout état de cause, ce mécanisme physiologique de la négation porte en lui, en quelque sorte, les racines d’un fonctionnement de type paranoïaque puisqu’il donne lieu, ne serait-ce que transitoirement, à un extérieur entièrement mauvais et un intérieur entièrement bon.

D’autres points de comparaison nous incitent à développer ce que le mécanisme de négation pourrait apporter à l’étude de la paranoïa. C’est d’abord la place centrale qu’y occupe le jugement. Alors que la paranoïa s’apparente facilement à un trouble affectant le jugement, la Verneinung freudienne nous conduit à l’origine psychologique de la fonction intellectuelle de jugement. Le sujet paranoïaque se montre en effet bien en difficulté de faire la part entre le dehors et le dedans (selon le principe de plaisir), entre l’objectif et le subjectif (selon l’épreuve de réalité). En outre, la dialectique intellect/affect se présente sous un amarrage opposé : tandis que la négation autorise un « premier degré d’indépendance » (Freud, 1925) du penser à l’égard du principe de plaisir, l’intellect apparaît dans la paranoïa sous la prise directe de l’affect qui ne lui en ôte aucune qualité, voire lui en donne toute sa puissance de feu et parfois prodigieuse. La Verneinung donne « la possibilité de voir l’intellectuel se dissocier en [acte] de l’affectif » (Hyppolite, 1954). Sous la dépendance de cet affectif primordial, l’intellect paranoïaque se développerait intensément en regard du principe de plaisir et d’un clivage persistant entre bon-interne et mauvais-externe. Enfin, un aspect philosophique qualifie une propriété essentielle de la pensée : « Il peut se produire une marge de la pensée, une apparition de l’être sous la forme de ne l’être pas, qui se produit avec la dénégation » (ibid.). Cet écart en négatif serait-il absent de la pensée paranoïaque ? Oui, si l’on considère la Verneinung comme un « certificat d’origine » (Freud) du refoulement supposé absent du paranoïaque. Car cette négation est bien postérieure à cette fonction d’attribution qui oppose ce qui est introjecté et ce qui est expulsé du moi, expulsion que Lacan nommera de manière fameuse « forclusion » (Verwerfung) et qui constitue le réel « en tant qu’il est le domaine de ce qui subsiste hors de la symbolisation » (Lacan, 1954). Malgré tout, l’intellect qui serait empêché de prendre son indépendance par rapport à l’affect se développe vertement dans la paranoïa. Son étude au sein de la naissance de l’objet dans une perspective génétique peut s’avérer contributive.

Le fonctionnement de type paranoïaque renvoie à une des organisations premières de la vie psychique qui, par hypothèse, scinde radicalement le monde interne de la réalité extérieure. Il est remarquable, en lisant les élaborations freudiennes de la Verneinung, que la naissance de la pensée et du jugement se déroule en même temps que se différencient intellect et affect, qui à partir de là noueront entre eux des liens subtils. Premiers temps de la vie psychique, du penser (Denken), de l’intellection, qui voient l’instauration de la psyché de l’enfant à partir d’un premier objet comme image spéculaire à peine déformée et donc de ce fait tolérable par lui (Golse, 2010, p. 85). Dans une perspective génétique kleinienne, nous poserons d’abord la question d’un temps paranoïaque normal du développement, puis nous reprendrons le concept d’identification projective ménageant une place pour la paranoïa au sein des premières relations d’objet. Avec l’angoisse de mort primordiale, nous conclurons à l’origine cette perspective génétique en ouvrant sur une dimension mythique à ne pas négliger.

