Association de Psychologues Cliniciens d'Orientation Freudienne

Itinéraire de l’angoisse dans l’histoire de la psychiatrie – 7eme Journée Atelier Histoire des concepts – L’abréaction des affects

affiche-decembreFlorence HAUTECOEUR

Si l’angoisse a toujours fait partie des tableaux cliniques, elle n’a pas d’emblée été individualisée comme telle. Longtemps symptôme, elle a d’abord été considérée comme une expression parmi d’autres de la mélancolie, de l’hypocondrie, et même des maladies somatiques. Entendues dans une acception majoritairement physique, l’angoisse comme l’anxiété ont suivi dans un premier temps le cours des théories explicatives, des humeurs aux vapeurs, sans être l’objet d’un intérêt spécifique.

Nous reviendrons alors sur ce moment, de la deuxième moitié du 19ème siècle, où l’angoisse est proprement isolée et individualisée non plus seulement comme symptôme mais comme entité. Ce ne sont pas uniquement des aliénistes mais aussi des médecins somaticiens qui s’intéressent aux manifestations de la sensibilité et mettent l’angoisse au premier plan. Si les premiers s’inscrivent dans un débat sur la place des troubles de la sensibilité par rapport aux troubles de la pensée, et extraient l’angoisse pour lui donner une place à part entière, les seconds font de l’angoisse le prototype de la « maladie nerveuse », qu’il s’agit de distinguer de l’aliénation et des autres névroses. Depuis le délire émotif de Morel ou le vertige mental de Lasègue au nervosisme de Bouchut, l’angoisse se trouve ainsi située à la croisée des chemins entre la psychiatrie et la médecine, ce qui ne sera pas sans conséquences quant à sa conception ni quant à son destin.

La catégorie de la névrose d’angoisse que Freud isole à la suite de Hecker s’inscrit, elle aussi, dans cette tentative pour individualiser la « poussière cosmique » d’états névropathiques, pour reprendre les mots de Charcot. Je laisserai le soin à mes collègues, dans la suite de cette journée, de détailler le destin de l’angoisse chez Freud, au-delà de la névrose du même nom. Et nous terminerons, quant à nous, sur le mouvement de séparation de l’angoisse et de l’anxiété qui s’ouvre avec le XXème siècle.

1. L’angoisse, un symptôme parmi d’autres

Commençons par un peu d’étymologie, ce qui nous permettra d’emblé d’ébranler l’a priori selon lequel l’angoisse et l’anxiété ont de tout temps été distinguées. En latin, on trouve deux verbes ango et anxio signifiant à la fois « resserrement » et « tourment ». De la racine ango est dérivé le mot angoisse en français et Angst en allemand. De anxio, le français anxiété et l’anglais anxiety. Là où l’anglais et l’allemand ne connaissent qu’un seul terme, le français en connaît donc deux. Pour autant, angoisse et anxiété sont, au départ, utilisées de façons indifférenciées et nous verrons que ce n’est qu’à la fin du XIXème siècle que certains auteurs français ont cherché à établir une différence de nature entre les deux.

Des angoisses de l’estomac aux angoisses respiratoires

L’angoisse apparaît en français à la première moitié du XIIème et désigne un passage resserré mais aussi au sens figuré « une oppression, une anxiété physique et morale »1. C’est le sens de l’oppression physique qui l’emportera pendant longtemps. Conformément à cet usage, l’angoisse vient désigner une sensation de resserrement thoracique ou une douleur de constriction épigastrique. On parle alors des « angoisses de l’estomac » ou des « angoisses respiratoires ».

Déjà, au 4ème siècle avant J-C, Hippocrate nommait l’angoisse phrontis, terme se référant au diaphragme, et la rattachait à l’hypocondrie dont il localise le siège, conformément à la théorie des humeurs, dans la région de l’estomac. Il en donnait la description suivante : « le malade semble avoir dans les viscères comme une épine qui le pique; l’anxiété le tourmente. […] la région du diaphragme est enflée »2.

Boissier de Sauvage, médecin et botaniste français fondateur de la nosologie, utilise quand à lui le terme d’anxiété en 1812 pour décrire la sensation liée à l’impossibilité de respirer « si on retient la respiration pendant une ou deux minutes, la poitrine se trouve dans une grande anxiété : ce qui remplit l’âme de crainte »3.

