Association de Psychologues Cliniciens d'Orientation Freudienne

Mme GI, Entre hystérie et mélancolie, quel diagnostic de structure? – 39eme soirée – Un cas de Freud : la femme aux épingles

Monique-Geneviève GARNIER

  1. SC affiche 39 22En préambule

Le cas de Mme Gi nous invite à orienter nos interrogations vers le questionnement se rapportant au diagnostic de structure. Afin d’étayer notre réflexion, nous prendrons tout d’abord appui sur les écrits de Freud précédant la rédaction de son célèbre texte : « Deuil et Mélancolie ». Nous chercherons, dans un second temps, à montrer en quoi ces premiers apports théoriques permettent de soutenir l’hypothèse selon laquelle Mme Gi, dans toute sa dimension dramatique, nous apporte un éclairage sur le cheminement créatif du sujet au prise avec une psychose mélancolique.

  1. Retour aux premiers textes freudiens : avant 1915

On a pris l’habitude de référer- en priorité – la mélancolie dans l’oeuvre de Freud à son célèbre texte de 1915 : « Deuil et mélancolie . C’est en effet à partir de cette période qu’il établit la distinction entre les névroses actuelles et les névroses narcissiques. Ce texte princeps a été – comme souvent chez Freud – le prolongement d’une réflexion dont on peut saisir les prémisses dès 1887, lorsqu’il commence à rédiger «La naissance de la psychanalyse », ouvrage dans lequel on trouve les fameuses lettres à Fliess.

La correspondance du 8 février 1893 comprend un premier diagnostic différentiel entre névrose et psychose : « la névrose d’angoisse se distingue la plupart du temps de la mélancolie vraie par son rapport en apparence rationnel, avec quelque traumatisme psychique …De plus, cette dépression périodique est dépourvue de l’anesthésie psychique (sexuelle) qui caractérise la mélancolie ».

Un an plus tard (lettre de juin 1894) Freud introduit la question de l’évolution libidinale dans cette pathologie : « Il arrive très souvent que les mélancoliques soient des frigides… Nous pourrions dire qu’ils éprouvent une grande tension érotique psychique ; lorsque cette dernière vient à s’accumuler sans qu’une décharge se réalise, la mélancolie fait son apparition. Il s’agirait donc, dans ce cas, d’un pendant à la névrose d’angoisse. Quand il y a accumulation de tension sexuelle, nous avons affaire à une névrose d’angoisse ».

Encore un peu plus tard, (en janvier 1895) on peut lire :« La mélancolie peut se produire à la manière d’une poussée de neurasthénie en tant que résultat de la masturbation , on voit ici apparaître la question de l’auto – érotisme.

Dans un dernier passage extrêmement dense, Freud aborde la question de la perte d’objet, de son rapport à la pulsion orale et enfin du retrait libidinal sur le moi : « L’affect de la mélancolie est comparable à celui du deuil, ce qui laisse supposer une perte, perte ici dans le domaine des besoins instinctuels ; La mélancolie se combine typiquement avec une angoisse grave… La névrose alimentaire dite anorexie, peut se comparer à la mélancolie. L’anorexie des jeunes filles – qui est un trouble bien connu – m’apparaît, après observation poussée, comme une forme de mélancolie chez des sujets à sexualité inachevée. La malade assure ne pas manger simplement parce qu’elle n’a pas faim. Perte d’appétit – dans le domaine sexuel, perte de libido… Dans la mélancolie, il y a une inhibition psychique accompagnée d’un appauvrissement instinctuel… La paranoïa peut s’achever par une mélancolie ou une mégalomanie ». On aperçoit, dans cette dernière phrase, en quoi la paranoïa constitue un système de défense contre le risque de régression pulsionnelle à un stade antérieur, plus mortifère.

Enfin, dans une lettre de 1897, Freud fait une allusion à un autre élément structural essentiel, sur lequel il reviendra longuement de 1920 à 1923, lors de l’élaboration de sa seconde topique. Il s’agit des relations qu’entretient la mélancolie avec les processus d’identification : « l’identification peut être un mode de penser qui ne livre pas ses motifs inconscients (mélancolie, maladie hystérique) ».

Ces premiers extraits nous révèlent à quel point Freud se montre très tôt sensibilisé par la correspondance de l’état mélancolique et de différentes variétés de la structure psychotique.

  1. L’importance des mécanismes de défense

En 1896, Freud rédige son étiologie sur l’hystérie, et quelques autres textes portant sur l’étiologie des névroses et les psychonévroses.

