Association de Psychologues Cliniciens d'Orientation Freudienne

De l’aveu oral à son écriture : l’exemple de Pierre Rivière

José RAMBEAU

Je propose d’explorer ce soir les rapports que Pierre Rivière n’a cessé d’entretenir avec sa volonté de faire savoir au monde la vérité de son acte et ce avant et après la commission de son triple crime (parricide et fratricide) intervenu en 1835 et que Michel Foucault a étudié au cours de son séminaire entre 1971 et 1973 et dont les travaux ont été publiés sous le titre Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère… Un cas de parricide au XIXe siècle présenté par Michel Foucault1. Pour ce faire je propose de nous pencher sur la fonction de l’écriture par laquelle Pierre Rivière est passée pour justifier ses aveux oraux.

Le 3 juin 1835, au lieu dit La faucterie (le signifiant a parfois d’étranges liens avec le réel !) Pierre Rivière alors âgé de vingt ans commettra son triple homicide avec une violence dont l’horreur est restée inscrite dans les annales judiciaires.

Après une errance d’un mois dans les bois environnants les lieux de résidence de sa famille, il sera arrêté le 2 juillet 1835.

Sa mise en accusation sera effectuée le 4 août 1835 et son procès aux Assises du Calvados à Caen s’ouvrira en novembre 1835 soit cinq mois seulement après la commission de son crime. Il est à noter ici la rapidité des procédures judiciaires et de l’instruction dans la première moitié du 19ième siècle en comparaison des temps judiciaires au 21ième siècle qui se comptent parfois en années.

J’ai choisi de vous parler de Pierre Rivière car son affaire qui a défrayé la chronique témoigne de l’entrée de la psychiatrie dans le champ judiciaire et en particulier de sa présence désormais dans les débats lors des procès en cours pénales. Elle témoigne aussi de l’introduction des circonstances atténuantes lors des procès en tenant compte de l’histoire du sujet criminel et de sa personnalité et des conséquences qui s’en sont suivies à savoir la chasse aux simulateurs de la folie ce dont Pierre Rivière n’a pas manqué d’être soupçonné.

L’affaire Rivière se trouve contemporaine des premiers débats de la psychiatrie naissante à savoir l’opposition entre les tenants de l’aliénation mentale due à l’hérédité et de la monomanie et les tenants d’une aliénation propre à l’histoire du sujet.

Fonction de l’écriture chez Pierre Rivière

Suite aux lectures du dossier d’instruction de l’affaire et du mémoire qu’a écrit Pierre Rivière à la demande de son juge d’instruction après sa première audition, on peut avancer l’hypothèse que pour Pierre Rivière « dire la vérité » se présente comme une certitude impérative l’accompagnant depuis l’enfance et donc bien avant la commission de son triple crime.

A cet endroit il est frappant de constater les difficultés qu’il a éprouvé face aux différentes versions qu’il a donné des raisons de son crime pour atténuer sa responsabilité et qui témoignent de son impossibilité à faire usage du semblant voire de la simulation et qui vient confirmer, il va sans dire, sa position de sujet psychotique.

Ainsi il écrit dans son mémoire « sentant que ce ne pouvait être qu’une extravagance qui m’avait porté à commettre ce crime, je résolut de venir me rendre à la justice et de me faire arrêter à Vire, mais je craignit de dire tout-à-fait la vérité ; ma première intention fut pourtant de dire que je me repentais mais j’avais idée de dire que j’avais été porté a cela par les visions, qu’absorbé de toutes les peines de mon père , j’avais vu des esprits et des anges qui m’avaient dit de faire cela par l’ordre de Dieu, que j’y avais été destiné de tout temps, et qu’ils m’enlèveraient au ciel après que j’aurais fait cette action, que je l’avais fait dans ces idées ; mais qu’aussitôt après je m’étais reconnu, et m’étais repentu » [page 174]2.

Je fais l’hypothèse que son usage répété de versions différentes des raisons de son crime aurait pu avoir pour fonction de tenir l’Autre du champ social et tenir Pierre Rivière lui-même à distance de l’horreur commise. En quelque sorte mentir pour habiller l’horreur d’avec quelque chose de plus acceptable, de plus supportable comme il se décidera à commettre son acte criminel « en habits du dimanche » pour comme il l’écrira « il fallait que je fit cette action avec mes habits du dimanche pour partir pour Vire aussitôt qu’elle serait consommée » [page 164]. Je dirais ici que l’habit du dimanche apparaît comme une anticipation de l’horreur qu’il s’apprête à commettre et lui est nécessaire pour venir voiler celle-ci à l’avance et lui permettre de se rendre auprès des juges de Vire pour être entendu et pris au sérieux sachant ce qu’il encourrait comme châtiment.