A la même époque le Dictionnaire des sciences médicales met en série l’inquiétude, l’anxiété et l’angoisse comme trois degrés du même état pathologique. L’anxiété comme l’angoisse y sont définies comme des états proprement physiques, présents dans les maladies somatiques (fièvre ou empoisonnement). Ainsi l’anxiété « qui s’empare du malade dès l’invasion d’une fièvre continue, annonce une maladie très grave »4, l’angoisse, quant à elle, « précède l’agonie »5.

L’angoisse comme l’anxiété touchent d’emblée au corps, désignant la gêne respiratoire, l’oppression douloureuse et la constriction de l’estomac. C’est donc par ses effets sur le corps, ses effets physiologiques et organiques, que l’angoisse ou l’anxiété sont définies. A cet état physique sont cependant associés les cauchemars, les visions effrayantes, le sentiment de tristesse, la crainte de la mort.

De la maladie des nerfs à l’irritation cérébrale

A partir du XVII et surtout du XVIIIème siècle, les théories humorales concernant l’hystérie et l’hypocondrie sont remises en questions au profit des « vapeurs » et de leur extension comme « maladie des nerfs ». Progressivement l’angoisse ou l’anxiété sont associées aux nerfs puis, lorsque l’étiologie cérébrale concurrence l’étiologie « nerveuse », au cerveau. Mais angoisse et anxiété garderont une affinité avec la région de l’estomac et du cœur, qu’il s’agisse de mettre en cause l’ingestion d’aliments, l’altération des nerfs de la nutrition, leur racornissement ou bien encore les désordres artériels.

Pinel relève, dans son Traité sur l’aliénation mentale (1801), la fécondité des anglais à décrire l’inquiétude et l’anxiété. Peut-être fait il référence au roman gothique anglais, qui fait entrer l’angoisse dans la littérature, ou bien à George Cheyne, physicien écossais, qui utilise dès 1733 le terme d’anxiété pour décrire ce qu’il nomme The English Malady6. Cette maladie nerveuse, typique selon lui de la haute société anglaise, est due aux mauvaises habitudes alimentaires d’un mode de vie luxueux. Comprenant l’anxiété, l’agitation nerveuse et la mélancolie, George Cheyne considère en être lui-même atteint et préconise comme traitement une diète équilibrée et des exercices physique.

En France, Louyer Villermay7 invoque une altération des nerfs de la nutrition et l’action des substances ingérées dans l’estomac, telles que l’abus des aliments, ou l’habitude d’une table trop recherchée.

La maladie des nerfs, qui n’affecte ni l’intelligence ni la conscience, fait sortir l’angoisse et l’anxiété du cadre de l’aliénation mentale. Angoisse et anxiété deviennent la conséquence d’une mauvaise hygiène de vie ou des progrès de la civilisation : mauvaises habitudes alimentaires, sédentarité, excès de travaux intellectuels, ou mauvaise hygiène morale.

2. L’angoisse au premier plan

C’est autour des années 1860-1870 que l’angoisse est progressivement extraite du tableau de l’hypocondrie pour être individualisée. Les aliénistes comme les somaticiens isolent en effet un groupe de symptômes centrés autour d’un symptôme fondamental, l’angoisse. Chacun revendique une appellation et tous cherchent à distinguer cet état de l’aliénation d’une part, et de l’hypocondrie et de l’hystérie d’autre part.

Le débat Morel/Westphall

Pour les aliénistes, c’est autour du débat sur la place des troubles de la sensibilité par rapport aux troubles de la pensée que l’angoisse est individualisée. Se basant sur la présence conjointe de l’angoisse et des idées obsédantes, il s’agit de savoir ce qui, de l’angoisse ou de l’idée obsédante, est première et déterminante. En effet, là où certains considèrent que les idées obsédantes prévalent sur l’angoisse, qui n’est qu’un phénomène strictement réactionnel, les autres revendiquent une place pour l’angoisse indépendamment des idées obsédantes.

Morel est le premier à isoler l’angoisse pour faire de l’état émotif l’élément essentiel d’une névrose. Il décrit, en 1866, ce qu’il nomme le délire émotif : « maladie d’exagération de la sensibilité »8. Il s’agit, pour lui, d’une névrose consistant en une émotivité exacerbée avec idées fixes, craintes et rituels qu’il attribue à un désordre du système nerveux « ganglionnaire viscéral, source supposée des émotions ». Morel distingue le délire émotif de l’aliénation mentale comme de l’hypocondrie et de l’hystérie. D’une part, parce que les fonctions intellectuelles et de jugement sont conservées, et qu’il n’y a pas d’interprétation ou de transformation de la personnalité ; d’autre part, parce qu’il s’agit, selon lui, de souffrances réelles.