Dans : « Nouvelles remarques sur les psychonévroses de défenses , il réaffirme l’importance de la question de la défense en tant que point nucléaire des psychonévroses. Il s’attarde notamment sur les effets du refoulement dans les cas de la névrose obsessionnelle. Ces conceptions seront modifiées par la suite, mais ce qui se maintient de cette première époque c’est l’importance que jouent les représentations à contenu sexuel dans le processus de refoulement et leur destin selon la réussite ou l’échec de l’élaboration d’une défense. Lorsque la fonction du refoulement échoue, le retour du refoulé ne parvient jamais à la conscience sans subir une modification. Les symptômes de compromis, représentant le retour du refoulé, relèvent de la défense primaire : ce qui devient conscient comme représentations, ce sont des formations de compromis entre les représentations refoulées et refoulantes.

Freud commence à cette époque à distinguer les différents mécanismes de déformation possibles. Dans les cas de neurasthénie ou de mélancolie périodique le retour des représentations obsédantes s’accompagne d’affects de déplaisir. Dans les névroses, le moi, pour se défendre contre ces rejetons du souvenir refoulé, crée des symptômes, constituant la défense secondaire : ce sont des mesures de protection contre les représentations obsédantes. Par exemple, dans la névrose obsessionnelle, la défense secondaire peut s’effectuer par une dérivation forcée sur d’autres pensées. En cas de réussite de ces symptômes aux prises avec le retour du refoulé, la compulsion se transfère aux conduites elles – mêmes. Chaque fois que la compulsion névrotique apparaît dans le psychisme, elle provient du refoulement. La phobie constitue l’illustration modale du rôle joué par ces actions et impulsions compulsives. L’activité de compulsion (Zwang) reste indépendante et ne doit pas être confondue avec l’intensité de la représentation. Elle est irréductible par l’activité psychique de conscience et ne dépend d’aucune manière de la représentation à laquelle elle s’attache. La seule cause de ce caractère inattaquable de la représentation est sa relation avec le souvenir primitivement refoulé. Si l’on parvient à rendre ce contenu conscient, et c’est là le rôle de l’analyse, c’est alors seulement que la compulsion est réduite elle aussi.

Ce texte de Freud étaye notre représentation de la compulsion et sa fonction, mais il ne nous permet pas de comprendre pourquoi la névrose trouve un point de capiton grâce au symptôme alors que la psychose le déborde de toute part ?

Pour revenir aux Lettres à Fliess, Freud notait en 1897 que : « Le refoulement des pulsions ne semble pas engendrer d’angoisse, mais de la dépression – peut-être de la mélancolie ». La mélancolie semble donc bien se lier à l’extrême difficulté d’une possible perspective d’investissement d’objet.

En 1910, Freud écrit une : « Contribution à la discussion sur le suicide ». Il nous précise cette importante remarque : « on ne comprendra le phénomène du suicide qu’en référence à ceux du deuil et de la mélancolie ; or la nature des affects dans ces deux états nous demeurent inconnu ».

En 1915, Freud rédige « Deuil et Mélancolie ». Il différencie ces deux états en établissant une liaison directe avec la question de l’investissement objectal : « dans le deuil, il n’y a pas de perte de l’estime de soi comme dans la mélancolie » et un peu plus loin : « ce qui domine dans le tableau clinique de la mélancolie, c’est l’aversion du malade à l’égard de son propre moi ». L’investissement objectal cède la place au ravage de l’autoévaluation : « les auto -reproches sont reproches contre l’objet d’amour qui sont basculés de celui-ci sur le moi – propre … Il y a dans la mélancolie une identification du moi avec l’objet perdu, alors que le processus normal aurait été le retrait de la libido ; cela vient de ce que le choix d’objet s’est opéré narcissiquement ».

  1. En conclusion : entre hystérie et mélancolie

Au vu de cet éclairage freudien, on pourrait poser l’hypothèse suivante : la conjoncture dramatique survient dans l’histoire de Mme Gi à l’énonciation de son renoncement à la maternité. L’intensité de la représentation « je vais être mère » était probablement suffisamment importante pour contenir, un temps, le déchaînement pulsionnel chez Mme Gi. Lorsque son mari lui annonce sa stérilité, il incarne peut-être à ce moment là l’Un Père qui ordonne la jouissance autre que phallique. Quelque chose qui était contenu derrière la barrière du refoulé lâche chez Mme Gi, et la compulsion se met en place dans ses conduites. Cette compulsion ne prend cependant pas l’allure de l’hystérie ou de la névrose obsessionnelle. En quelque sorte, la compulsion (lavage, jeu avec les épingles….) reste impuissante à canaliser le déversement pulsionnel.