À la fin de son mémoire il écrit encore « en arrivant a Vire je pensais que je déclarerais la vérité, cependant lorsque que je comparu devant Mr le procureur du Roi, je soutint la même chose. Lorsque qu’on m’eut laissé seul, je me résolut de nouveau à dire la vérité, et je m’avouait à Mr le geolier qui était venu me parler, et je lui dis que j’avais intention de tout déclarer devant mes juges ; mais lorsque j’allai prêter mon premier interrogatoire devant Mr le juge d’instruction, je ne put encore m’y décider et je soutint le système dont j’ai parlé jusqu’à que Mr le geôlier parlât de ce que je lui avais dit. Je fus très satisfait de sa déclaration, il me déchargea d’un grand poids qui m’accablait. Alors sans rien déguiser, je déclarai tout ce qui m’avait porté à ce crime. On me dit de mettre toutes ces choses par écrit, je les y ait mises ; maintenant que j’ai fait connaître toute ma monstruosité, et que toutes les explications de mon crime sont faites, j’attends le sort qui m’est destiné, je connais l’article du Code pénal à l’égard du parricide, je l’accepte en expiation de mes fautes » [page 183].

C’est donc à la sollicitation de l’Autre judiciaire que Pierre Rivière retrouvera le chemin de l’écriture pour tamponner l’horreur.

Chemin de l’écriture qui s’était trouvé interrompu un mois avant la commission de son crime, Pierre Rivière ayant été découvert par une de ses sœurs en train d’écrire ce qu’il appelle « l’annonce » de son acte meurtrier.

Cet écrit se serait donc présenté comme un aveu avant l’heure, un aveu anticipatoire de son projet meurtrier et déjà porteur de sa condamnation à mort à laquelle il aspire.

Il en témoigne ainsi dans l’écriture de son mémoire : « Ayant donc pris ces funestes résolutions je résolut de les mettre en execution. J’eus d’abord l’intention d’écrire toute la vie de mon père et de ma mère à peu près telle qu’elle est ecrite ici (dans son mémoire) de mettre au commencement une annonce du fait, et à la fin mes raisons de le commettre, et les niarges (à traduire noises) que j’avais intention de faire à la justice, que je la bravais, que je m’immortalisais, et tout cela ; ensuite de commettre mon action, d’aller porter mon écrit à la poste, et puis prendre un fusil que j’aurais caché d’avance et de me tuer (…) je me levai et je commençais à écrire l’annonce du commencement, mais dès le lendemain ma sœur s’en apreçut, je lui dit alors que j’écrivai la vie de mon père et de ma mère pour la présenter aux juges ou bien à un avocat que mon père irait consulter pour faire voir la manière dont il était traité avec ma mère (…) Ma sœur et c’était Aimée voulut voir ce qu’il y en avait déjà d’écrit, je me gardait bien de lui montrer, car c’était l’annonce du commencement. Elle revint un peu après avec mon père et Quevillon, je le cachai, elle dit : il est donc impossible que l’on voie cela ? Je dis qu’il fallait attendre qu’il y en eût plus d’écrits. Mais craignant qu’on ne lût cette annonce je la brulait et je pensai que j’écrirais la vie sans me cacher de personne et que je mettrais secrètement les raisons de la fin et du commencement après que cette vie serait écrite. Je me levai donc une nuit ou deux pour écrire mais je dormit presque toujours et je ne pus écrire que peu de chose. Alors je pris une autre résolution, je renonçai à écrire, et je pensai qu’après le meurtre je viendrais à Vire… » [pages 162,163].

