Association de Psychologues Cliniciens d'Orientation Freudienne

Troubles du comportement et déscolarisation de l’enfant : Quel travail ? Introduction – 41eme soirée : la déscolarisation de l’enfant

affiche 09.04.14Gwénaële BOITARD-CASTELLANI

Nous introduisons cette soirée par un retour à l’affiche inspirée de l’oeuvre de Max Ernst, La vierge corrigeant l’Enfant Jésus devant trois témoins : André Breton, Paul Eluard et le peintre (1926. Huile sur toile, Museum Ludwig, Cologne).

Max Ernst se représente comme témoin indifférent, avec ses amis surréalistes André Breton et Paul Eluard, dans une oeuvre liée à un souvenir de son enfance.
Ernst, âgé de sept ans, s’échappe de chez lui en chemise de nuit et apparaît à des passants comme l’«Enfant-Jésus». Son père, artiste peintre, autoritaire et fervent catholique, une fois sa colère passée, a ensuite peint son fils sous les traits de Jésus.
En cette Vierge d’allure imposante, Ernst représente son père dont la féminisation pourrait être interprétée comme une tentative de castration. Castration qui se double de celle de l’enfant humilié ayant perdu son auréole, ange déchu de sa position de phallus comblant l’Autre parental.
L’enfant, sortant du statut de l’infans -d’enfant réalisant la présence de ce que Jacques Lacan désigne comme l’objet a dans le fantasme (maternel)- devient un être parlant, un sujet, pour autant que l’instance de la loi symbolique fasse tiers. (Deux notes à Jenny Aubry, Lacan, 1969).

Dans le tableau de Ernst, plus loin, derrière une fenêtre, trois hommes qui n’en veulent rien savoir de la scène qui se joue devant eux, peut être des pères dont le nom n’est pas le vecteur d’une incarnation de la Loi dans le désir d’une mère Toute, jouisseuse de son enfant.
Il ne s’agit pas ce soir d’éclairer les passages à l’acte des enfants à travers la question de la noyade des idéaux dans une société de jouissance immédiate, ni celle du déclin du père. Mais plutôt d’envisager l’angle de la rencontre avec le manque dans l’Autre, soit un moment d’insécurité langagière qui révèle le trou dans la signification du monde. Car pour tout sujet, le recours à la langue est une faillite, un moment de division.
Le savoir scolaire laisse sans orientation pour qui le symbolique fait retour dans le réel chez le psychotique, pour qui l’inhibition ou la phobie fait réponse au Che Voy du névrosé. L’enfant angoissé est-il prêt à traiter l’énigme langagière? Est-il disponible pour jouir de la pulsion épistémophilique qui demande aux autres pulsions plus archaïques d’être tenues à l’écart ?

Du fait des problématiques psychopathologiques de la famille, d’histoires transgénérationnelles compliquées, de carences éducatives… nous avons affaire à une clinique du désarroi devant des enfants sans concession, non séparés, envahis de jouissance.
Le grabuge et le saccage sont comme des appels adressés à l’Autre, une manière de refuser l’en-trop de jouissance, une expulsion dans l’acte qui révèle le défaut de l’accès au symbolique ou le ratage oedipien et l’impossibilité langagière à traiter le Réel.
Faute d’avoir trouvé un nom à la jouissance, ces enfants sont pressés de trouver le lieu et la formule, comme l’écrit Rimbaud dans son texte Vagabonds en 1875. Car, je cite René Char « On ne peut pas, au sortir de l’enfance, indéfiniment étrangler son prochain » (René Char, Fureurs et Mystères 1962).

Les trois cas cliniques qui suivent vont témoigner du nouage singulier qui s’opère autour des enfants entre leur famille, l’école et les institutions médico-sociales auxquelles ils sont confiés, des difficultés que rencontrent les professionnels mais aussi de leurs trouvailles qui révèlent leur désir d’oeuvrer auprès d’enfants qu’il faut aller chercher parfois très loin.