Westphal décrit en 1877 les mêmes phénomènes que Morel mais, là où Morel fonde sa névrose sur l’état émotionnel, pour Westphal les « idées obsédantes » sont des troubles purement intellectuels, l’angoisse qui les accompagne n’étant qu’un phénomène accessoire et accidentel.

C’est à ces deux théories opposées que se sont, tour à tour, rangés les auteurs qui ont traité la question :

– ceux qui suivent Westphal, Von Krafft Ebing en Allemagne, et Magnan en France, considèrent que l’angoisse résulte de la lutte de la volonté contre l’envahissement de l’idée obsédante. Même si le trouble de la sensibilité intervient, c’est donc l’idée qui prévaut.

– Ou ceux qui suivent l’idée que l’angoisse est le phénomène essentiel, comme Seglas qui considère que « l’obsession repose toujours sur un fond d’émotivité pathologique », ou Hecker puis Freud, qui isolent une véritable névrose émotionnelle, la névrose d’angoisse, sur laquelle nous reviendrons.

Les aliénistes et le sens moral de l’angoisse

D’autres aliénistes s’intéressent à l’angoisse, indépendamment de son articulation avec les idées obsédantes, et regroupent des symptômes centrés autour du phénomène de l’angoisse pour constituer une entité à part entière. Ce faisant, on voit progressivement apparaître le sens moral de l’angoisse et non plus seulement son acception physique.

Ainsi Jules Falret propose le terme d’hypocondrie morale avec conscience de son état, caractérisée par l’altération des sentiments plutôt que par l’altération de l’intelligence et notamment « un sentiment moral d’angoisse et de désespoir ». « Ces malades présentent une anxiété vague et indéterminée, une disposition générale à tout voir en noir… Ils sont, au moral, ce que les hypocondriaques sont au physique… Mais c’est surtout par le côté émotif que se caractérise cet état mental. Sous l’emprise d’un sentiment de crainte indéterminée, ces aliénés ressentent des émotions involontaires et des terreurs instinctives, pendant le jour et pendant la nuit. Il leur semble qu’ils vont éprouver un grand malheur, qu’ils sont menacés, eux et leur famille, d’une catastrophe ou d’un événement inattendu. »9 Cette description correspond strictement à ce que Freud désignera sous le nom d’attente anxieuse.

Lasègue, quant à lui, décrit ce qu’il appelle le vertige mental : une affection qui reprend les caractéristiques du vertige auxquelles s’ajoute une «  angoisse morale qui peut s’élever jusqu’au délire de la folie »10. La crise de vertige mental – équivalent de l’actuelle crise d’angoisse – débute par « un sentiment d’angoisse précordiale, épigastrique, à forme compressive » – toujours cette définition physique de l’angoisse -, puis suit « une sensation de collapsus, de défaillance imminente. […] L’inquiétude morale plus ou moins comparable à la peur devient bientôt l’élément dominant de la crise11. ».

Dans sa description très fine des conditions et de l’évolution du vertige mental, Lasègue met en avant le caractère soudain, imprévu de l’angoisse et le rôle de l’élément visuel dans son déclenchement. Si « l’anxiété mentale (…) éclate subitement sans avoir été précédée d’une délibération ou d’un réflexion », Lasègue relève que le point de départ de la crise est le plus souvent un trouble visuel ou la vue d’un objet spécifique : « une jeune fille ne peut se regarder dans le miroir sans être prise d’un malaise intellectuel et physique [puis d’une] défaillance qui, en s’exagérant, arriverait à la syncope […] elle a des doutes sur sa personnalité, qui lui devient indistincte » ; ou encore « le malade a l’aspect d’une épingle, d’une allumette, d’un fragment de verre, d’un animal, entre en crise12 ». L’angoisse résulte d’une rencontre – soudaine et imprévue – avec un objet, ici l’objet regard. D’autant plus qu’il ajoute plus tard : « qu’un malade tremble d’être ruiné, déconsidéré, condamné ou menacé d’une affection mortelle » importe peu : le contenu de l’angoisse est indifférent puisque interchangeable, labile, évolutif. Bien que Lasègue ne théorise pas dans ce sens, on touche là à la différence entre le contenu de l’angoisse et son objet. L’angoisse n’est pas attrapable par son contenu mais par son objet, par le surgissement de l’objet.