La perspective génétique du développement et de ses accidents sous-tend les propositions théoriques de Margaret Mahler (forme symbiotique de la psychose infantile), de Melanie Klein (positions paranoïde-schizoïde et dépressive) ou encore d’Anna Freud (lignes de développement). Quelle serait alors dans cette perspective la place de la paranoïa soit dans un temps normal soit comme pierre d’achoppement du développement ? L’œuvre de Melanie Klein offre déjà des éléments de réponse. En effet, la position paranoïde-schizoïde telle qu’elle l’a conceptualisée est celle qui « dans les cas extrêmes, constitue la base de la paranoïa et de la schizophrénie » (Klein, 1957, p. 105). Durant les trois ou quatre premiers mois après la naissance, un moi non intégré fait face à une angoisse persécutive et des pulsions destructives omnipotentes (avidité, envie) qu’il parvient à affronter grâce à des mécanismes de défense tels que le processus de clivage. Pour reprendre la partition de Klein, cette période (position marquée dans le temps) est paranoïde par l’angoisse prédominante de persécution, et d’autre part schizoïde par certaines défenses mises en œuvre, le déni et surtout le clivage. Ce dernier processus permet au moi précoce, en clivant l’objet partiel en bon objet et mauvais objet, de neutraliser le sentiment d’insécurité interne. Toutefois, la persécution est vécue comme venant de l’extérieur par introjection et projection, mécanismes proprement paranoïaques : « Chaque fois que les pulsions destructives apparaissent avec une certaine intensité, la mère et le sein maternel sont du fait de la projection perçus comme persécuteurs » (Klein, 1963, p. 122). Si l’angoisse de persécution et le mécanisme de projection évoquent directement la paranoïa, la consistance et la cohérence de l’organisation psychique du paranoïaque nous éloignent de cette position kleinienne première. La position dépressive s’installe ensuite, contemporaine d’une intégration progressive du moi. L’accès à l’ambivalence et la synthèse des objets qui deviennent ainsi totaux s’accompagnent d’un sentiment de culpabilité ainsi que de tendances à la réparation. Alors que l’adaptation à la réalité extérieure s’améliore, l’enfant parvient à se faire une image moins fantasmatique du monde environnant. Selon Klein, c’est aussi l’avènement du surmoi (alors que Freud le situe au début de la période de latence). Nous retrouvons dans cette seconde description des éléments prégnants de la psychopathologie d’Emile : moi fragile mais intégré, surmoi très développé. En fait, notre étude clinique nous engage à soutenir, afin de faire correspondre à la paranoïa une position kleinienne, une position en quelque sorte intermédiaire entre une position paranoïde-schizoïde et une position dépressive. Rappelons que la clinique d’Emile alterne entre sentiment de persécution avec défenses projectives et effondrement dépressif avec éclatement dissociatif. Le moi se soutient d’un clivage qui neutralise son insécurité interne, la position dépressive à peine abordée ne peut s’élaborer et conduit à une régression schizoïde.