Ainsi Claire Josso-Faurite, psychologue clinicienne à l’Unité de Psychopathologie de l’Enfant et de l’Adolescent du CH Sainte Anne, va nous parler d’Eugénie et de son maintien sur le fil de sa scolarisation, et de la nécessité pour l’institution soignante de consentir à un dispositif thérapeutique peu classique.

Leonardo Arrieta, psychologue clinicien au CMP du CH Charcot, nous parlera de la difficulté d’Edgar à faire face à une figure terrible au sein des institutions spécialisées qui l’accueillent, faisant écho à la folie du discours familial.

Enfin, Pierre Lignée, enseignant spécialisé et Karine Joguet, psychologue clinicienne, tous deux travaillant à l’ITEP du Chevaleret (CH Sainte Anne), vont nous montrer comment il a été nécessaire et salutaire de totalement déscolariser Albert et comment cet enfant a pu se soutenir des différentes propositions thérapeutiques qui lui ont été proposées.

Ces deux notes, remises manuscrites par Jacques Lacan à Mme Jenny Aubry en octobre 1969, ont été publiées pour la première fois par cette dernière, dans son livre paru en 1983. Le texte ici repris l’a été à partir de Ornicar ?, n° 37, avril-juin 1986, p. 13-14.
1. – Dans la conception qu’en élabore Jacques Lacan, le symptôme de l’enfant se trouve en place de répondre à ce qu’il y a de symptomatique dans la structure familiale.
Le symptôme, c’est là le fait fondamental de l’expérience analytique, se définit dans ce contexte comme représentant de la vérité.
Le symptôme peut représenter la vérité du couple familial. C’est là le cas le plus complexe, mais aussi le plus ouvert à nos interventions.
L’articulation se réduit de beaucoup quand le symptôme qui vient à dominer ressortit à la subjectivité de la mère. Ici, c’est directement comme corrélatif d’un fantasme que l’enfant est intéressé.
La distance entre l’identification à l’idéal du moi et la part prise du désir de la mère, si elle n’a pas de médiation (celle qu’assure normalement la fonction du père), laisse l’enfant ouvert à toutes les prises fantasmatiques. Il devient l’ « objet » de la mère, et n’a plus de fonction que de révéler la vérité de cet objet.
L’enfant réalise la présence de ce que Jacques Lacan désigne comme l’objet a dans le fantasme.
Il sature en se substituant à cet objet le mode de manque où se spécifie le désir (de la mère), quelle qu’en soit la structure spéciale : névrotique, perverse ou psychotique.
Il aliène en lui tout accès possible de la mère à sa propre vérité, en lui donnant corps, existence, et même exigence d’être protégé.
Le symptôme somatique donne le maximum de garantie à cette méconnaissance ; il est la ressource intarissable selon les cas à témoigner de la culpabilité, à servir de fétiche, à incarner un primordial refus.
Bref, l’enfant dans le rapport duel à la mère lui donne, immédiatement accessible, ce qui manque au sujet masculin : l’objet même de son existence, apparaissant dans le réel. Il en résulte qu’à mesure de ce qu’il présente de réel, il est offert à un plus grand subornement dans le fantasme.

2. – Semble-t-il à voir l’échec des utopies communautaires la position de Lacan nous rappelle la dimension de ce qui suit.
La fonction de résidu que soutient (et du même coup maintient) la famille conjugale dans l’évolution des sociétés, met en valeur l’irréductible d’une transmission – qui est d’un autre ordre que celle de la vie selon les satisfactions des besoins – mais qui est d’une constitution subjective, impliquant la relation à un désir qui ne soit pas anonyme.

C’est d’après une telle nécessité que se jugent les fonctions de la mère et du père. De la mère : en tant que ses soins portent la marque d’un intérêt particularisé, le fût-il par la voie de ses propres manques. Du père : en tant que son nom est le vecteur d’une incarnation de la Loi dans le désir.

