Gwénaëlle BOITARD
La maladie somatique surgit comme une mauvaise rencontre, une rencontre que l’on n’avait pas prévue (tucké), qu’on aurait voulu éviter, celle qui va bouleverser la relation à la fois intime et si étrangère que l’on entretient avec son propre corps.
Elle vient raviver la question de la temporalité et d’un « déjà trop tard » qui vient heurter le sentiment intime d’existence.
«Si vis vitam, para bellum. Si tu veux supporter ta vie, organise-toi pour la mort», disait Freud
(Notre relation à la mort, Les essais de psychanalyse Petite Bibliothèque Payot 2001, p46).
« Les désirs entretiennent les rêves, mais la mort, elle, est du coté du réveil » disait Lacan. Sur quoi nous sommes nous endormis et que la maladie vient rappeler ?
Avec les avancées de la science, la connaissance biologique du corps s’accroît et la lutte contre les maladies progresse. Malgré tout, la médecine ne cesse pas de ne pas tout guérir.
La présence irréductible des maladies somatiques vient mettre le doigt sur l’impossible à tout traiter auquel se confronte la médecine, sur l’impossible à maîtriser la douleur humaine et à circonscrire le réel incarné dans le corps malade.
Et au-delà de la performance technique des examens médicaux nécessaires à l’élaboration d’un diagnostic, quant est-il des mots posés sur la maladie et son évolution ? De quelle manière le sujet accueille t-il les signifiants de la médecine qui s’agitent autour de lui, ou au contraire, parvient-il à faire face à l’éventuel silence ou secret sur ce qui lui arrive ?
Car le patient malade attend un savoir sur son corps. Et la phrase « ils ne savent pas ce que j’ai » vient témoigner de l’angoisse pour le sujet face à l’innommable. Il attend le mot qui va venir nommer l’irreprésentable. « Derrière ce qui est nommé, il y a l’innommable. C’est bien parce que c’est innommable…que cela est apparenté à l’innommable par excellence, c’est-à- dire la mort » 1
Pourtant, une fois le signifiant-diagnostic posé, il peut advenir le risque d’un arrêt sur image, à l’instar du cliché radiographique, le risque d’enfermer le sujet dans un signifiant qui ne le renverrait à aucun autre signifiant. Le patient cancéreux ne serait alors plus rien d’autre que le morceau de son corps touché par la maladie. Le signifiant-diagnostic, s’il n’est pas repris dans la chaîne signifiante, peut figer le processus de symbolisation nécessaire à la restauration de ses assises subjectives et mortifier le sujet autant que la maladie le terrasse.
C’est grâce à l’écoute de ses patientes que Freud, médecin, nous a ouvert la voie vers les coordonnées de l’inconscient, coordonnés qui ne sont pas celles que connaît la science médicale. La science, en ne visant que la connaissance sur le corps, peut omettre de considérer une part de vivant qui ne se réduit pas au biologique. Le corps d’un être vivant étant aussi celui d’un sujet doué de langage, sujet qui possède une représentation particulière de son propre corps ainsi qu’un mode de jouissance singulier.
Face à la prédominance du savoir médical qui vient faire vérité, quelle place est alors laissée à l’élaboration du sujet sur son propre savoir en ce qui le concerne au plus près ?
Cette place vide à laquelle le maître devrait renoncer, cette part d’ignorance désertée par la science, représente ici la part de langage que le sujet habite et qui lui revient.
Quelles modalités d’expression sont alors proposées au sujet qui n’est pas forcément en mesure de se parler ? Le psychologue clinicien ou le psychanalyste qui exerce à l’hôpital peut-il apporter un éclairage particulier, voire subversif, en montrant qu’il ne s’agit pas d’accroître un pouvoir sur le corps du sujet, mais bien d’articuler autrement le rapport du sujet à son corps, autrement dit, de rendre son corps au sujet.
Le psy à l’hôpital peut-il aussi aider la médecine à passer de son Moi Idéal de maîtrise absolue du réel du corps, à un Idéal du Moi qui pendrait le risque d’offrir la possibilité d’un discours au-delà de la garantie de guérison ?
1 J. Lacan, Séminaire, livre XI, Paris, Editions du Seuil, 1973, p 247.