Nous retrouvons ainsi cet entre-deux aussi bien dans les travaux cliniques classiques que dans les théorisations psychanalytiques. Une place pourrait donc être ménagée dans la perspective génétique de Melanie Klein. Nous proposons une position tierce, à la charnière des deux positions de Melanie Klein, qui détacherait la paranoïa de la position paranoïde-schizoïde. Notons que cette autonomisation n’enlève rien à la première position kleinienne qui conserverait dans cette hypothèse le paranoïde. Il faut souligner ici que notre hypothèse ne peut s’entendre qu’en critiquant la tradition clinique anglo-saxonne qui ne distingue pas fondamentalement paranoïde et paranoïaque, seul étant retenu le paranoid. Nous pourrions aller plus loin dans la qualification du moi fragile dans cette nouvelle position paranoïaque à partir de l’importance de l’idéalisation au sein de cette clinique particulière. Melanie Klein évoque d’ailleurs l’idéalisation comme un des mécanismes de défense de la position paranoïde-schizoïde, un « dérivé de l’angoisse de persécution », autrement dit « le sein idéal est le complément du sein dévorant » (Klein, 1957, p. 35). Or, l’objet idéalisé n’a pas les effets dévastateurs d’un mauvais objet introjecté mais n’a pas non plus les qualités d’intégration d’un bon objet. La position paranoïaque porterait sur un objet fortement idéalisé, au-delà du clivage bon/mauvais objet. À la suite, la position dépressive se déploierait sur un objet idéalisé c’est à dire inatteignable dans son ambivalence, travail de perlaboration toujours à l’œuvre et qui échoue sans cesse. Deux voies subséquentes sont connues en cas d’intensité particulière de l’angoisse menaçante : la régression vers la position paranoïde-schizoïde (dissociation bleulérienne) et la perte de l’objet interne au sein d’une position dépressive impossible à perlaborer (dépression mélancolique). Avec un objet interne consistant mais idéalisé, la psyché paranoïaque s’apparente à un édifice charpenté mais bâti sur des fonds mouvants, et de manière remarquable, d’autant plus charpenté qu’il est bâti sur des fonds mouvants. Les mécanismes paranoïaques ont partie liée avec les premières relations d’objet. Le concept désormais classique d’identification projective de Melanie Klein en témoigne. Dans cette conception où un moi primitif existe d’ores et déjà, identité et relation d’objet sont intimement mêlées. Vicissitude récurrente des concepts psychanalytiques, l’identification projective a trouvé au sein du DSM IV-TR (2000) une définition détournée et délestée de tout contexte historicisant afin d’aboutir à un mécanisme psychologique opérationnel : le fait de répondre pour un sujet aux conflits émotionnels ou aux facteurs de stress externes ou internes en attribuant à tort à autrui ses propres sentiments, impulsions ou pensées inacceptables (projection). En plus de la projection, la personne ne désavoue pas totalement ce qui est projeté. Elle reste consciente de ses propres affects ou impulsions mais elle les attribue à tort à autrui en tant que réaction légitime. Il n’est pas rare que la personne induise véritablement chez l’autre les sentiments qu’elle avait cru déceler et il est parfois difficile d’établir la chronologie exacte du « qui a fait quoi à qui ». Peu à voir avec ce que Klein invente comme mécanisme qui se traduit par des fantasmes, où le sujet introduit sa propre personne (his self) en totalité ou en partie à l’intérieur de l’objet pour lui nuire, le posséder et le contrôler (Laplanche et Pontalis). Par l’intrusion dans l’objet, le sujet prend possession de l’objet et en acquiert l’identité. « Ce ne sont pas seulement les parties du corps ressenties comme destructrices et mauvaises qui sont clivées et projetées dans une autre personne ; ce sont aussi les parties ressenties comme bonnes et précieuses » (Klein, 1955, p. 143). Ce processus se déroule au sein de la position schizo-paranoïde où clivage et angoisse de persécution sont à leur comble. L’identification projective, encore appelée identification par la projection, s’appuie sur « le clivage de certaines parties de soi [qui] s’associe à leur projection sur (ou plutôt dans) une autre personne ». Ce mécanisme, décisif sur les relations d’objet, a été découvert à la suite de constatation « des tendances et des fantasmes relevant du sadisme oral, urétral et anal des enfants, et concernant des attaques diverses contre la mère, y compris la projection d’excréments et de parties de soi à l’intérieur de son corps ». Associé aux deux mouvements de l’introjection et de la projection, c’est un mécanisme formateur de l’identité propre, une « action réciproque [qui] bâtit le monde intérieur en même temps qu’elle dessine l’image de la réalité extérieure » (ibid., p 141). Cette perspective génétique conduit à rechercher à rebours l’origine qui rend nécessaire la position première dominée par le mécanisme de clivage. Melanie Klein la nomme angoisse persécutive primaire, cette « peur d’être anéanti par les forces destructives intérieures » (ibid., p. 145). L’angoisse de mort témoigne de la fragilité des premiers temps de la vie psychique, elle « surgit dès le début de la vie dans le conflit qui oppose les instincts de vie aux instincts de mort » (Klein, 1963, p. 122). Consubstantielle à la vie, elle ne semble véritablement disparaître que lorsque la vie elle-même se retire. Ainsi Paul Verlaine dépeint-il la Mort de Philippe II (1866) : « L’œil de son âme au jour clair de la certitude/Epanouit ses traits en un sourire exquis/ Qui tenait de la fièvre et de la quiétude. » Bien que présente tout au long de la vie, cette angoisse à laquelle doit faire face un moi primitif non intégré nécessite la mise en place d’un appareillage psychique dédié, d’où la nécessité d’un bon clivage pour qu’il y ait justement un dedans et un dehors dans lequel placer pour un temps cette menace. Remarquons que selon Freud cette expulsion de la pulsion de destruction a notamment pour suite (Nachfolge) la négation (Verneinung). Lacan (1954) en extrait une dimension phénoménologique : « La mort nous apporte la question de ce qui nie le discours, mais aussi de savoir si c’est elle qui y introduit la négation. Car la négativité du discours, en tant qu’elle y fait être ce qui n’est pas, nous renvoie à la question de savoir ce que le non-être, qui se manifeste dans l’ordre symbolique, doit à la réalité de la mort » (p. 379-80). La mort marque donc son empreinte sous la forme d’un non être et cette empreinte génère une première symbolisation : « L’affectif dans ce texte de Freud est conçu comme ce qui d’une symbolisation primordiale conserve ses effets jusque dans la structuration discursive. Cette structuration, dite encore intellectuelle, étant faite pour traduire sous forme de méconnaissance ce que cette première symbolisation doit à la mort » (ibid. p. 383). À l’endroit du sujet paranoïaque, nous pourrions faire l’hypothèse d’une tentative toute intellectuelle de la pensée pour lutter contre les angoisses primordiales de mort non apaisées à l’origine par un affect primordial douloureux. Dès lors, comment soigner ce sujet souffrant ? Melanie Klein (1955) laisse entrevoir une cure possible à travers sa lecture du roman de Julien Green, Si j’étais vous : le personnage principal surmonte des angoisses psychotiques fondamentales de la première enfance et accomplit son intégration en même temps qu’il établit de bonnes relations d’objet. Au sein même de cette recherche génétique s’inscrit toujours une dimension mythique qui ne la décrédibilise pas pour autant. C’est d’abord la quête des origines de tout ce que recouvre la psyché (pensée, intellection, intellect, affect, jugement) et que nous enjoint d’étudier la paranoïa. Selon notre hypothèse d’une perlaboration de la position dépressive impossible parce que travaillant sur un objet idéalisé, mais toujours à l’ouvrage parce qu’un moi suffisamment intégré est en place, Sisyphe n’a rien à envier au sujet paranoïaque.