Par ailleurs, Lasègue pointe l’articulation de l’angoisse avec le délire : dans certains cas « la maladie ne se limite pas aux sensations et aux sentiments mais touche à l’intelligence qui donne corps aux sensations, les commente et les explique, le malade devient alors délirant, […] il constitue une étiologie imaginaire à son malaise ». On trouve là chez Lasègue le germe de ce qui deviendra la fonction du délire : donner corps aux sensations, les commenter, les expliquer, constituer une étiologie imaginaire au malaise, autrement dit, fournir une explication sur un versant imaginaire à la perplexité.

L’angoisse, objet des somaticiens

A cette époque l’angoisse n’est pas seulement un objet pour les aliénistes ; dans la lignée des maladies nerveuses, l’angoisse qui en devient le prototype, intéresse de plus en plus les médecins somaticiens. Ceux-ci revendiquent la création d’une entité distincte, objet de la médecine. Sandras, médecin des hôpitaux, propose ainsi que les maladies « purement nerveuses » constituent un nouveau champ de la médecine. Il ajoute également : « il y a peu de personnes qui n’en soient accidentellement affectées ; presque toute l’espèce humaine y est sujette, au moins dans certains moments de la vie ». L’angoisse devient un affect universel causé par des évènements de la vie quotidienne : accouchement, ménopause, décès. C’est ce qu’avance Bouchut13 en 1856 qui fait du nervosisme une névrose « sans grande gravité » produite presque mécaniquement par l’inanition, l’épuisement, les saignées menstruelles…

Krishabert, ORL, propose en 1873 le terme de névropathie cérébro-cardiaque centrée sur l’attaque d’angoisse14. Il en fait une description précise et en souligne comme Lasègue l’arrivée brusque « c’est une véritable sidération du système nerveux dont le mode d’apparition est instantané15 ». Krishabert a la particularité de donner la parole au malade, il leur demande en effet de décrire par écrit leur crise, il souligne alors dans ces témoignages la prégnance des troubles visuels: « Il y avait, dit le malade, et il le répète souvent, entre ses troubles visuels et le doute sur son existence, une relation intime ; l’un augmentait avec l’autre ».

L’angoisse revendique une place au sein de la médecine, devenant le symptôme phare de nouvelles entités : nervosisme, névropathie cérébro-cardiaque… Si l’angoisse s’appuie sur une prédisposition héréditaire, cet état se déclenche presque mécaniquement en fonction de facteurs extérieurs (choc émotionnels, condition de vie ou de travail). Les causes déclenchantes se rattachent à des excès, un trop (trop de nourriture, trop de travail, trop d’émotions) qu’il s’agit donc de tempérer. Les méthodes thérapeutiques, régies par un hygiénisme, visent à réduire les sources de tension émotionnelles : « il faut le mettre à l’abri des impressions pénibles ou douloureuses, lui épargner toute contrariété éviter les abus mais permettre les distraction », le traitement en préconisant des bains tièdes, des tisanes, de l’opium ou le renouvellement de l’air, et des séjours à la campagne vise à calmer les effets de l’angoisse tout en laissant sa cause intouchée.

La névrose d’angoisse

A partir de 1870, la neurasthénie, centrée sur une fatigue physique d’origine « nerveuse », connaît un succès et une extension qui éclipse le reste. Cette catégorie regroupe en effet une cinquantaine de symptômes hétérogènes parmi lesquels on trouve l’attaque d’angoisse. Beaucoup critiquent cependant l’extension trop grande de la neurasthénie, dont Charcot qui rejette les états anxieux et la « crise angoissante » de son cadre. Hecker décrit en 1892 ce qu’il appelle la névrose d’angoisse mais qu’il considère comme une forme de neurasthénie. Freud reprend en 1895 la description de Hecker mais la dégage du cadre de la neurasthénie. Il les considère cependant toute deux comme des névroses dites « actuelles », dont la cause doit être cherchée dans les « désordres de la vie sexuelle actuelle ».

La névrose d’angoisse, véritablement centrée autour du symptôme de l’angoisse, comporte différentes formes d’angoisse : l’état d’angoisse chronique, l’accès d’angoisse, et les peurs illégitimes. Le « noyau de la névrose » est cet état d’angoisse chronique, appelé attente anxieuse, où le malade est dans l’état émotif que pourrait lui causer l’attente d’un malheur. Le « quantum d’angoisse librement flottant [dit Freud] est prêt à se lier avec n’importe quel contenu représentatif »16. L’angoisse peut ainsi se manifester par des phobies et des obsessions mais sans que l’affect d’angoisse provienne d’une représentation refoulée. Cette anxiété chronique, latente, peut aussi prendre la forme d’une irruption brusque, d’un accès d’angoisse. Soit il s’agit alors d’une attaque d’angoisse pure, sans représentations, soit d’angoisse accompagnée ou remplacée par un certains nombre de symptômes physiques, « équivalents somatiques de l’angoisse ». Freud reprend là ce qu’avait souligné Hecker concernant les troubles somatiques : non seulement ils accompagnent l’angoisse mais ils peuvent en être les seuls représentants.