Ce texte interrompu ou plus exactement empêché se trouve à être un pré-texte à celui qu’il écrira en prison deux mois plus tard. Je ferais ici l’hypothèse que ce qui aurait empêché Pierre Rivière de continuer son premier écrit c’est l’impossibilité à laquelle il s’est trouvé confronté de pouvoir désormais faire l’annonce de son projet meurtrier. En quelque sorte il ne pouvait plus répondre à l’impératif de dire la vérité, toute la vérité et c’est saisissant de voir qu’il reprendra à l’identique, peut-on le supposer, le programme du texte initial et surtout l’annonce qu’il avait été forcé de brûler dès l’ouverture de son mémoire, celui-ci débutant en effet en ces termes « Moi Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère, et voulant faire connaître quel sont les motifs qui m’ont porté à cette action (…) j’ai écrit toute la vie que mon père et ma mère ont menée ensemble pendant leur mariage. (…) Aprés cela je dirai comment je me suis résolu à commettre ce crime, ce que [je] pensais alors et quelle était mon intention, je dirai aussi quelle était la vie que je menais parmi le monde, je dirai ce qui se passa dans mon esprit aprés avoir fait cette action (…). Tout cette ouvrage sera stilé très grossièrement, car je ne sais que lire et écrire ; mais pourvu qu’on entende ce que je veux dire, ce c’est que je demande…» [page 89].

Comme si le pré-texte était resté écrit en lettres indélébiles dans sa mémoire, mémoire phénoménale comme on le lui reconnaîtra. En quelque sorte je dirais que le texte n’est jamais sorti de sa tête et qu’il l’a recomposé de mémoire pour une grande partie.

Une question se pose à cet endroit : qu’en aurait-il été de la position de Pierre Rivière s’il n’avait pas été interrompu dans l’écriture de ses aveux anticipatoires de ce qu’il nomme la vérité ? L’écriture avant l’heure d’un tel dessein morbide lui aurait-elle permis d’éviter le pire en apaisant ses souffrances comme ce fut le cas quand son geôlier rapporta auprès du juge d’instruction les aveux oraux qu’il lui avait faits en cellule.

Apaisement qui apparaît aussi en filigrane au terme de son mémoire malgré sa conviction d’être condamné à mort, il écrit « j’attends donc la peine que je mérite, et le jour qui doit mettre fin à tous mes tourments » [Page 184].

J’avancerai que sa détermination ravageante à dire la vérité à tout prix l’a poussé à prendre une position sacrificielle à savoir celle de mourir à la place du père maltraité par les femmes.

Il se positionnera comme le rédempteur, celui qui se sacrifie pour porter en lui toute l’horreur et en payer le prix à savoir en passer par la guillotine pour emmener avec lui cette horreur et ainsi libérer son père du fardeau de vivre mal.

Quand un mois avant la commission du crime Pierre Rivière se décide à écrire son annonce de ce qu’il va commettre, il se sait déjà mort et son texte est déjà la sentence qu’il s’inflige et qui ordonne son action.

Il est à noter que lorsque la condamnation à mort de Pierre Rivière (suite aux vives réactions du public et de certains psychiatres comme Esquirol) se trouvera commuée en emprisonnement à vie, celui-ci se donnera la mort en se pendant dans sa cellule le 20 octobre 1940.

Il me semble qu’il était impensable pour lui de rester en vie après son propre arrêt de mort décrété bien avant son acte criminel.

Les langues de l’aveu chez Pierre Rivière : de l’orale à l’écrite

Dès après la commission de son crime Pierre Rivière avouera oralement son acte aux premiers témoins de sa fuite hors du lieu du crime comme s’il lui fallait de suite se justifier, il leur dira « Je viens de délivrer mon père de tous ses malheurs, je sais que l’on me fera mourir mais cela ne me fait rien » [page 33] ou encore « Je viens de délivrer mon père, maintenant il ne sera plus malheureux » [page 36].

Le compte-rendu du premier interrogatoire chez le juge d’instruction (le 9 juillet 1835) nous montre que Pierre Rivière disposait d’une langue orale de bonne qualité associée à une bonne culture générale et alimentée par son avidité à lire tout écrit qui lui tombe sous les mains comme il en témoignera dans son mémoire « J’avais des idées de gloire, je me plaisais beaucoup à lire, a l’ecole on lit la bible de Royaumont, j’ai lu dans les Nombres et le Deuteronome, dans l’Évangile et le reste du Nouveau Testament, je lisais dans les almanachs et le géografie, j’ai (lu) dans le musée des familles et un calendrier du clergé, dans quelques histoires celle de Bonaparte, l’histoire romaine, une histoire des naufrages, la morale en action, et plusieurs autres choses, je n’aurais trouvé qu’un fragment de journal qui eût servi à torcher le derrière, je le lisais » [page 154].