Comment un sujet hystérique aurait-il traité une telle conjonction signifiante ?

Si nous nous référons au cas de Dora, le déclenchement hystérique se produit lors de la « scène du lac ». Rappelons brièvement les faits. Mme K était apparue dans la vie de Dora à l’époque où le père de la jeune fille traverse une période de grande maladie. Pendant une première phase, les rapports des quatre personnages principaux de l’énigme furent harmonieux, sans conflits apparents. Mme K soignait le père de Dora. Dora remplaçait Mme K auprès de ses enfants, elle nourrissait un tendre attachement à Monsieur K. Mme K remplira une fonction d’initiatrice et de confidente auprès de Dora qui favorise implicitement ses rencontres avec son père, manifestement fort attaché à cette personne. Puis survient l’incident de la scène du lac : Dora accuse Monsieur K d’avoir voulu la séduire. La déclaration est suivie d’un affront. Mme K récuse violemment les dires de Dora et son père se laisse convaincre qu’il s’agit d’une fiction. L’amour de Dora pour les K se transforma alors en haine, signalant ainsi le mécanisme du retournement de la pulsion d’amour en son contraire. Cette haine alimentera désormais son conflit avec son père. Dora exige la rupture avec Mme K.

Dans l’interprétation qu’il en donne au cours du « Séminaire III », Lacan nous apporte les clés du décodage.

Dans le quadrige, Mme K représente le choix d’objet de Dora : « Freud avait cru entrevoir chez elle un rapport conflictuel qui tenait à l’impossibilité où elle était de se détacher de l’objet de son amour, son père, pour aller vers un objet plus normal, à savoir un autre homme. Or l’objet pour Dora n’était autre que cette femme que l’on appelle dans l’observation Mme K et qui est précisément la maîtresse de son père ». Monsieur K représentait en fait le Moi de Dora et le père constitue la source d’identification et de rivalité.

L’orientation du discours de Dora après la scène du lac ne doit pas être confondue avec le mécanisme du délire. Le délire impose nécessairement, parmi les perturbations observées, qu’il y ait trouble du langage. Le délire s’associe à une seconde condition, selon Lacan : la perte de l’objet et la régression narcissique.

Qui est au final Dora ?

L’erreur de Freud, nous dit Lacan, fut d’être trop centré sur la question de l’objet : « Il se demande ce que Dora désire, avant de se demander qui désire dans Dora ? ». Lacan revient sur la question de l’identification de Dora à M. K : cette donnée explique pourquoi le quadrige a tenu la route jusqu’à la scène du lac. Dora est une hystérique et comme telle – nous dit Lacan – a des rapports singuliers à l’objet. Dans la névrose, le rapport du discours et du fantasme avec l’objet résulte d’une opération du symbolique sur la jouissance. La barre sur le « S évoque la perte qui instaure l’émergence d’un objet venant canaliser un rapport singulier à la jouissance, par une identification à cette position dans le fantasme.

Avec Mme Gi on a, par contre, affaire à une tentative délirante qui signe, de la part du sujet, la position où il reste encombré de l’objet par l’échec de cette opération, et où il se doit d’affronter la jouissance débridée qui en résulte, dans un rapport direct à la structure du langage.

La vision névrotique de la réalité ou la certitude délirante sont deux modalités de recouvrement du Réel. Elles diffèrent, dans le mode de traitement de ce Réel, par le Symbolique ou l’Imaginaire. Le semblant, en effet, rend possible de confondre ces deux registres.

Lorsqu’une conjoncture dramatique survient, le problème du psychotique, c’est qu’il n’a pas

accès au Symbolique. La rencontre, dans le Réel, avec Un Père impose au sujet psychotique d’affronter cette question de la signification, qui s’est mise en suspens, en convoquant une croyance pour parer aux troubles du signifiant. Cette question de l’invention d’une croyance ouvre à la dimension de la fonction de l’adresse.

Dans le cas de la névrose, lorsque les mots défaillent ce sont les effets du malentendu qui apparaissent avec toute leur consistance. Dans la psychose il n’y a pas de malentendu.

C’est à cette clinique du corps et de la jouissance à laquelle nous convie le cas de Mme GI. Lorsque le mot échappe, qu’est-ce que ça veut dire ? Le mot, le signifiant, ne représente plus le sujet mais le vise. L’enjeu de l’analyste consiste alors à partir d’un matériau brut où se dépose la jouissance, à solliciter chez le sujet un effet de rebroussement où puisse s’élaborer une certitude, cette création singulière cheminant vers l’élaboration du sinthome.

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