Association de Psychologues Cliniciens d'Orientation Freudienne

L’adéquation ou inadéquation des liens père et mère

Dario MORALES

Nous voulons présenter ce soir les enjeux psychopathologiques au cours de ce moment qu’est la périnatalité, moment clé dans le destin de devenir parents ; d’une part, une interrogation pour le sujet féminin sur son devenir de mère et pour l’homme moment qui revient à l’exercice de sa fonction de père. D’une part et de l’autre, pour les partenaires il s’agit d’un nouveau positionnement face à l’objet-enfant. Ce moment met en prime abord, à l’évidence les multiples arrangements auxquels les partenaires se soumettent, à travers leurs agirs, leurs fantasmes, leurs mots. A l’encontre des attentes, car la mythologie humaine est riche, à l’harmonie supposée, faite des rêves, des scénarios, des illusions, les partenaires rencontrent leur propre béance, leurs impasses. Le sevrage est le rappel pour chacun, d’une coupure fondamentale qui ampute le sujet de sa plénitude initiale d’être. Au fond, être parent, renvoie chacun à sa propre castration. Chez la femme, la question serait comment le sujet se dépêtre dans sa féminité dans son rapport au manque et pour l’homme en tant que partenaire de la mère, comment il engage son désir, son rapport au symbolique et l’inscription générationnelle de son enfant.

Dans l’expérience contemporaine, accéder au statut d’être parent, et celui d’accompagner l’enfant dans le sevrage, première étape de séparation dans ce long processus qu’est la construction d’un sujet, pose de façon inédite la question de l’adéquation et inadéquation des liens père et mère à l’égard de leur progéniture sur les registres S, I, R. Ainsi pour l’enfant il est en effet livré aux soins dits « maternels » qui ne dépendent pas de son amour ni d’un instinct maternel mais du désir inconscient de la mère. Il ne s’agit pas de savoir si la mère est pleine d’objets comme le proposait Mélanie Klein, ni si elle est « suffisamment bonne », version Winnicott ; il ne s’agit pas non plus d’une unité duelle mère – enfant, version Balint. Il s’agit à chaque fois de la dialectique du désir dans son rapport au manque. L’enfant vient alors suturer le manque de la mère et du coup la place de l’enfant mesure pour la femme son rapport à la castration. D’où les chemins de traverse par lesquels se construit le rapport de la mère à l’enfant et qui empruntent les voies des fantasmes inassouvis, la recherche d’une réparation, la fascination morbide, le rejet qui ligote les relations à construire, voire l’infanticide, la mort de soi à travers l’autre. Parfois il faut des années et à l’après coup pour comprendre chez nos patientes femmes ou hommes, les ravages, la jouissance qui a habité la mère. Celle qui a lâché son enfant, dans le hurlement des cris et des silences. Beaucoup de patience et de prudence, lorsqu’il s’agit de défaire et de mieux nouer cette absence d’inscription symbolique.

Prenons à contrepied le sous-titre de la soirée : « la violence périnatale ». Du point de vue de la clinique, l’agressivité, la haine sont fondamentalement constitutives de l’échafaudage humain. L’agressivité de l’enfant mais aussi celle des parents à son égard sous-tendent la dynamique relationnelle. Or il y a violence lorsque la séparation échoue à se construire. D’ailleurs elle peut rester discrète pendant une période, quoique parfois on ait affaire à l’enfant tyrannique, l’activité pulsionnelle à la puberté peut donner à ce phénomène une dimension explosive au moment de l’adolescence. Inversement, la violence des parents, sous les formes sournoises de la maltraitance ou de la négligence, prennent une dimension particulièrement dramatique lorsque le père en est l’agent. Elle est aiguisée par la rivalité durant la grossesse de la partenaire, vécue sous le mode imaginaire de la toute-puissance absolue de la mère, lorsque le partenaire a l’impression qu’il est exclu de la diade mère-enfant ou encore lorsque le père abuse de l’autorité justement par sa défaillance à faire preuve d’autorité ; ou lorsque le père projette chez sa progéniture l’idéal déçu de l’enfant parfait, déçu de ne pas avoir trouvé chez l’enfant idéal ce qu’il n’a pas été ou aurait aimé être. L’autorité se mue en emprise, le lien se fait brutal, la parole s’efface devant les châtiments corporels ; le pouvoir affirme sa maîtrise, de celui qui ne se trompe jamais. Ou bien, le père devient absent, démissionnaire, ou copain, éveillant chez l’enfant des sentiments agressifs, voire des passages à l’acte violents.

Enfin, pour rester dans la vision contemporaine, à mesure que décline l’empire du père, le statut de la matrice gagne du terrain, instaurant un vouloir être de la mère généralisée. Et paradoxalement, le fait d’être père cesse parfois d’être une fiction symbolique légale pour devenir une réalité biologique. Cette nouvelle donne n’est pas sans conséquence dans l’ordre social du sujet féminin confronté à son désir d’avoir un enfant, sans forcément fonder une famille ; certainement des nouvelles formes de violence se dévoileront à cette occasion, lorsque à juste titre le sujet féminin ou masculin encouragés par le droit de vivre l’identité sexuelle et sociale qui leur plait, réalisent à l’après coup, par le biais du symptôme de leur enfant, que le tiers n’est pas présent ! Voilà quelques-unes des questions que je me pose en tant que clinicien lorsque je rencontre des adultes en passe d’être parents !!