Cette avidité à lire s’accompagne d’une mémorisation que je dirais magnétophonique. Sa langue orale apparaît trompeuse au vu de sa qualité et peut rendre compte du fait qu’on l’ait soupçonné d’être un simulateur de la folie.

Je vous livre un extrait de cet interrogatoire chez son juge :

« Demandé. Pour quel motif avez-vous assassiné votre mère, votre sœur Victoire et votre frère Jules ?

Réponse. Parce que Dieu me l’a commandé pour justifier Sa providence, ils étaient unis.

D. Qu’entendez-vous quand vous dites qu’ils étaient unis ?

R. Ils étaient d’accord tous trois pour persécuter mon père.

D. Vous venez de me dire que Dieu vous avait commandé les trois assassinats qui vous sont reprochés, vous saviez pourtant que Dieu ne commande jamais le crime.

R. Dieu a commandé à Moïse d’égorger les adorateurs du veau d’or, sans épargner ni amis ni père ni fils.

D. Qui vous a appris ces choses-là ?

R. Je les ai lues dans le Deutéronome : Moïse en donnant sa bénédiction à la tribu de Levi dit : votre grâce et votre plénitude ont été données au saint homme que vous avez choisi, qui a dit à son père et à sa mère : Je ne vous connais point, et à son frère : Je ne sais qui vous êtes. Ce sont là Seigneur ceux qui ont gardé vos lois et votre alliance et qui vous offriront de l’encens pour vous apaiser dans votre colère.

D. Vous avez donc lu bien des fois la Bible ?

R. Oui, j’ai lu bien des fois le Deutéronome, et les Nombres.

(…)

D. Vous avez assez d’intelligence pour savoir qu’il ne vous était pas possible d’éviter la peine que la loi inflige aux assassins et aux parricides, comment se fait-il que cette idée ne vous ait pas détourné des crimes que vous avez commis ?

R. J’ai obéi à Dieu, je n’ai pas cru qu’il y eût du mal à justifier sa providence.

(…)

D. Pourquoi ne vous êtes vous pas retiré dans les bois si telle était votre intention, avant d’assassiner vos parents ?

R. Je n’avais pas cette intention là avant mon action ; par mon action j’ai été consacré à Dieu et c’est alors que j’ai voulu me faire solitaire.

D. Jusqu’ici vous avez voulu en imposer à la justice, vous n’avez pas rendu hommage à la vérité, vous étiez hier à ce qu’il paraît dans de meilleures dispositions (ses aveux auprès du geôlier), dîtes-nous donc franchement aujourd’hui, quelle cause a pu vous porter à assassiner votre mère, votre sœur et votre frère ?

R. J’ai soutenu là un système et un rôle que je ne veux pas soutenir longtemps. Je vais dire la vérité, c’est pour tirer mon père d’embarras que j’ai fait cela. J’ai voulu le délivrer d’une méchante femme qui le tracassait continuellement depuis qu’elle était son épouse, qui le ruinait, qui le mettait dans un tel désespoir, qu’il était parfois tenté de se suicider. J’ai tué ma sœur Victoire parce qu’elle prenait le parti de ma mère. J’ai tué mon frère parce qu’il aimait ma mère et ma sœur » [pages 47, 48, 52, 53].

La traduction faite par le greffier des propos oraux de Pierre Rivière en langue écrite académique fait pour le moins disparaître tous les signes parfois discrets de sa psychose qui truffent sa propre langue écrite quand on se penche sur son mémoire. C’est-à-dire que si on lit son mémoire à haute voix on a le sentiment d’entendre en effet parler Pierre Rivière de façon correcte phonétiquement et grammaticalement. C’est au niveau de l’orthographe et de la grammaire écrites que se repèrent les ratés de sa langue indiquant le processus psychotique en cours.

Le trait le plus frappant c’est son usage très répétitif d’un « je » énoncé laissant entendre dans le même temps le « il » indéfinissable de l’énonciateur à la manière dirai-je d’une holophrase, par exemple dans l’usage du passé simple : « Et puis j’entendit (…) s’il y avait là un eau… » [page 137] ou encore « un annonce » [page 162] ces trois anomalies ne s’entendent pas en effet en langue orale car Pierre Rivière écrit comme il parle faisant la liaison holophrastique « uneau » à la place de une eau ou « unannonce » à la place d’une annonce, d’autres exemples « Je resolut aussi… » [page 157] « mais je fut retenu… » [page166].