Pour Freud l’angoisse est causée par une accumulation d’excitation sexuelle, un excès de tension libidinale que l’appareil psychique n’arrive pas à résoudre, à transformer. Dans la causalité de l’angoisse pour Freud, il y a donc d’un côté un excès (que l’on retrouve d’ailleurs dans les autres théories aliénistes ou somatiques – excès d’étude, excès de sensations vénériennes) et de l’autre un manque : un manque du côté de l’appareil psychique de représentation de la pulsion, autrement dit un défaut d’élaboration psychique.

Quand l’angoisse se distingue de l’anxiété.

A la fin du XIXème siècle, l’angoisse et l’anxiété sont sur le devant de la scène à tel point que Kraepelin écrit en 1899 que  « le trouble affectif le plus important rencontré chez les malades c’est l’anxiété ». C’est à partir de cette époque qu’en France certains auteurs cherchent à opérer une distinction entre l’anxiété et l’angoisse. Pour le Littré, c’est une différence de gradient d’intensité. Pour Brissaud, élève de Charcot, c’est une différence de nature. Il décrit ainsi en 1890 l’anxiété paroxystique avant d’opposer le caractère physique de l’angoisse, résultant d’un déterminisme neurologique, à la dimension psychique de l’anxiété, qu’il rattache à un sentiment d’insécurité indéfinissable. On retrouve d’ailleurs un écho de ce débat à la Société de Neurologie en 1902 avec les hypothèses sur leurs localisations réciproques : l’anxiété serait un phénomène « cérébral » quand l’angoisse serait « bulbaire ».

Dans les pays anglo-saxon, où je le rappelle, il n’existe pas deux termes, c’est à partir des deux guerres mondiales que va s’opérer une différence entre anxiety, terme jusque là existant et un terme nouveau, panic. A partir de 1920 en effet l’intérêt pour les mécanismes de suggestion au sein de l’armée amène à employer le terme de « panic » pour caractériser des phénomènes de masse. Lors de la deuxième guerre mondiale le terme sera utilisé pour décrire des réactions individuelles à un stress de combat.

Mais c’est véritablement en 1962 avec les tests pharmaceutiques de Klein qu’une distinction s’opère entre la crise d’angoisse, rebaptisée « panic attack » et l’anxiété permanente. Klein montre en effet à partir de tests cliniques que l’imipramine, une molécule, supprime les attaques d’anxiété paroxystique mais reste inefficace sur l’anxiété permanente. Il distingue alors l’anxiété aigue qu’il nomme « panic » de l’anxiété permanente – chronique – qu’il nomme « anxiety ». C’est sur cette base, pharmacologique, que la névrose d’angoisse a été subdivisée en deux entités distinctes : le trouble panique et les états anxieux. Cette dichotomie est entérinée et officialisée par les classifications internationales dès le DSM III, le DSM IV et la CIM10.

Cette décision de différencier les formes aigues et chroniques de l’angoisse ouvre, à partir des années 60, sur une clinique nouvelle : celle des crises de paniques, quantitative, descriptive, articulée à la logique médicamenteuse des substances qui permettent de calmer l’angoisse

Il y a donc toujours une difficulté à définir l’angoisse comme telle, autrement que par ses effets sur le corps, ses effets physiologiques, organiques, c’est pourquoi les romanciers ou les philosophes en disent plus long sur l’angoisse, l’approchent davantage que la psychiatrie.

Les médicaments traitent les effets mais laissent la cause intacte, intouchée : ils apaisent, ils désangoissent, ils calment, ils tiédissent, endorment… hors champ de la question du sujet et de son expérience subjective.

1 Trésor de la langue française, disponible en ligne.

2Hippocrate, Maladie II, Paris.

3 Boissier de Sauvages F., Nosologie méthodique, vol 1, Lyon, 1772, p74.

4 Dictionnaire des sciences médicales, vol 2, Paris, Panckoucke, 1812, p216.

5 Ibid., p 137.

6 G. Cheyne, The English Malady, Dublin, 1733.

7 Louyer Villermay M., Traité des vapeurs, ou maladies nerveuses et particulièrement de l’hystérie et de l’hypocondrie, Paris, 1832.

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