Tu as bien fait de partir, Arthur Rimbaud! Fureur et mystère, 1962 Tes dix-huit ans réfractaires à l’amitié, à la malveillance, à la sottise des poètes de Paris ainsi qu’au ronronnement d’abeille stérile de ta famille ardennaise un peu folle, tu as bien fait de les éparpiller aux vents du large, de les jeter sous le couteau de leur précoce guillotine. Tu as eu raison d’abandonner le boulevard des paresseux, les estaminets des pisse-lyres, pour l’enfer des bêtes, pour le commerce des rusés et le bonjour des simples. Cet élan absurde du corps et de l’âme, ce boulet de canon qui atteint sa cible en la faisant éclater, oui, c’est bien là la vie d’un homme! On ne peut pas, au sortir de l’enfance, indéfiniment étrangler son prochain. Si les volcans changent peu de place, leur lave parcourt le grand vide du monde et lui apporte des vertus qui chantent dans ses plaies.Tu as bien fait de partir, Arthur Rimbaud! Nous sommes quelques-uns à croire sans preuve le bonheur possible avec toi. René Char

Comment dès lors entendre une parole chargée de violence et d’insultes comme une tentative de prendre position face à l’Autre, une façon de consentir à pouvoir se dire à l’Autre même en impasse ? Comment les aider à trouver le « point d’où » (qu’il revient à chacun de se construire) qui éloigne de la pulsion de mort et oriente dans la vie ?Une tentative de se séparer en piétinant l’Autre, autant de passages à l’acte comme issues à l’impasse du rapport à l’Autre devant l’insupportable que cet Autre ne puisse rien répondre.

Un moment de bascule, une tucké, vient contribuer à l’émergence du symptôme telle une effraction du réel qui vient désubjectiver de la position de l’enfance. Il s’agit d’un incompréhensible qui s’éclaire dans l’après coup avec l’appui de la structure psychique. Structure psychique qui n’est pas toujours facile à repérer du fait de la symptomatologie.
Tourner en rond tout en restant dans ses bottes relève de l’impossible contre lequel faire exploser le cadre, taper, insulter et sortir de la scène sont des modalités de traitement, fragiles et incompréhensibles pour la famille et pour l’école.
Auréole chue aux pieds de la Vierge. Vierge, signifiant qui pose sans possible réponse la question de la sexualité, du désir parental, de la féminité versus maternité, et surtout de la jouissance de l’Un. Forclusion du verbe, forclusion du sens.

Dans La Vie de Jésus de Léo Taxil, sa mère l’ayant menacé de le priver de dessert, Jésus lui rétorque : « tu ne peux pas m’en priver puisque je suis le maître de tout l’univers [24] Léo Taxil, La Vie de Jésus, Paris, Librairie anti-cléricale,…[24] », puis il lui ordonne de se mettre à genoux et de l’adorer. Pour Gustave Frison, lors de la disparition de Jésus, alors âgé de douze ans, une correction s’avère nécessaire, mais c’est Joseph et non Marie qui envisage cette sanction : « Nom d’un rabot ! Le sale gosse n’y coupera pas. Il a beau être un Dieu, je lui foutrai une fessée si remarquable qu’il pourra la faire encadrer » ; finalement, Jésus ayant été retrouvé au temple, au milieu des docteurs, son père adoptif se contentera de « prendre le gamin par l’oreille » [25] Gustave Frison, La Vie de Jésus racontée par un matelot,…[25].

Les conflits à la maison semblent parfois moins détonants, la place de l’enfant-symptôme prenant ici une autre valeur dans la sphère familiale : du bruit à l’école pour en faire moins à la maison ? Le bruit à la maison toléré par le parent qui préfère couvrir par les cris de son enfant sa propre douleur ?

Insupportable mise au ban d’enfants qui vont préférer sacrifier leur insertion scolaire et sociale et rester pieds et poings liés au plus profond de leur être en devenir à la problématique désirante ou non désirante de leurs parents.
Oserons-nous dire que ces enfants pourront être davantage entendus que ceux restés silencieux et pourtant pas moins en souffrance au fond de la classe ? Les uns et les autres seront stigmatisés à leur manière. Mais les cris auront davantage cet effet d’attirer l’attention des adultes là où ceux qui les lancent ne peuvent la fixer pour apprendre.