On trouve aussi dans son écrit des néologismes censés nommer ses inventions comme son « calibene » [page 157] ou encore son expression pour nommer son supplice des grenouilles « J’appelais cela enuepharer » [page 158].

On peut dire que sa langue parlée a été révélatrice de la vérité de son crime et a soutenu ses aveux et que sa langue écrite a été révélatrice de la vérité de sa subjectivité psychotique.

Il paraît étonnant qu’au vu de sa mémoire exceptionnelle et de son avidité à tout lire ce qui lui tombe sous les yeux il n’ait pu cependant enregistrer les usages grammaticaux et orthographiques de la langue écrite. On peut poser là l’hypothèse d’un effet de la forclusion.

Remarques sur le recours aux habits du dimanche

j’avancerai l’hypothèse que si Pierre Rivière a bien programmé de s’habiller en dimanche pour commettre son action criminelle ce n’est pas uniquement pour exécuter son crime en bel habit de cérémonie (en vue de l’embellir de façon anticipatoire selon l’opération de voilage de l’horreur) comme on pourrait le croire dans un premier temps mais également pour pouvoir se présenter ainsi vêtu aux juges de Vire dès l’accomplissement de son acte et se savoir ainsi présentable devant l’Autre judiciaire l’assurant d’être pris au sérieux par ceux à qui il a l’intention de déposer la vérité des embarras conjugaux de son père et des raisons de son acte.

Les habits du dimanche répondent chez lui à une logique de l’écrit : à événement exceptionnel, habit exceptionnel pour être correctement lu.

Il y a un lien entre le choix de l’habit du dimanche et la position de son père admiré par les fidèles quand il chantait dans l’église: « Le dimanche, lorsqu’il entonna l’eau bénite, car mon père chantait à la messe, prés de cinquante personnes pleurèrent » [pages 147, 148]. L’habit du dimanche apparaît comme la marque du sérieux de son acte. Il signe le recours à un contrat moral, à un programme pour le moins testamentaire qui sans doute permet à Pierre Rivière de se soutenir devant la commission de l’horreur. Son crime apparaît en quelque sorte comme une action sociale à traiter avec le sérieux des habits du dimanche.

L’habit du dimanche renvoie au respect impératif du jour dominical consacré à Dieu.

Une fois prise sa décision de commettre son action en habits du dimanche, feront suite une série d’empêchements à l’exécution de son funeste projet, empêchements qui contraignirent Pierre Rivière à changer d’habits plusieurs fois pour ne pas trop éveiller l’attention.

Son habillage « de fête » plutôt insolite pour un jour de semaine sera en effet l’occasion des questionnements de ceux qui le rencontreront dans la rue.

Face à ces empêchements, nous noterons là encore que Pierre Rivière se doit de reculer à faire entrer son exception (l’habit du dimanche) dans l’universel et se résigner à entrer dans l’universel en habit de tout le monde le privant ainsi de sa gloire et de son exception. Il écrit dans son mémoire à défaut de pouvoir se présenter habillé « en mon dimanche » : « Je me pensai : qu’importe que je sois habillé bien ou mal, je m’expliquerai tout aussi bien sans avoir des beaux habits » [page 168].

Nous voyons clairement là que Pierre Rivière attendait de ses habits du dimanche non pas de le soutenir dans la commission de son crime mais bien plutôt de soutenir sa parole, de soutenir son discours auprès des Juges. D’ailleurs nous verrons que toutes ses errances après le crime tournent autour d’un point central soit se rendre à Vire pour dire au monde la vérité des malheurs de son père et les raisons justifiées de son acte.

C’est-à-dire que son choix des habits du dimanche inclus dans son programme meurtrier s’inscrit comme conséquence logique de l’exécution du crime, à savoir de pouvoir s’expliquer convenablement devant l’Autorité du royaume (directement au Juge plutôt qu’aux gendarmes !)

L’habit du dimanche se trouvera en quelque sorte être déjà son habit de deuil.

Bibliographie

1) Foucault. M, Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère…Un cas de parricide au XIXe siècle Editions Folio Histoire n° 57.

2) Les numéros de page entre crochets [ ] renvoient à l’ouvrage précédemment cité Moi Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère… L’orthographe avec ses erreurs est celle utilisée par Pierre Rivière dans son mémoire.