Ajoutons que cette distinction radicale entre un dedans et un dehors est également un mythe dont l’heuristique nous permet de penser le développement psychique de l’enfant. Enfin, Jean Hyppolite et Jacques Lacan sont d’accord pour voir dans la création symbolique de la négation un moment mythique concernant « une relation du sujet à l’être et non pas du sujet au monde » (ibid., p. 382). Apports précieux de la psychanalyse pour conserver en pédopsychiatrie le regard d’une « dramaturgie mythicophilosophique » (Ricœur, 1965, p. 169).

Conclusion

Les derniers mots de Krestchmer (1950) dans son étude de la paranoïa entrent en écho avec nos préoccupations contemporaines : « Et on ferait preuve d’un manque d’imagination intellectuelle si on ne pouvait trouver une autre solution que d’englober cet édifice remarquable [la structure interne d’un paranoïaque sensitif] dans un diagnostic commun avec la schizophrénie. » L’ouvrage de l’auteur dans son entier souligne la richesse conceptuelle de la paranoïa et de ses liens multiples, et avouons-le parfois vertigineux, avec l’ensemble de la clinique psychiatrique. Retenons avec lui que « ce qui est spécifique et formateur pour la structure et l’édification du tableau psychotique [paranoïaque], ce sont les relations dynamiques des réactions typiques entre le caractère, le milieu et l’expérience ». Et de conclure : « on ne peut comprendre les paranoïaques qu’en prenant en considération leur personnalité tout entière. » Nous y voyons un encouragement à la connaissance globale de nos patients, au-delà de leur symptomatologie bruyante, et à l’intégration du concept de paranoïa en pédopsychiatrie. Le cas d’Emile ouvre de ce point de vue des perspectives théoriques intéressantes.

Des sujets paranoïaques = des Sisyphes : rochet = objet idéal, difficile à maintenir au faîte de la montagne

Intérêt de la philosophie et de l’histoire pour contribuer à la création de connaissances en psychiatrie. « L’histoire que nous racontons contribue à l’Histoire que nous faisons » (Ricœur). Il n’est pas anodin que les développements de l’histoire de la psychiatrie en France aient été soutenus par des psychiatres psychanalystes (Bercherie en tête) et publiés dans des revues psychanalytiques. On citera pour exemple la revue Analytica pour la traduction de Kraepelin, les éditions epel du cercle lacanien pour les recherches de Lantéri-Laura, qui lui-même ne se revendiquait pas particulièrement de la psychanalyse.

Henri Ey (1961) évoque avec éloquence ce que le patient paranoïaque suscite en nous : « Malgré ses postulats, ses intuitions, ses ornements superfétatoires, ses arcanes mystérieuses, ses expériences fondamentales, la construction délirante trouve en nous un écho direct avec la conscience de l’observateur. Alors que le médecin prend son parti des délires paranoïdes, il se sent plus enclin à discuter, à s’étonner devant un délire dont les diverses pièces, l’enchaînement général lui paraît plus clair, plus perméable, plus compréhensible. Le délire donne l’illusion de constituer une simple erreur qui aussi logiquement construite paraît logiquement devoir être réfutée… ». Parfois même, il paraît difficile de faire la part entre la protestation légitime et la revendication pathologique. C’est que le sujet paranoïaque nous parle une langue que nous connaissons bien. Il fait parfois échos aux « ex-enfants que nous sommes » (Odier, 2005). La connaissance de la paranoïa nous fait mieux comprendre ce que nous avions ressenti dès notre premier semestre d’internat. Cette entité nous dit quelque chose de nous, questionne notre savoir et ébranle les assises d’une normalité triomphante. Deux écueils doivent attirer notre attention. Réfuter cet écho (il est malade, pas moi, et ce qu’il dit est une construction pathologique) expose le patient à une violence symbolique pour tout dire maltraitante et le clinicien à la critique justifiée de ne pas savoir écouter. Etre envahi par cet écho (il parle une langue que je connais, il n’y a pas tant de distinction si nette entre le normal et le pathologique) conduit à l’impuissance du clinicien qui perd toute fonction thérapeutique. Le praticien se trouve donc effectivement sur une « ligne de crête » (ibid.), mieux praticable une fois cet écho reconnu, entendu et analysé.

Thérapie. Entendre l’objet idéal et s’adjoindre à le border via une psychothérapie de l’environnement (Botbol). L’égratigner = risquer l’explosion de l’objet (dissociation++), le laisser enfler (mégalomanie). Exemple de bord environnemental = bibliothèque (réseau de livres). Désidéaliser, éviter l’interne/ment. Permanence des soins.

Bibliographie indicative

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